Sorti en novembre 2024, Kumbé est le deuxième album de l’artiste camerounaise et promotrice culturelle Tao. Il compte douze titres. Le Village Noah, à Yaoundé, accueille l’événement. Très honorée de nous accueillir dans son univers artistique, nous revisitons avec elle les pages d’une carrière musicale qui se veut plus ambitieuse et portée par un esprit à la fois très polyvalent et socialement engagé pour plusieurs causes qui préoccupent et restent d’actualité.
De par ses origines hybrides, Tao est le fruit d’une union entre un fils mambay de Guider, dans la région du Nord Cameroun et une mère eton originaire de la région du Centre, dans la forêt équatoriale. C’est donc sans surprise qu’elle s’exprime en langues mambay et eton, et porte fièrement un double héritage culturel. Issue d’une lignée ancestrale et parentale de grands griots, ses débuts dans le monde de l’art ne vont pas tout de suite suivre cette longue veine ; elle est plutôt passionnée par la mode et s’adonne au stylisme-modélisme.
Chose curieuse : pendant qu’elle y est, celui qui est aujourd’hui son manager va fortement remarquer qu’elle adore chanter. Dénicheur de talent hors pair, il finit par tomber sous le charme de cette belle voix et y voit un génie qui sommeille, qu’il faut absolument réveiller et mettre en valeur. ‘’Tu ne veux pas chanter ? Moi, je ne m’y connais pas dans la mode, mais quand je t’entends chanter, je pense que tu as des capacités’’, fera remarquer ce dernier à la future artiste qui s’ignore. À cette question posée, elle répondra par l’affirmative : ‘’Si !’’ Elle nous précise d’ailleurs que : ‘’Nous étions là en 2008 et il était exactement 16 h au moment des faits. À 19 h, sans toutefois m’y attendre, je fus très surprise de voir débarquer chez moi, ce même soir, deux professeurs de musique : un guitariste et un pianiste !’’ poursuit-elle.
Progressivement, elle imprime ses marques, et entend, non seulement, assurer la relève, mais aussi et surtout, une reconnaissance internationale de la culture sahélienne : ‘’Mon rêve est de chanter avec ma garaya dans les mythiques salles du monde, pour dire au monde entier que le Sahel existe !’’ fait-elle savoir. Elle continue, pour ce faire, de travailler durement au quotidien et en appelle, sans jamais le manquer, à la solidarité locale et internationale pour avoir toutes les portes et les voies ouvertes.
En 2011, c’est la sortie de son premier album Olamé qui compte onze titres. En 2015, elle est révélée au grand public avec le maxi single Raoul Bekono dont le compositeur original est le bassiste et chanteur camerounais Mbida Douglas, ex membre du groupe Kassav. Les deux artistes demeurent très liés grâce au contact noué par cette chanson qui relate la triste histoire de la noyade de son neveu en France, lors d’un cours avec ses camarades de classe. La diffusion récurrente de ce morceau, avant la lecture des avis de décès sur le poste national (CRTV), replongeait assez souvent la mère de Tao dans une profonde tristesse : comme la mère du petit Raoul Bekono, elle avait également perdu son fils, grand-frère de Tao, dans les mêmes conditions.
Le folklore et la valorisation des us et coutumes des peuples du Sahel occupent une très grande place dans sa musique. Cela se vérifie à travers ses vidéogrammes, le vestimentaire, les objets musicaux, les pas de danse, l’exécution de bon nombre de ses chansons en langue locale, les décors, l’environnement et la découverte des paysages locaux. Interpellée du haut de son statut d’artiste par les siens et le chef de la communauté Mambay de Guider, elle est nommée ambassadrice de leur culture, avec pour recommandation de la promouvoir partout, et de la porter autant que possible plus haut. Elle rapporte en droite ligne à cela qu’il faut ‘’raconter l’histoire du Sahel sur scène, faire un tout en un, valoriser la culture sahélienne et représenter celle-ci partout’’ où elle est appelée à se produire, tant bien au plan local qu’international.
Ayant, en plus de cela, mené ses propres recherches qui l’amènent à constater que la musique sahélienne n’est pas assez représentée sur le plan local à cause de la qualité des œuvres, l’artiste aux racines des deux pôles du Cameroun prend désormais le problème à bras le corps en s’investissant entre autres comme présidente d’une association artistique dénommée Sahré Amine ; promotrice culturelle et activiste très engagée pour la défense des droits et de la dignité de ‘’la femme sahélienne qui a énormément de problèmes’’.
Dans les faits et les actions sur le terrain, l’ambassadrice de la culture mambay conduit avec succès plusieurs activités dans le cadre de son association. Celle-ci a pour but de valoriser la culture, les rythmes, les instruments patrimoniaux du Sahel, la femme et la jeune fille du Sahel. Trois activités phares constituent son calendrier annuel. Une résidence de création artistique et culturelle, dénommée ‘’Sahel live’’. Deuxièmement, le Festival International des Musiques Sahéliennes, depuis 2021, met en scène tous les artistes du Sahel et fait également venir des artistes d’ailleurs pour magnifier la culture sahélienne et le vivre ensemble. Enfin, le projet Daa’ndé, qui veut dire ‘’voix’’ en fulfulde. Il met la femme sahélienne en avant, a un caractère social de par ses objectifs et se sert de la musique comme vecteur de communication. Il aborde des problèmes tels que les mariages précoces, la différence du genre et la non scolarisation de la jeune fille sahélienne, l’avancée du désert qui contraint les membres à se mobiliser pour le reboisement des espaces sahéliens détruits et pour la protection des zones encore boisées.
Tao revendique marcher sur les traces de ses trois icônes musicales qui sont : Miriam Makeba, Oumou Sangaré et Angélique Kidjo, qu’elle rêve rencontrer : ‘’Je rêve rencontrer Angelique Kidjo. Et, je sais que mon rêve va se réaliser ! c’est clair, parce que c’est mon modèle. J’y crois dur comme fer !’’
Que ce soit au Cameroun comme à l’international, des festivals comme le MASA, Visa For Music, Gabon Music Expo, Mbam’Art, ect. ont accueilli l’artiste camerounaise sur leur scène, où elle a parfois été la seule à représenter son pays.
Au moment où Tao s’apprête à écrire une nouvelle page de sa carrière musicale, elle profite tout de même pour lancer un cri de cœur à l’endroit des mécènes éventuels : ‘’Le Sahel a besoin de tout le monde. Il faut ouvrir les voies et les portes. On a besoin des salles et de la logistique pour valoriser la culture du Sahel.’’ Elle ambitionne rêveusement de développer le brassage de cultures, faire découvrir le Sahel aux autres artistes et au monde entier. Elle est bien déterminée à en faire un combat permanent pour que la culture sahélienne soit respectée et fasse éclore des centaines d’artistes qui font de la vraie musique et non de l’animation.
Désiré ETOGO