Sonny Rupaire est un poète et activiste indépendantiste guadeloupéen. Moins connu qu’Aimé Césaire, son parcours et son oeuvre singulière font cependant de lui une figure importante de la lutte anti-coloniale caribéenne. Des années avant que l’intellectuel Ngugi wa Thiong’o ne fasse le voeu de décoloniser les esprits en abandonnant l’anglais pour le kikuyu, Rupaire avait déjà choisi d’arrêter d’écrire en français ; sa langue créole mêlant alors poésie et engagement, dans un même souffle.
1967. Sonny Rupaire est en Algérie, aux côtés de l’Armée de libération nationale (ALN), lorsqu’il apprend que sa Guadeloupe natale est secouée pour la deuxième fois depuis le début de cette année par des évènements tragiques.
En mars déjà, à Basse-Terre, un commerçant blanc et militant gaulliste avait lâché son chien sur un vieil homme noir. La population scandalisée avait alors manifesté sa colère pendant deux jours. Face à la révolte populaire, des renforts de gendarmes furent même envoyés depuis Fort-de France et Paris. Ces heurts inspirèrent le poème Chyen à Rupaire. Bilingue, il accuse en ces vers : Chyen varé nou / Chyen foré nou / Le chien nous a attaqué / Le chien s’est jeté sur nous.
Sur l’île, l’atmosphère est électrique. Quelques mois plus tard, les travailleurs du bâtiment entament une grève réclamant une hausse de 2% de leur salaire net. Le 26 mai, les manifestants font face à la police rassemblée devant la chambre de commerce. Une rumeur court : Georges Brizard, le président du syndicat des entrepreneurs du bâtiment, aurait déclaré : « Quand les Nègres auront faim, ils se remettront au travail« . Il n’en faut pas moins pour allumer la mèche et des objets sont lancés sur le rang de CRS. L’un d’eux est touché à la tête par un coquillage. La riposte est immédiate, la foule se fait tirer dessus. Jacques Nestor, militant du GONG (mouvement indépendantiste), est tué sur le coup. S’ensuivent deux jours d’émeutes et énormément de victimes parmi les protestataires. En 1985, le gouvernement français reconnaît 87 morts. Pour la Ligue des droits de l’homme ces chiffres sont incertains. Il reste encore aujourd’hui difficile d’enquêter à ce sujet.
C’est à la suite de ces violences que le poète décide de rentrer chez lui et d’arrêter d’écrire en français. Le poème 97-1/5/6/1967 adressé à ses camarades indépendantistes emprisonnés – « ceux de Fresnes, de la Santé et de Basse-Terre » – sera son dernier texte dans cette langue. Celui qui clame être « d’une tête de tropique en colère » écrira désormais avec les mots de son peuple, par solidarité avec ceux qui se soulèvent contre la petite bourgeoisie ainsi que pour rectifier une vision exotique de son île.
Mais avant cet acte d’écriture et de militantisme radical, celui qui toute sa vie endossa différents pseudonymes, connu un parcours singulier, marqué par la poésie et l’engagement dans la lutte décoloniale. « Mes frères / de Haine sont ailleurs / Asie Afrique et Amérique » écrit-il, dans ce même 97-1/5/6/1967, poétisant-là ses expériences de terrain très concrètes.
Alors qu’il n’est encore qu’un jeune enseignant remarqué pour ses talents de poète, Rupaire est appelé en 1961 pour aller combattre en Algérie. Sur les traces de Fanon, il préfère choisir son camp et rejoint les rangs de l’ALN. Là-bas, il rencontrera tout ce que l’époque compte de militants anti-impérialistes. Après un détour par Cuba, il rentre en Guadeloupe. Son engagement poétique et militant ne cesse pas. Il publie en 1971 le recueil Cette igname brisée qu’est ma terre natale / Gran parad ti kou baton, et réintègre l’enseignement.
Jusqu’à sa mort en 1991, il s’implique au sein de différents organes syndicaux et politiques dont les lignes idéologiques décoloniales trouvent aujourd’hui leur continuation dans le mouvement LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon).
///Article N° : 13844