J’ai bien connu le professeur Eno Belinga, d’autant plus que je me suis lié d’amitié avec son épouse Thérèse. Grand humaniste, et grand géologue, il était également musicien, conteur, homme de théâtre et poète. C’est du poète dont je veux parler, car c’est celui que j’ai le mieux apprécié, et dont les poèmes m’ont enchantée. Ils ont touché ma fibre poétique, et le poète qu’il était a su encourager chez moi ces élans profonds qui faisaient jaillir de moi des rimes plus ou moins bonnes
Après lecture il savait me conseiller et me guider.
Sa sensibilité à fleur de peau lui faisait écrire des ballades où l’Afrique et la femme étaient encensées, super présentes, magnifiquement décrites dans des poèmes émouvants aux rimes riches et ardentes. C’étaient des odes à la Mère, à l’Amante, à la Femme noire, comme celles regroupées dans la plaquette Ballades et chansons africaines, parue en 1982, qu’il m’avait offerte, où le grand Léopold Sédar Senghor lui écrivait en exergue : »
Vous continuez de montrer la voie. Il s’agit, pour les jeunes poètes qui viendront après vous, de ne pas oublier que le poème, ce sont des choses plaisantes au cur et à l’oreille « . C’étaient des paroles de visionnaires
Visionnaire, il l’était aussi, à la façon que décrivait Fernando d’Alméida » ce porteur de verbe dont la parole impose un ordre nouveau au déséquilibre qui submerge notre vie errante et nous sommes heureux de saluer en lui l’explorateur d’une réalité à peine entrevue « . Oui, il savait explorer le monde, son monde, notre monde. Concomitamment, il explorait le monde de la géologie, celui d’en bas, concret et scientifique, et le monde sensitif et profond, parfois surnaturel, féerique, de la poésie : c’est celui où l’esprit s’envole dans des sphères insoupçonnées et mythiques, avec une liberté de pensée inégalée. Oui, M. Eno Belinga était tout cela à la fois, un scientifique hybride, rare spécimen !
Il aimait la vie, et savait la chanter ; il aimait l’Afrique, et savait la conter ; il aimait la musique, et savait la composer ; il aimait l’homme, et savait l’écouter. Et quand il parlait de l’univers, il en parlait avec foi et respect.
M. Eno Belinga s’en est allé, et je sais qu’il est allé en paix, avec lui-même et les autres. Son corps souffrant a libéré une grande âme apaisée, vite partie, qui a rejoint pour toujours une éternité à sa mesure. Il a laissé sur terre une oeuvre immense et prolixe, où la poésie écrite côtoie l’oralité et la musicalité africaines, où chacun de nous trouve l’essence même de son africanité, et l’on pourrait épilogue avec ce poète de » haut lignage » :
» Nos ancêtres, sils revenaient un jour
Verraient partout et tout autour
Qu’à leur mémoire nous restons sourds,
Que, délaissées, les voies de l’amour
Chez nous et à jamais n’ont plus cours
»
en lui assurant a contrario que nous, ses émules, nous ne resterons pas sourds à sa mémoire, et que les voies de l’amour sont plus vivaces que jamais !
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