Théâtre

Gilbert Doho, Au-delà du lac des nénuphars, Ed. Malaïka, Ottawa, 111 pages

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« Si je meurs,
Emportez ma dépouille… »

Qui, au Cameroun, n’a ouï évoquer les années de braise, cette période de feu et de sang qui marqua au fer l’histoire de cette jeune république ? Qui, hormis les bambins de la toute récente cuvée, n’a eu vent de l’existence du Parlement, structure estudiantine qui réunissait de jeunes gens soucieux de l’amélioration de leurs statuts, et dont certains furent contraints à l’exil quand ils ne sont pas morts, torturés dans quelque geôle ou noyés au fond d’un lac… ?
A travers une satire gonflée de hargne, c’est un sujet aussi douloureux que sensible qui renaît des cendres d’une période que Gilbert Doho fait revivre le temps d’un livre. Au-delà du lac de nénuphars retrace l’itinéraire de ce qui fut perçu comme une subversion nourrie de fond par une opposition dont la ténacité manqua – de peu – d’embraser le jeune État multipartiste ; en même temps, l’auteur survole l’attitude bien peu louable de quelques faucons du pouvoir qu’il abhorre tant que l’oeuvre s’assimile dès lors à une tribune de règlement de comptes.
Si le militantisme de Gilbert Doho mérite révérence, il reste à regretter que l’on perçoive des relents de tribalisme à travers les écrits de ce dramaturge metteur en scène, et par ailleurs professeur associé au département des langues et littératures modernes à l’université Western reserve, à Ohio. L’engagement littéraire n’est-il pas synonyme d’un renoncement à travers lequel l’auteur se dépouille des passions de toutes sortes, pour le seul triomphe de la justice et de l’équitabilité ?
L’oeuvre, cependant, se veut avant tout un fidèle reflet du drame classique ; tous les ingrédients sont réunis pour en faire une tragédie, et c’est avec une surprise teintée de colère que l’on découvre que jadis, ce fut l’enfer pour de jeunes gens dont le seul crime aura été de revendiquer quelques bribes de paradis.
« Si je meurs,
Emportez ma dépouille
Là où le parlement
Régulièrement se tient… »
Pour Gilbert Doho, le théâtre, le vrai, « doit pouvoir traduire les facettes du combat populaire contre les prédateurs qui pilotent la nation ». Prédateurs ? Le mot est vite lâché, sans ambages. Gilbert Doho joue le jeu de la répression morale face à la férocité des pouvoirs. Le livre, une fois épluché, devient ainsi une source d’interrogations qui jalonnent dès lors la mémoire du lecteur, et, outre son caractère revendicatif, cette oeuvre a pour mérite de réunir assez d’atouts qui en font un authentique livre d’histoire ; ainsi apprend-on qu’on fond du lac de nénuphars situé à la lisière de l’université rebelle, des mémoires gisent, celles de combattants fauchés sur le front de la liberté ; mais sans doute ne sont-ils pas assez morts, car, au-delà du temps survit leur hymne, le chant du parlement :
« Si je meurs,
Emportez ma dépouille
Là où le parlement
Régulièrement se tient
Parlementaire, oui, oui
Non parlementaire, non, non
Le parlementaire
Ne faillira jamais ».

///Article N° : 4225

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