Annoncé comme le spectacle phare de cette 35è édition des francophonies en Limousin, la dernière production d’Alain Platel et Fabrizio Cassol arrivait à Limoges avec le fracas d’une machine de guerre chevauchée par Mozart en personne.
Adossé à une impressionnante tournée internationale, moissonnant à foison des critiques les plus élogieuses et rappelant dans une certaine mesure, le jubilatoire coup fatal, Requiem pour L a attiré un public nombreux et impatient à l’Opéra limogeois. Prenant l’événement au sérieux, l’institution a préparé une entrée en matière sous forme de conférence pour prévenir l’audience du choc à venir. Elodie Kardouss, sur qui est tombée la goujaterie d’un certain public, aurait mieux fait de se soustraire à l’exercice imposé. Elle aurait mieux fait de nous laisser y aller seuls…devant cette belle proposition dépourvu de toute sincérité.
Il ne s’agit pas ici de nier la beauté de la proposition, beauté qui dépend toute entière de la qualité des artistes présents sur le plateau. Les musiciens et chanteurs de ce Reqiem font un excellent travail et s’en tirent avec les honneurs. Une fois ce constat établi, on peut quand même, à les voir se déplacer, engourdis dans leurs grosses bottes en caoutchouc, se demander ce qu’ils font dans cette cérémonie. On dirait qu’ils sont presque gênés par leur présence, un peu comme ces visages que l’on croise à un enterrement, participant à un deuil qu’ils ne partagent ni ne portent et qui, par politesse, s’obligent à se composer une tristesse de circonstance.
En fait de spectacle, c’est une petite catastrophe parce que rien de ce qui est présenté sur scène ne traverse vraiment la rampe, si bien qu’au bout d’un quart d’heure, ce Requiem a déjà rendu les armes. Il a déjà épuisé ses possibilités, s’est isolé du public qui observe les acteurs s’enfermer dans une bulle qui tourne lentement. La scénographie toute en surcharge, n’aide pas non plus à adhérer. La scène est pleine, trop pleine. Au cas où l’esprit serait tenté d’oublier qu’il s’agit d’un Requiem, donc d’un deuil, on lui mettra un plateau littéralement couvert de tombeaux, blocs de pierres froids et sombres, sombres également le costume des acteurs et pour couronner le tout, on mettra au-dessus de ce beau monde en lente procession, la vidéo d’une femme entrain d’agoniser : la boucle est bouclée, il ne reste plus qu’à pleurer ou à attendre la fin ou dans le meilleur des cas, espérer…
Un envol jamais venu.
Une telle lourdeur d’entrée est difficilement surmontable ; les choses se compliquent davantage, lorsqu’on s’aperçoit que toute la prestation est dirigée ailleurs ; elle est phagocytée par la lente mort de L présente sur grand écran, écrasant de tout son poids l’ensemble du dispositif. C’est elle qui aspire les chants, c’est elle qui confisque les regards, c’est encore elle/ L qui imprime cette immobilité à l’ensemble. Peu à peu on s’aperçoit que tant qu’elle sera là, avec ce qui lui reste de vie, il ne se passera rien et il s’est rien passé. Certes le titre ne nous a pas trompé mais son agonie paraissait interminable, comme le Lacrimosa final, long et d’un ennui mortel. Lorsqu’à la toute fin, il y eut un sursaut, les acteurs ont paru libérés pour exécuter le Gumboot, foulant aux pieds la sinistre dalle, il était déjà trop tard. La chorégraphie fut admirable et maîtrisée, Ce fut une bien famélique justification de près de deux heures de déambulation scénique en bottes, sur laquelle plane, tout de même le spectre de l’incongruité.