L’écrivaine Toni Morrison est décédée le 5 août dernier, à l’âge de 88 ans. Romancière, essayiste, librettiste, éditrice et dramaturge, elle est la première autrice afro-américaine à avoir reçu le prix Nobel pour ses romans « caractérisés par une force visionnaire et une portée poétique, qui donne vie à un aspect essentiel de la réalité américaine ».
Pionnière dans l’écriture, Toni Morrison est la première universitaire noire à occuper une chaire de littérature afro-américaine à la faculté de Princeton, ainsi que la première directrice d’édition noire chez Random House.
En 1992, Toni Morrison publie Playing in the dark, une compilation de conférences données à l’Université de Harvard. Dans cet essai, l’écrivaine analyse le rôle des personnages noirs dans la littérature blanche américaine du XIXe. Elle y déplore la persistance d’une « présence africaniste », autrement dit, une image stéréotypée des Noirs, qui leur nie une individualité propre.
À partir de ce constat, Morrison s’interroge sur la possibilité d’une écriture libérée des préjugés raciaux : « Qu’arrive-t-il à l’imagination d’un auteur noir qui reste toujours conscient de représenter sa propre race devant une race de lecteurs qui se pense comme universelle ou sans race ? ».
Son œuvre foisonnante explore un pan de la mémoire effacée du peuple noir américain : « J’écris sur la culture afro-américaine pour la même raison que Dostoïevski écrivait sur la culture russe : c’est ce que je connais, ce qui compte pour moi, ce qui stimule mon imagination », confie-t-elle dans un entretien. Mais c’est avant tout une manière pour elle de rendre leur dignité aux oubliés de l’Histoire. Écrire pour donner une voix aux « existences périphériques », d’habitude inaudibles dans le récit que les États-Unis se font d’eux-mêmes. « Percevoir l’Amérique blanche comme neige n’est qu’une diversion mensongère », affirme-t-elle.