Religion et langues africaines au secours du panafricanisme ? 

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Plus de cent ans après ses premiers balbutiements, avec la toute première conférence panafricaine organisée en 1900, le panafricanisme attend toujours de connaître son âge d’or. Why so long ? Ou mieux, pour poser la question comme on aime à la poser de nos jours : « Qu’est-ce qui n’a pas marché ? »

On a beaucoup parlé du panafricanisme, et le panafricanisme a beaucoup fait parler de lui. En fait, c’est un passage obligé pour tout grand penseur africain qui se respecte : écrire sur et pour le panafricanisme. Panafricanisme hier, panafricanisme aujourd’hui, panafricanisme demain – c’est sûr, il y a encore du chemin à faire. Marcus Garvey, l’une des grandes figures de ce mouvement séculaire, tout comme W.E.B Du Bois, Kwame Nkrumah ou encore Cheikh Anta Diop, et bien d’autres, ont mené le combat, dans les livres et sur le terrain, pour demander le retour aux sources, l’union des fils et filles du continent africain.

Les raisons, ou les causes responsables du non-aboutissement du panafricanisme tiennent en gros, pour nombre d’analystes, à ce que l’on pourrait nommer ici, pour parler comme Kwame Nkrumah (à défaut de « parler en normand »), l’ingérence des « forces négatives ». Pour d’autres spécialistes en revanche, l’Africain est lui-même aussi comptable de ses propres turpitudes. Puisque certains chefs et leaders du continent se sont souvent opposés, de manière ouverte ou sournoise, notamment en pactisant justement avec ces forces négatives-là, à l’unification des peuples de KaMa. On en a connu, des dirigeants africains, des personnalités influentes ou non aspirant au pouvoir qui sacrifient et livrent leurs frères panafricanistes, par pur égocentrisme, pour l’intérêt de leurs petites affaires : « Tu quoque, Brutus ? ». Il y a là traîtrise, et trahison de la cause – oui, et alors ? Le calcul est vite fait : ne vaut-il pas mieux régner en maître, et sans partage, sur un petit royaume à proportion de lilliputiens, plutôt que de n’être qu’un quelconque vassal dans un immense empire, fût-il aussi prospère et puissant que l’on pourrait deviner les USA (ici : United States of Africa).

 

Lire aussi : « L’histoire contemporaine de l’Afrique c’est le panafricanisme » 

Vers une tendance spirituelle

Cependant la doctrine du panafricanisme continuant d’évoluer, il y a encore lieu d’espérer le changement. Pour une nouvelle catégorie de théoriciens, aujourd’hui de plus en plus sur le devant de la scène, comme Felwine Sarr ou encore, de manière un peu plus prononcée sur cette thématique particulière, certains anthropologues à la mode, il y a pour le Muntu l’urgence de s’affranchir spirituellement. C’est la clef : la condition sine qua non à sa libération totale du joug aliénateur, mieux à son épanouissement. Voici, de manière simpliste, le raisonnement : L’Afrique pour évoluer a besoin de sa religion, celle-là même qui ne jetterait pas l’anathème sur ses coutumes et traditions, sur sa vision du monde. Tant que l’Africain regardera le monde avec les yeux des autres, il ne sera pas à même de voir ce qui est bien pour lui. En conséquence, pour paraphraser un certain philosophe, s’Il n’existait pas encore, ou si jusqu’ici Il n’avait existé que dans les contrées les plus « sauvages » d’Afrique, supposément vouées encore au paganisme ; s’Il n’existait pas encore, il serait grand temps de (re-)créer Dieu, à l’image du Muntu, s’entend pour l’Afrique et ses peuples. Mais restons logique avec nous-mêmes : la créature est créée, le Créateur crée…

Et Dieu créa l’Africain, car l’Homme, le tout premier, était noir. Rappelle-toi le livre, Eve était noire. C’est là que tu liras l’Histoire, le mythe scientifique des origines du monde selon Gérard Lucotte, un généticien français un peu illuminé qui croit en l’unicité de l’espèce humaine. Le sait-il lui-même, il a écrit un nouvel évangile à la « religion afrocentriste ». Il a pour ainsi dire contribué à révéler à tout le monde, que tout le monde était sinon noir, du moins un peu noir, à moins de n’être pas homme. Il a fait sa part, il peut être tranquille avec sa conscience.

Evitons toutefois le piège de l’afrocentrisme

En fait de conscience, n’oublie pas : « Nous aspirons tous au triomphe de la notion d’espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte que l’histoire particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme tout court. » En s’inspirant de cette pensée de Cheikh Anta Diop, l’on peut déduire que la négritude s’efface devant la sangritude. Voilà qui est dit. Il fallait une solide référence pour oser l’écrire. Mais en même temps, puisque l’Humanité tout entière a pour ancêtre commun le premier homme, ou si tu veux la première femme, qui était négroïde, la sangritude elle-même, par réciprocité, n’est-elle pas (un peu) négritude ? C’est là que François Cavanna eût parlé de « paradoxe à deux ronds », lui qui ne voulait rien entendre aux démonstrations philosophiques. Mais quiconque est assez sérieux pour vouloir comprendre, comprendra… que nous sommes tous frères. Avec du sang rouge. Un bien vieux refrain – je sais, cela a été dit mille fois. Mais pourquoi changer de disque, si cette ballade fait mieux passer le message.

Revenons à notre sujet. On était parti pour un exposé sur le panafricanisme, les forces négatives qui l’empêchent d’évoluer, sa réincarnation en d’autres formes de doctrines et notamment celle qui place la religion africaine au centre du processus de l’émancipation de l’homme de KaMa, puis, en bon afrocentriste, on s’est égaré un peu à vouloir raisonner encore sur ce que tu sais déjà, à savoir que l’Afrique est le berceau de l’Humanité.

La multiplicité des langues, un atout ou un inconvénient ?

Poursuivons : Selon la théorie de la tour de Babel, la langue unit, les langues divisent. Qu’en est-il sur le continent africain ? La multiplicité des langues, locales, ou encore, à moindre proportion, celles venues de l’Occident, favorise-t-elle l’évolution du panafricanisme ? La question est d’autant plus d’actualité, qu’en Afrique, les gens se battent encore contre leurs frères aujourd’hui, selon qu’ils se revendiquent non pas du bakweri, ou du boulou, mais plutôt de l’anglais, ou du français. Que les Français et les Anglais trinquent en paix, bien aise, nous on « remake » la guerre de cent ans. Avancez, on n’a pas fini avec nos leçons d’Histoire… On en est là, plus d’un demi-siècle après les indépendances, et des bibliothèques entières écrites, consacrées à la valorisation des langues et des cultures africaines. En voilà un autre, en vrai, de « paradoxe à deux ronds ».

Ngũgĩ wa Thiongʼo : un bel exemple à suivre

Ici, il faut te recommander un maître en la matière : Ngũgĩ wa Thiongʼo. Tu sais, l’éminent intellectuel kényan, qui après avoir tout appris de l’anglais, a choisi de retourner à l’école de sa langue maternelle, le kikiyu en l’occurrence. Ngaahika Ndeenda (Je me marierai quand je voudrai), une œuvre dramatique de Ngũgĩ publiée en 1977, en kikiyu, devient très vite populaire au Kenya. On se serait attendu à ce que les autorités applaudissent ; que non,  la distinction littéraire qui lui est décernée pour cette prouesse, c’est un an de prison ferme. Ngũgĩ n’abandonne pas pour autant ce qu’il a commencé, « Il réécrit en kikuyu Caithani Matharaba-ini (littéralement : Le diable sur la croix), rédigé en prison dans les marges de sa Bible et sur du papier toilette, dans lequel il détaille la déliquescence de son pays, cornaqué par les voyous et les profiteurs. Sa pièce suivante, Maitu Njugira (1982) est interdite… » (Wikipédia). Bref, c’est le début des galères. Incarcération, exil, censure, agression, viol de sa femme sous ses yeux… Ne cherche plus, tu l’as, ton apôtre de la fierté africaine, ou si tu préfères, du panafricanisme. Lui qui a remporté un succès international avec ses premiers ouvrages écrits en anglais, et qui aurait pu continuer tranquille sur cette lancée, gagner plus d’argent, de lecteurs, de reconnaissance… Mesure le sacrifice.

Ngũgĩ wa Thiongʼo pense que si l’Afrique doit s’unir, ce sera avec toutes ses langues, car toute langue est une richesse culturelle à préserver, et aucune langue ne doit être sacrifiée au profit d’une autre : « On continue, un peu partout dans le monde, d’empêcher de nombreuses communautés de s’exprimer dans leur langue. On continue de les railler et de les humilier, d’apprendre à leurs enfants à avoir honte et à faire comme si le respect et la dignité ne pouvaient se gagner qu’en rejetant leur langue maternelle et en apprenant la langue dominante, celle du pouvoir. » (Décoloniser l’esprit)

Et voici pour toi, le panafricaniste, quelques questions de Ngũgĩ pour te faire réfléchir : « Pourquoi l’Afrique a-t-elle laissé l’Europe emporter des millions de ses fils aux quatre vents ? Comment l’Europe peut-elle dominer un continent dix fois plus grand ? Pourquoi l’Afrique dans le besoin continue-t-elle de laisser sa richesse répondre aux besoins de ceux qui se trouvent en dehors de ses frontières et de la suivre ensuite les mains tendues pour un prêt de cette même richesse qu’elle a elle-même produite ? Comment en sommes-nous arrivés là, à savoir que le meilleur dirigeant est celui qui sait mendier une part de ce qu’il a déjà donné au prix d’un outil cassé ? Où est l’avenir de l’Afrique ? » (Mũrogi wa Kagogo / Wizard of the Crow)

Aux dernières nouvelles, Ngũgĩ wa Thiongʼo est fortement pressenti comme le prochain lauréat du Grand prix des mécènes. Il en a gagné bien d’autres, mais, je ne sais pas pour toi, je pense que ce serait là un nouvel hommage tout à fait mérité, plutôt deux fois qu’une.

 

Eric Mendi, Ecrivain.

 

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