Sitabaomba, chez les zébus francophones, de Nantenaina Lova

Où puiser la puissance d’agir ?

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Dans son troisième long métrage, le documentariste poursuit son projet de donner une voix à ceux que les puissances dominantes marginalisent et qui luttent pour leur survie. A lire également notre entretien avec Nantenaina et Eva Bély-Lova sur le film.

Comment agir contre les profiteurs ? En mettant de la bouse de zébu sur leur voiture ! C’est le conseil d’un syndicaliste conscient que la confrontation directe n’apporterait que la répression. Car en face des paysans qui luttent pour défendre leurs terres, se trouvent des militaires et un pouvoir qui privilégie leurs intérêts et ceux des multinationales prêtes à investir. Des surfaces énormes sont ainsi annexées par des intérêts étrangers, notamment chinois, à qui l’Etat vend des titres de propriété alors que 90 % des terres sont non-titrées, la coutume n’ayant pas pris les dispositions juridiques devenues nécessaires au temps présent.

Les paysans sont donc confrontés à un casse-tête chinois ! Sans ressources, ils s’organisent pourtant avec une impressionnante pugnacité, malgré les obstacles et les traitrises. Il en va de leur avenir et de celui de leurs enfants. Nantaina Lova documente leur lutte au jour le jour dans des cadres légaux où ils manifestent leur solidarité. Quand le sommet de la Francophonie est organisé, c’est un argument de plus pour les mettre dehors. Il va donc falloir faire jouer les zébus francophones ![1]

L’intelligence du dispositif d’approche du couple Lova (Nantenaina et Eva) est impressionnante. En multipliant les digressions sur la vie quotidienne (la vie familiale, les fêtes, les mariages), ils humanisent ceux qui luttent et en situent les valeurs. En prenant comme fil conducteur un agriculteur, Ly (diminutif de Jean-Louis), qui parle avec une grande conscience des rapports de force, ils témoignent de la dignité paysanne. En documentant un atelier de marionnettes pour enfants et son animateur zélé, ils installent une pédagogie sans slogans. En partant sur la légende d’une reine en quête de son âme devant choisir entre celle des paysans ou une âme corrompue, ils situent les enjeux qui vont trouver leurs prolongements dans l’écologie (la biologie plutôt que les onéreux engrais chimiques) et dans la préservation d’une culture ancestrale qui préserve les équilibres et guide les humains. Et en mobilisant le cinéma d’action populaire, qui trouve de multiples formes à Madagascar, ils résument les manœuvres des puissants et convoquent l’humour nécessaire à la lutte.

Par la voix-off de Claudia Tagbo sur des animations et en faisant parler les marionnettes, ils apportent une cohérence à cette complexité en situant le contexte historique et politique, alliant l’Histoire aux temps présents. Dès lors, la mémoire paysanne ne peut plus être dévalorisée comme passéiste mais dynamique pour le futur, le développement devient suspect s’il n’y est pas ancré, les intérêts de la classe dirigeante sont dévoilés face auxquels il s’agit pour le peuple de rebâtir une puissance en mobilisant les possibles. Comme dans tous les mouvements de résistance agissant dans le monde, ce sont dès lors dans les chants et les danses que l’on fait converger les énergies de transformation.

Tout cela pourrait paraître confus si l’on n’accepte pas la façon malgache de raconter une histoire, une oralité faite de multiples digressions qui donne un film kabary (cf. notre entretien). Mais si on se place du point de vue des premiers concernés, les paysans qui défendent leurs terres, tout est lumineux et d’une impressionnante pertinence, issue d’une profonde empathie, d’une connaissance sans faille du terrain et d’une longue réflexion sur la manière et les outils pour transmettre non seulement la nécessité de la lutte mais la beauté de ceux qui la mènent. Dans cette complexité, c’est la dignité des personnes qui s’impose, celle de ceux qui se défendent face à la montée des inégalités et des injustices de notre monde.

[1] Durant le film, on voit un paysan mener ses zébus pour labourer le champ. Il leur dit « droite » ou « gauche » en français et ils s’exécutent. Ce paysan qui parle malgache s’adresse en français à ses zébus car c’est la langue avec laquelle on donne des ordres, vieux reste de la colonisation !

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