Le Clowning et le Krumping, ça ne vous dit rien ? Le Soda Pop, le Stripper Dancing, le Wobble ? C’est normal, ça vient à peine de passer les murs du ghetto de South Central à Los Angeles. Mais avec le bruit que fait Rize, ça ne va pas tarder à prendre l’ampleur du Breakdance, cette danse qu’on trouvait si bizarre dans les années quatre-vingts. Le célèbre photographe et réalisateur de clips vidéo David LaChapelle a assisté à sa première démonstration de Krumping en 2002, dans les coulisses du tournage d’un clip de Christina Aguilera auquel participait Tommy le Clown. Il a été frappé par l’énergie communicatrice de cette danse urbaine, véritable expression corporelle de la rage de vivre des populations exposées à la misère et à la violence des ghettos.
La trame documentaire de Rize est minimale : les danseurs retracent l’histoire du Clowning né des émeutes de 1992, répertoriant les principaux groupes pour expliquer leurs motivations échapper à la rue et aux gangs. Enfin ils racontent le schisme qui s’est produit entre le Clowning, plutôt ludique, et le Krumping, plus hard-core. Cette évolution naturelle a fait naître des bandes rivales : les clowns de Tommy contre les Krumpers de Larry. Ils vont organiser une bataille à laquelle assisteront amis, familles, et autres aficionados, suffisamment nombreux pour remplir un gymnase d’une capacité de 18000 personnes. Les rounds voient s’affronter deux danseurs de même catégorie d’âge, de sexe ou de poids (oui, de poids !), qui se provoquent gestuellement à une vitesse et une force impressionnante de maîtrise et de virtuosité. C’est le principe même de ces danses, déjà vu dans le film de Christopher B. Stokes You Got Served (Streetdancers en français). Les vainqueurs sont départagés à l’applaudimètre par une foule que l’on devine experte ! La caméra de David LaChapelle est elle-même bien entraînée à ce genre d’exercice, orchestrant un véritable tourbillon d’énergie et de couleur.
David LaChapelle prend le parti fort judicieux de toujours privilégier la danse et de laisser les spectateurs accepter un contexte qui, pour ceux dont c’est le quotidien, ne nécessite pas de grands discours. Le Clowning, pour Tommy comme pour les autres, c’est avant tout un moyen de porter d’autres couleurs que celles des Crips et des Bloods pour occuper ses journées à parfaire sa technique. D’après Lil C, » quand on n’a pas dansé pendant deux jours, ça se voit tout de suite « , c’est dire à quel point la danse peut jouer un rôle d’échappatoire. Certains exploitent leur talent de manière professionnelle, tous s’en servent pour exorciser leurs démons. Et si on ressent un certain malaise à voir des tous petits se trémousser à outrance où des ados mimer des scènes de passage à tabac, on comprend que c’est aussi le cur de l’expression politique, spirituelle et artistique de cet instrument de cohésion sociale, là où l’insécurité domine. David LaChapelle parvient à montrer la richesse culturelle que recèle ces danses en permanente évolution, démontrant s’il le fallait encore que la culture hip-hop ne se résumé pas aux élucubrations de 50 cents ou d’Eminem. Si le parallèle avec les danses africaines tribales est bienvenu, on regrette presque que la leçon historique ne soit pas poussée plus loin, pour traverser l’Atlantique au fil des siècles et des traditions toujours nouvelles du Capoeira du Brésil et des Caraïbes, du Jitterbug des plantations, des danses jazzies des années 20 ou du Lindy Hop que pratiquait Malcolm X. Le Clowning et le Krumping, comme leurs ancêtres, sont des danses de résistance, où l’acte est dans la gestuelle. Le carton introductif de Rize a beau faire sourire, vous aurez du mal à rester sagement assis sur votre siège pendant une heure et demie !
<small »>2005, avec dans leur propre rôle Tommy le clown, Miss Prissy, Lil C, Tight Eyez, Larry. Une production indépendante.///Article N° : 4040