Pourquoi j’airai, dans quelques heures, place du 1er mai…

"Je veux vivre comme je l'entends en Algérie"

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Nous publions le témoignage d’un jeune réalisateur algérien, Yanis Koussim, paru sur facebook le 19 février quelques heures avant la marche à laquelle a appelé la coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). La posture personnelle de Yanis Koussim incarne ici des contradictions et ressentis partagés face au vent de changement qui souffle en tous sens sur l’Algérie.

Mes amis et mes proches savent ma réputation d’insomniaque… Depuis que je ne suis plus écolier, je m’arrange toujours pour trouver une raison, bonne ou mauvaise, de ne pas dormir…
La raison pour laquelle je ne dors pas cette nuit, je m’en serais bien passée !
Non, ce n’est pas parce que je « m’éclate » avec mes amis que je ne dors pas ; car mes amis ont depuis longtemps quitté l’Algérie, s’étant envolés vers d’autres contrées pour y chercher une bonne formation, un travail digne d’eux, ou juste une qualité de vie qu’ils n’ont pas trouvée dans leur pays.
Ce n’est pas non plus un film palpitant, ou un livre captivant qui me tient en veille ; car depuis que l’insouciance de mes vingt ans a laissé place aux préoccupations de la trentaine d’un Algérien qui n’est ni commerçant, ni fils de moudjahid (vrai ou faux) ni frère-de-la-sœur-de-l’oncle-au-deuxième-degrés-du-demi-frère-d’un-wali-ou-d’un-militaire-haut-placé, je vois de moins en moins de films, et je ne lis presque plus… Elles sont bien loin ces années où je pouvais passer toute une nuit à lire, sans me soucier des jours qui viennent !
Point d’étreintes passionnées m’empêchant de m’abandonner aux bras de Morphée ce soir… pour cela, il faut avoir une maison à soi, ou un carnet de famille pour aller à l’hôtel…
Je ne dors pas parce que je m’enivre au claire de lune, la baie d’Alger a mes pieds, sur le balcon de chez mes grands-parents ; les voisins risquent de me voir, et parmi eux, un terroriste repenti peu se trouver, ou un représentant de l’ordre, qui pourrait m’arrêter pour « conduite allant à l’encontre de la morale », même si mon pays est producteur et exportateur de vin.
Non, la raison pour laquelle je ne dors pas cette nuit n’est aucune de toutes celles que je viens ou que je pourrais vous énumérer ici, accompagnée d’autant de causes dont l’effet aurait été une bonne nuit sans sommeil.
Si je ne dors pas, c’est que je me pause une question : Est-ce que je vais aller marcher dans quelques heures ?
J’ai été transporté par la révolution de Jasmin ! La place Tahrir restera pour moi un exemple de persévérance et de communion populaire ! Je lorgne vers le golf persique, la Syrie et la Libye… Mais je me demande vraiment si je dois aller marcher pour l’Algérie dans quelques heures, car mon Algérie rêvée n’est pas forcément celle de tous les Algériens.
Dans quelques heures, il y a une marche populaire… Mais c’est une marche sans le peuple.
Dans quelques heures, nous allons demander plus de libertés pour les Algériens… mais il n’y a pas eu beaucoup d’Algériens dans les rues la semaine passée.
Dans quelques heures, nous allons demander le départ de dirigeants qui ont été plébiscités par ceux qui devraient pourtant souhaiter leur départ ! Ç’est à n’y plus rien comprendre…
Dans quelques heures, je vais risquer de ne plus avoir de fond pour faire mes films, vu que le ministère qui soutient mes projets cinématographiques fait parti de ceux « d’en haut » contre qui je manifesterai, si je décide de participer à la marche, dans quelques heures…
Dans quelques heures, je vais répondre à l’appel d’une coordination qui ne sait même pas ce qu’elle veut vraiment, et qui est a des années lumières des préoccupations des Algériens qui ne demandent qu’a vivre décemment, pouvoir nourrir leurs enfants, et se sentir en sécurité dans leur pays.
Pourquoi donc m’exalter, risquer de me faire passer à tabac (voir pire) en allant marcher pour m’opposer à un gouvernement, à un système, que la majorité de mes concitoyens plébiscitent.
Je pourrais continuer à vivre comme je le faisais jusqu’à présent…
Effectivement, j’ai la chance d’être né dans une famille qui n’a jamais souffert de misère, ni de manque de culture, ni de liberté d’expression en son sein.
Après des études de droit, j’ai pu réaliser mon rêve de devenir cinéaste, mes films ont toujours trouvé du financement en Algérie et je commence à vivre comme il faut de mon métier.
J’évolue dans un milieu où je suis libre de penser et de vivre comme je l’entends.
Et, au pire, je pourrai toujours aller m’installer ailleurs, si je ne me sens pas assez libre chez moi. J’ai un diplôme universitaire, un métier qui me fait voyager et dont la spécificité me permettrait de m’installer en Europe.
Seulement voilà… Je suis profondément Algérien ! Et j’ai envie de vivre, mais surtout de bien vivre, et comme je l’entends, dans mon pays, et pas ailleurs !
Ces Algériens qui soutiennent nos dirigeants, je les connais ; mais eux, savent-ils mon existence ? Savent-ils que le fait qu’ils soient, ne veut pas dire forcément que je ne peux pas être ? Et moi, le sais-je ?
Ces Algériens qui ont crié leur amour au président, je sais qui ils sont ; mais eux, savent-ils qui je suis ? Savent-ils surtout que je suis autant Algérien qu’eux, et que je ne les empêche pas de vivre comme ils veulent, s’ils me laissent vivre comme je veux ?
Ces Algériens qui ont dit à ceux qui pensent comme moi de quitter l’Algérie parce que nous ne soutenons pas la politique d’un président que nous n’avons pas élu, je sais qu’ils existent ; mais eux, savent-ils qu’il peut exister dans un pays digne de ce nom des personnes qui ne sont pas d’accord avec eux, mais que ces mêmes personnes ne sont pas forcément leurs ennemis ?
Et c’est pour ces Algériens qui ne me connaissent pas que j’irais, dans quelques heures, place du 1er mai ! Non pour faire s’enfuir un président, non pour faire tomber un système, non pour soutenir un parti politique (dont les sympathisants ont tout autant le droit que moi de manifester, cela dit en passant) Mais simplement pour dire que J’EXISTE !
Oui, J’EXISTE, je suis ALGÉRIEN, je veux vivre comme je l’entends en ALGÉRIE, et J’IRAI, DANS QUELQUES HEURES, PLACE DU 1er MAI !

Samedi 19 février 2011

Consulter le texte sur : [Facebook] ///Article N° : 9953

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