Directeur de publication de l’hebdomadaire satirique burkinabé le journal du jeudi, Damien Glez est également l’un des illustrateurs de presse les plus reconnus du continent. Il revient sur l’évolution de la presse satirique africaine depuis une quinzaine d’années.
« Dans un pays où 66% de la population est analphabète, les images sont un bon moyen de faire passer l’information ». Le dessinateur ivoirien Mendozza sait de quoi il parle. Et, sur un continent où le langage de la photo de presse est encore mal maîtrisé, les journalistes et patrons de presse ont vite compris l’intérêt de la caricature et du support qu’elle inspire naturellement : la presse satirique. Sachant que, en plus de la dimension graphique, l’humour permet de faire passer des messages au second degré, dans des pays aux régimes bien souvent sévères. La satire devient alors cheval de Troie de la liberté d’expression.
En Afrique, le printemps de la presse a donc souvent fleuri sous la forme de bourgeons satiriques, parfois proches de fanzines, parfois « contrefaçons » de grands frères européens, parfois étoiles filantes dans le paysage médiatique : « Le Cafard libéré » sénégalais, « Le Lynx » guinéen, « Le Kpakpa désenchanté » togolais, le « JJ » burkinabé, le « Pili-pili » ou le « Pot pourri » zaïrois, l’Ivoirien « Gbich » ou encore le « Penknife » kenyan. Ceux qui ont survécu sont bien souvent « adolescents », avec ce que ce terme contient d’impertinence, d’excès et d’anticonformisme. La fougue est au rendez-vous, parfois plus qu’en Europe.
En juin 2004, l’animateur Claude Sérillon s’étonnait : « Certaines caricatures sur Houphouët-Boigny n’auraient pas pu être faites sur de Gaulle ». Comparer la France gaullienne des années 1960 avec la Côte d’Ivoire houphouëttiste de la fin des années 1980 n’est pas aussi anachronique qu’il y paraît. La culture de la satire, en Afrique, n’est souvent âgée que d’une quinzaine d’années, quand la France sclérosée des sixties avait un dessin de presse déjà plus que centenaire.
La satire africaine jouirait-elle – en dépit de la réputation du continent en matière de dictatures pittoresques – d’une liberté d’expression supérieure à celle de sa consur européenne ? Même corrosive, la presse satirique n’est pas totalement immunisée… Au Cameroun, le patron de « Le Messager Popoli » a eu maintes fois maille à partir avec le pouvoir : exil en Afrique du Sud en 2000, brutalités de policiers du Groupement mobile d’intervention de Douala en 2002, régulières menaces téléphoniques, notamment d’une personne dont la voix et les propos ressemblaient étrangement à la Première dame.
Á la fin des années 1980, six pages sur huit de « La Gazette du Golfe » étaient systématiquement passées à la moulinette du comité de censure du ministère de l’Intérieur béninois. Longtemps militant anti-apartheid, le journaliste satirique sud-africain Jonathan Shapiro, alias Zapiro, sera détenu par les autorités en 1988, comme Mogorosi Motshumi avant lui, en 1978. L’apartheid aboli, Zapiro n’en continue pas moins de subir un harcèlement judicaire, comme Tony Namate au Zimbabwe, comme Dilem en Algérie.
Et le sang a parfois coulé. En 1999 en Sierra Leone, le dessinateur Muniri Turay – connu sous le pseudonyme d’Azzo -, pris en étau entre pouvoir et mouvements rebelles, est assassiné par le Revolutionnary United Front. Quelques mois plus tôt, en décembre 1998, c’est le Burkinabè Norbert Zongo, qui avait notamment fait ses classes dans la satire, qui est immolé. Ce dernier cas, au moins, servira de leçon. Le chanteur Alpha Blondy, en soutien à l’association Reporters sans frontières se fera le relais de la cause et le pouvoir burkinabè « éternuera »
Ces drames pourront-ils à terme dissuader toute tentation de musellement de l’expression satirique ? Il apparaît que la régulation prend peu à peu la place de la répression. Mais la situation est très différente d’un pays à l’autre du continent. Et le combat pour la liberté d’une presse impertinente n’est jamais totalement gagné. Le 3 février 2006, la Haute cour de Johannesburg interdisait aux groupes de presse sud-africains la publication des caricatures controversées du prophète Mahomet, sur demande du Conseil des théologiens musulmans. Les outils procéduriers plutôt que la fatwa ?
Si les freins « policiers » s’effacent peu à peu, tout n’est pas rose sur le continent noir. Des lecteurs virulents prennent parfois le relais des censeurs officiels. Certains courriers incendiaires reçus par les rédactions tendent à démontrer que la satire serait incompatible avec la culture africaine. Le respect de mentalités sahéliennes, par exemple, interdirait de traiter de sujets sexuels ou religieux. Les carrières des dessinateurs Issa Nyaphaga ou Marius Deffo Soh en on fait les frais. Les tabous ont la vie dure
L’étau qui enserre le journaliste satirique est aussi économique. Souvent, les « satiristes » sont moins étranglés par des tracasseries policières qu’étouffés par des contingences financières. Les piges sont dérisoires, notamment pour les caricaturistes qui subissent la concurrence d’une photographie numérique à bas prix. Qui dit caricaturiste mal payé dit dessinateur dilettante, navigant entre infographie publicitaire, cours de dessins ou conception de décor de cinéma, comme le Tchadien Ali Mont-Rose, le Burkinabé Zoetaba ou le Congolais démocratique Dominique Mwankumi-Mukel. Comment approfondir la dimension journalistique de son art, quand son crayon est dispersé ? L’exil devient alors professionnel. La faiblesse économique du marché togolais de la presse aurait ainsi asséché, autant que la chape de plomb politique, les vocations satiriques.
Tous ces obstacles à l’envol de la presse satirique africaine pourraient être peu à peu levés grâce à l’alphabétisation, à l’évolution des mentalités et à la régulation, ici ou là, des Conseils supérieurs de l’Information et assimilés. Mais une génération de journalistes satiriques africains n’est-elle pas perdue pour le continent ? Quand le Nigerian Tayo Fatunla s’exile à Londres, le Sud-Africain Nanda Sooben au Brésil ou le Togolais Oliviers Koss aux États-Unis, c’est parfois à la faveur d’une presse panafricaine délocalisée qui entend générer une voix à dimension « semi-continentale », dans un contexte moins oppressant.
Mais ces journaux résistent-ils toujours aux sirènes du continent qu’ils regardent de loin ? Et sont-ils toujours en phase avec leurs racines ? En matière de satire francophone, c’est le « Gri-Gri international », puis le « Bakchich » qui tentent de relever le défi de parler internationalement de l’Afrique et, si possible, à l’Afrique. L’intégration sous-régionale africaine sera peut-être un jour le catalyseur qui permettra de faire renaître l’expérience essoufflée d’un panafricain ancré en Afrique : « Le Marabout ».
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