So Why ?

Une initiative du CICR

Au deuxième degré
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L’initiative So Why, orchestré par le CICR, se veut un cri consensuel contre la discrimination ethnique et la guerre sur le continent noir. Mais est-elle pour autant dénuée d’ambiguïtés ? Notre collaborateur Soeuf Elbadawi livre son avis. Le débat reste ouvert. A vos crayons !

La musique adoucit les moeurs : cette vieille rengaine est connue de tous, plus besoin aujourd’hui de la rappeler. Sauf qu’à force de la répéter bêtement comme on fait habituellement avec les tubes savonnettes du show-biz triomphant, son sens véritable s’est perdu à travers les âges. On ne sait plus pourquoi elle a été énoncée la première fois et on la dit à la limite pour se donner bonne conscience et surtout pour montrer qu’on est un tel mélomane (qu’on finit par mettre la musique au-dessus de tous les agents de paix du monde). La musique adoucit les moeurs : quelle facilité dans les mots… On en oublie même les voisins qui s’engueulent régulièrement parce que le son de l’un est monté trop fort pour l’oreille de l’autre. D’ailleurs en Afrique, il paraît que c’est souvent comme ça (les voisins qui s’engueulent, voir font pire !) mais pour d’autres raisons. Ethniques par exemple. L’affaire est plus tragique dans ces cas-là : on viole, on tue et on pousse parfois le crime jusqu’au génocide.
Mais comme la musique adoucit les moeurs, le CICR a eu, semble-t-il, une idée géniale. Connaissant la faiblesse des Africains pour le rythme, l’organisation humanitaire s’est débrouillé pour réunir cinq têtes d’affiches du continent (le Congolais Papa Wemba, le Sénégalais Youssou N’dour, l’Angolaise Lourdes Van-Dunem, le Nigérian Lagbadja et le Sud-africain Jabu Kanyilé of Bayete) sur un album (So Why ?) produit par le Franco-Béninois Wally Badarou (avec un clin d’oeil de Lucky Dube) dans l’idée de prouver que les portes de la barbarie peuvent être fermées à jamais. Pourquoi l’horreur ? Le projet pose cette question aux Africains (38 pays le diffusent en télé et radio, dont 8 pays en guerre) à travers différents supports. L’album d’abord. Ensuite le livre, signé par le Nigérian Kolo Omotoso (préface de Mandela). Un documentaire réalisé par le Camerounais Bassek Ba Kobhio. Un clip et les médias, qui, dans un léger sursaut de conscience retrouvée, se doivent de faire finalement écho à ce noble et humaniste projet, accusés qu’ils sont de ne toujours parler de l’Afrique que quand elle veut bien sombrer dans le noir. Non ! A la guerre… Que ceux qui ne partagent pas cette idée le disent, nous les étriperons. Non ! A la guerre, le disons-nous une seconde fois : le voeu peut paraître pieux à certains mais grâce au CICR il fait honneur aux vedettes conviées. Ils ont l’air plus conscients que n’importe quel homme politique africain sur ce disque et nous obligent à revoir notre façon de les juger. L’artiste africain (mis à part les exceptions, nous affirme-t-on !) durant ces dix dernières années était parfois décrit comme un type insouciant, soit vivant en vase clos, soit évoluant dans un univers de légèreté totale où il avait tendance à tourner le dos à la réalité sociale et politique de son pays. Et pourtant Dieu sait quel puissant facteur de réveil des conscience il pourrait représenter.
L’opération s’adresse à l’ensemble de l’Afrique (noire seulement ? Ou bien l’Algérie en fait-elle partie ?). A croire que la guerre est une marque déposée dans cette région du monde. On nous dit  » arrêtez de vous égorger !  » et respectez les civils (?). En plus édulcoré, le message serait qu’il faut éviter de sacrifier les innocents, au nom surtout de certains conflits aux relents ethnisants désagréables (un peu trop vite en besogne, à mon avis !).
Reste à savoir si au-delà de l’opération médiatique que cela va représenter, les choses vont changer. On connaît les limites de l’humanitaire et on connaît en réalité les vrais problèmes qui se posent à l’Afrique actuellement (même si ça n’intéresse à personne de chercher à les solutionner. Trop dur ! nous dit-on). Une musique n’a en tout cas jamais évité de torturer un enfant, un livre non plus. Tolstoï était loin de faire du cynisme gratuit lorsqu’il écrivait cette phrase cruelle :  » Donnez-moi une paire de bottes et je vous donne tout Pouchkine ou Shakespeare « . Et puis on le sait très bien, la barbarie rend sourd. Les Africains ont-ils besoin d’un tel projet pour se rendre compte de leurs  » bêtises  » ? Sont-ils aussi enclins à la barbarie qu’on veut bien parfois (pas tout le temps certes !) nous le faire croire ? Ou bien y a-t-il d’autres raisons qui expliquent leurs situations tragiques ? Lesquelles alors ?
Le projet du CICR est noble (!) dans ses principes de base. Car il permet probablement de dire ce que des millions de personnes n’arriveront jamais à dire devant les tribunaux internationaux. Malheureusement, cela ne va pas plus loin dans la mesure où l’opération n’apporte rien d’autre que de la bonne conscience. Aux artistes d’abord. Au CICR ensuite, avec peut-être (?) des retombées financières, susceptibles de redynamiser sa cause dans une partie au moins de ce monde. Au public enfin qui honore ainsi son humanisme refoulé au quotidien. Bien entendu, les voix vont vite s’élever contre cette façon de voir les choses. Certains vont probablement nous poser l’ultime question : que vous proposez à la place ? Que l’on ne se batte plus pour la paix ? Nous n’avons pas la réponse. Loin de nous une telle prétention. Mais peut-être que le débat peut s’ouvrir, notamment sur le rôle de l’humanitaire et des ONG dans ce type d’actions. Et pourquoi pas sur celui des artistes. Il faudra sans doute trouver de nouvelles formes de combat pour l’avenir. Mais il existe certainement à l’heure actuelle des façons plus efficaces et peut-être plus élégantes (plus dangereuses aussi, on l’avoue !) dans l’expression de son engagement face à la barbarie, qui n’est pas seulement africaine – rappelons-le – mais humaine tout court, si  » ethnisée «  soit-elle…

So Why ? est distribué par Sonodisc. Le livre Woza Africa ! Quand la musique défie la guerre par Kole Omotoso est paru aux éditions du Jaguar.///Article N° : 292

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