Saint-Louis, théâtre d’une rencontre

Expérience de rencontre interculturelle pour une création collective à Saint-Louis du Sénégal

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De la mi-février à la mi-mars, le Centre de Recherches et de Documentations de Saint-Louis du Sénégal a présenté une exposition intitulée  » La Langue de Barbarie « , avec le concours du Centre Culturel Français. Les oeuvres exposées, une quinzaine de  » livres d’artistes « , ont été réalisées par un poète français, Yves Bergeret, et deux peintres sénégalais, Iba Ndiaye et Vieux Ada Diagne.  » La Langue de Barbarie  » est le fruit d’une création collective placée sous le thème de la rencontre : rencontre entre deux pays, la France et le Sénégal, rencontre entre deux arts, la poésie et la peinture, et enfin, rencontre entre des artistes aux origines et aux pratiques différentes. L’ensemble offre un nouvel exemple de collaboration Nord-Sud où se mêlent enjeux culturels, esthétiques et humains.
Un projet français en hommage au Sénégal
L’histoire a commencé en septembre dernier. Yves Bergeret, venu animer des ateliers de poésie à Saint-Louis, a découvert Guet N’dar, le quartier des pêcheurs, situé sur la presqu’île longeant la ville. La plage de Guet N’dar est un véritable lieu de travail où le poisson se pêche, se trie, se cuit, se vend… une saisissante effervescence. Le poète français a été particulièrement séduit par le spectacle des pirogues. Allongées sur le sable par centaine ou en partance pour le large, elles exhibent des flancs peints de riches couleurs. En cherchant à connaître des peintres de pirogues, Yves Bergeret a rencontré Iba Ndiaye et son assistant Vieux Ada Diagne. Pêcheurs depuis leur enfance, ces deux Saint-Louisiens ont appris à appris de leurs aînés l’art de peindre leurs embarcations. Le poète leur a proposé de changer de support et de reproduire leurs figures sur du papier, en alternance avec ses propres poèmes. Pendant deux brefs séjours (l’un en décembre, l’autre en février), ils se sont tous trois livrés à ce que l’art contemporain appelerait des « performances artistiques ». Résultat : un ensemble d’oeuvres réunies sous le nom « La langue de Barbarie », par référence à la presqu’île éponyme.
Poésie et peinture : contact ou partage ?
Yves Bergeret est un voyageur en recherche d’espaces dont l’intensité lui dicterait ses poèmes. Il en a conçu une poésie particulière : la  » langue-espace « , où l’environnement intervient directement dans le processus créatif. A Saint-Louis, il s’est nourri de ce qu’il voyait – la plupart des oeuvres ont été réalisées en extérieur, sur la plage, dans les marais, dans un village… Chacune comporte un thème développé par les textes (le sel, le puit, l’enfant…). La langue-espace charpente les oeuvres en leur donnant un cadre, une structure, un nom. Le poète refuse pourtant l’hégémonie de la poésie. Selon lui, les textes forment le support qui met en valeur les motifs des peintres, censés illustrer le thème choisi. Pour le spectateur profane, le sens des figures se dérobe : géométriques, abstraites, elles retiennent le regard grâce à leurs couleurs. La correspondance entre la poésie et la peinture semble principalement visuelle. Pour les artistes en revanche, les motifs auraient une signification cachée, comme s’ils composaient une langue graphique, secrète. En l’inscrivant sur le papier, les peintres-pêcheurs proposent une initiation… Entre artisanat et art, tradition et création, l’ensemble intrigue, davantage par ce qu’il pourrait dissimuler que par ce qu’il représente.
L’art médiateur de l’homme
La possibilité d’un message caché donne de l’ampleur aux oeuvres, mais la valeur même de l’exposition tient peut-être davantage aux questions qu’elle pose. Quelle est la portée de ce projet ? Qu’ont réellement transmis les trois artistes ? Le poète français a-t-il réussi à ne pas imposer ses critères artistiques et à valoriser la peinture de pirogue ? Et les peintres-pêcheurs : qu’ont-ils révélé de leurs traditions, quel est l’avenir de leur art ? La  » Langue de Barbarie  » est-elle un exemple d’échange ou d’appropriation ? A Saint-Louis, elle a été considérée comme un hommage rendu aux pêcheurs.
L’événement a eu une certaine résonance : plutôt marginale, la communauté des pêcheurs est mal connue des Saint-Louisiens. L’exposition les a réunis, au moins le soir du vernissage – ils sont venus nombreux, les uns honorés, les autres curieux.  » La Langue de Barbarie  » devrait être présentée en France, en juin à Die (26), en juillet à Rennes (35), en attendant Paris. De quoi découvrir une aventure où, au-delà de l’esthétique, la dimension humaine domine.

Contact : association « Langue et Espace », 8 villa Coeur de Vey, 75014 Paris.///Article N° : 1393

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