Popularité des musiques de chasseurs

Entretien d'Alexandre Mensah avec Gabriel "Magma" Konaté

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Gabriel « Magma » Konaté est comédien, directeur-adjoint du Théatre Kotéba National et animateur sur Radio Bamakan. Il est devenu une figure incontournable de l’actualité publique des chasseurs avec l’émission hebdomadaire qu’il leur consacre. Il n’est pas membre de la confrérie des chasseurs mais certains d’entre eux le chantent comme un personnage émérite.

Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours professionnel ?
Je suis enseignant de formation, en lettres et en histoire-géographie. J’ai été détaché auprès du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture pour la biennale de 1980. J’étais déjà comédien dans la Troupe dramatique lorsque je suis allé apprendre pendant quatre ans la théorie du théâtre à l’Institut National des Arts. Suite à cela, j’ai été nommé directeur de la Troupe dramatique Kotéba National. Puis, je suis allé à Lomé au Centre Régional d’Action Culturelle pour faire ingénierie culturelle pendant deux ans. A mon retour, on m’a nommé directeur-adjoint du Théâtre National du Mali.
J’ai commencé la radio avec des amis à moi, Tierno Ahmed Thiam et Ahmadou Sidibé. Je passais souvent dans leurs émissions à l’ORTM et l’on trouvait que j’avais une belle voix. Radio Bamakan est née dans le sillage des événements de 1991, lorsque des amis se sont retrouvés au Centre culturel français pour se constituer en association de radio libre. Etant le comédien du groupe, j’étais tout désigné pour devenir le premier animateur de la première radio libre du Mali. C’est comme ça que j’ai commencé et je ne me suis jamais arrêté depuis. J’anime des émissions l’après-midi et le soir, tous les jours sauf le mardi.
Comment s’intitule votre émission hebdomadaire sur les chasseurs et comment vous est venu ce projet?
C’est en direct le vendredi de 14h à 16h. Je l’ai intitulée Dankoroba o kakènè, ce qui veut dire « La Cour des Grands ». Je l’appelle ainsi parce que cela correspond à un espace sur lequel se retrouvent les grands, les chasseurs, les maîtres, les sorciers, les simbo. C’est une idée qui m’est venue comme ça. J’aime beaucoup la musique des chasseurs, je la trouvais un peu mystique et mystérieuse. Je l’aime peut-être aussi parce que mon père était chasseur et c’est un peu cette fibre qui la fait vibrer en moi. J’ai donc fait enregistrer au niveau de l’ORTM quelques chansons que je passais sur Bamakan le vendredi. Un jour, Mamadou Diatigui Diarra, qu’il repose en paix, est venu avec Kita Bala et m’a donné deux cassettes, les volumes 1 et 2 de Sibiri Samaké ; il me demandait de jouer ça, parce que je faisais du bon boulot et qu’il fallait que j’ajoute ça à ma collection. En ce temps, d’autres personnes m’appelaient pour me demander d’enlever cette même musique qui leur cassait les oreilles ; comment un jeune branché comme moi pouvait passer ça, etc. Il s’est avéré qu’au fil du temps, cette musique s’est imposée sur pratiquement toutes les stations.
Pensez-vous que cette musique des chasseurs soit amenée à évoluer et à se « moderniser »?
Toute œuvre quelle qu’elle soit, si elle n’évolue pas, est amenée à se scléroser, à se renfermer sur elle-même et à mourir. Je ne parlerais peut-être pas d’une modernisation mais d’une amélioration des moyens de distribution de cette musique ; parce qu’elle ne vaut que par ce qu’elle représente. Il ne faudrait pas qu’à des fins plus ou moins pécuniaires, on ait à galvauder ou à adapter cette musique sur des instruments modernes. La musique des sèrè ne vaut que parce qu’elle est mystique et mystérieuse. Elle s’entoure de quelque chose d’indéfinissable. Sa promotion peut être faite en gardant cette authenticité-là, intéressant ainsi des gens au-delà de la communauté malienne.
Quel etait le concept de l’émission ? S’agit-il simplement d’une diffusion de la musique des chasseurs ?
Généralement, je fais passer des informations qui concernent les chasseurs. Quand il y a telle manifestation dans tel lieu, les chasseurs font passer un avis qu’ils déposent aussi chez moi. Ensuite, je me suis dit qu’il ne servirait à rien de jouer de cette musique sans que l’on connaisse davantage la confrérie. J’ai donc commencé à inviter certains sèrè, les joueurs de ngòni, pour qu’ils interviennent et qu’ils expliquent un peu ce qu’est le monde de la chasse, ce qu’est la vie du chasseur, et ce que sont les objectifs de cette confrérie. De fil en aiguille, ça a dépassé mes premières intentions, tout le monde a voulu passer dans cette émission. Les gens venaient pour que l’on parle d’eux et puis ils ont commencé à donner des précisions sur des choses que les gens ignoraient : que toutes les grandes villes du Mali ont été fondées par des chasseurs, que le chasseur avait un vrai rôle dans la société. Ils sont parvenus à me faire comprendre que les chasseurs étaient en fait comme une sorte de corporation militaire, avec une hiérarchie aussi forte.
Quel rôle cette émission joue-t-elle finalement au sein de la confrérie des chasseurs ?
Il s’est passé quelque chose de très important. Vous savez qu’à un certain moment, au Mali, il y a eu cette division au sein de la confrérie des chasseurs. Dans tout groupement humain, il y a toujours certaines situations qui se créent, des conflits d’intérêts. Des chasseurs se sont séparés de l’unique organisation pour aller créer une autre association. Face à cette situation, j’ai fait intervenir des séré, notamment Diakaridjan, Djinédé Soumana, Yoro Sidibé ou Sibiri Samaké, pour constituer un espace de médiation entre les deux structures : la Fédération et l’Association. Lorsqu’on a commencé ce travail-là, ça n’a malheureusement pas donné grand chose. Mais malgré cela, on ne s’est pas lassé. On a continué à recevoir des gens qui venaient parler des problèmes et des dissensions entre les deux parties. Petit à petit, à mesure que les gens se sont parlé, les esprits ont commencé à s’ouvrir et les gens ont commencé à comprendre certaines choses. C’est ce qui a fait qu’aujourd’hui, les choses se sont considérablement aplanies. Il n’y a pas deux semaines encore (début août 2000), Yoro Sidibé est allé jouer chez Kita Bala et ça a été une grande récompense à nos efforts. C’est vraiment cela que l’on recherche : l’union entre les chasseurs ; parce que c’est avec la colonisation que sont arrivées ces histoires de fédérations et ces histoires d’associations. Les chasseurs sont tous les fils de Kòntròn et de Sânè ; tous les chasseurs du monde se retrouvent autour de ce fétiche tutélaire. Lorsque que l’on arrivera complètement à réunifier la confrérie, je crois qu’un grand pas aura été fait.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’engouement populaire et médiatique qui s’est créé autour des chasseurs ?
Interrogez des chasseurs, ils vous diront que Radio Bamakan a fait sortir les chasseurs de l’ombre, créant un phénomène qui fait que beaucoup de gens veulent maintenant devenir chasseurs ou mieux connaître cette confrérie. Toutes les radios consacrent aujourd’hui une ou deux heures de leurs programmes à la musique des chasseurs, y compris la radio nationale. Elles diffusent maintenant beaucoup d’autres contenus. Des chasseurs parlent de leur savoir thérapeutique ou sur le plan de la géomancie. D’autre part, la médiation pour cette entente entre les chasseurs ne se limite pas seulement à la radio. Celle-ci n’a été qu’un tremplin. Maintenant les démarches se poursuivent à un autre niveau avec le ministère de la Culture qui a pris ça en main. Il parachèvera ce qui a été commencé sur les ondes. Car il est nécessaire qu’il y ait d’abord cette entente au sein de la confrérie des chasseurs du Mali pour prétendre faire venir les chasseurs de l’Ouest africain.
Quels sont justement, selon vous, les enjeux de la Rencontre internationale des chasseurs de l’Afrique de l’Ouest de janvier 2001 ?
Je pense que les enjeux sont énormes. L’Afrique a beaucoup à y gagner. Le biais culturel est un aspect très important de l’intégration, de cette union africaine dont on parle tant. Des nombreuses organisations traditionnelles d’Afrique de l’Ouest, la confrérie des chasseurs est l’une des rares qui soit restée intacte, qui n’ait pas trop subi de mutation de par le contact de l’Occident. En réussissant à faire se regrouper, ici au Mali, les chasseurs de la zone ouest africaine, la CEDEAO peut gagner beaucoup sur le plan culturel, l’UMOA aussi. Car une intégration économique et politique, c’est bien, mais une intégration culturelle, il n’y a rien de tel. Je pense donc que rien que sur ce plan culturel international, les enjeux sont énormes.
Pensez-vous que votre émission ait un rôle à jouer avant, pendant et après la manifestation ?
Absolument ; pas seulement mon émission mais toutes celles diffusées en République du Mali. Avant la manifestation, il faut préparer les esprits. Le monde des chasseurs est un monde fermé parce que c’est un monde ésotérique. Pour sensibiliser l’opinion, il est nécessaire que la radio soit une espèce d’informateur, une passerelle permettant aux populations d’adhérer à ce qui se dessine. Pendant l’événement, il faut naturellement relayer ce qu’il se passe ; et après l’événement, il faut qu’il y ait un suivi, pour qu’on n’ait pas l’impression que plus rien ne se fait ; que ce ne soit pas une autre rencontre de plus qui se tient au Mali, où les gens viennent décider des choses et puis plus rien. C’est pourquoi la radio a un rôle très important à jouer autour de cette manifestation.

///Article N° : 1628

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