Trois-Rivières, Capitale de la poésie

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De la diversité culturelle à la poésie des cinq continents, j’ai fait le saut du TGV à l’avion en cette fin du mois de septembre. A Lyon, le Conseil régional a voulu magnifier la diversité culturelle, s’interroger sur le concept, faire quelques propositions. Le Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Mondialisations, maître d’œuvre de l’événement, a mis toute sa philosophie et son art du partage au service de la rencontre. Pour une fois, quelques ministres anciens et actuels venus de loin, philosophes et artistes, décideurs et associations culturelles, et tous ceux qui ont envie d’en savoir un peu plus sur une expression à la mode, ont fait le déplacement à Lyon. Dans cette salle immense, nous avons fait le tour du monde en paroles, en images, en musique. On espère que la diversité culturelle est bien comprise par tous, on espère aussi qu’elle peut être reconnue en acte et d’abord dans cette France où siège l’UNESCO qui a proposé une convention pour la défense et l’illustration du concept. On attend qu’une trentaine de pays ratifient ladite convention d’ici un an pour qu’elle prenne vie, ici et maintenant…
Un TGV m’attendait au sortir des débats. Un train à grande vitesse afin que je ne manque pas cet avion qui devait me conduire plus loin, encore plus loin vers la parole poétique qui ne manque jamais d’air pour faire la fête et être au rendez-vous du partage. 7h pour une autre traversée, de combien de mers, pour être dans cet autre pays dont l’atmosphère diffère des priorités confinées des pays que j’ai l’habitude de fréquenter par nécessité. J’ai toujours été accueillie amicalement, chaque fois que j’ai mis les pieds sur cette terre. De Montréal à Trois-Rivières, en voiture, le temps passe vite. La personne qui est venue me chercher me parle des quinze années qu’elle a passées en Côte d’Ivoire. J’arrive à destination dans une ambiance conviviale. Le Festival a déjà pris son envol. Je suis en retard mais je suis là, c’est l’essentiel. Je connais cet hôtel et cette chambre et cette rue et ce restaurant. Une lecture m’attend le soir même, à partir de 20h locales. Je dois y ajouter six longues heures pour avoir une idée du temps exact qui a cours là d’où je suis partie. C’est une très longue journée mais j’ai appris à me dépenser sans compter. J’ai appris à faire fi de la fatigue même quand le corps me lâche en cours de route. Un hommage à Senghor à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il y a là quelques autorités, des étudiants, des invités et des poètes. L’air froid me fouette le corps. J’aurai le temps de m’y habituer quand le décalage horaire aura terminé son travail. Je ne sais plus avec qui je parle après la soirée. De retour à l’hôtel, je finis par tomber comme masse informe dans mon lit.
Et pourtant, au petit matin, malgré une pluie annoncée par la météo, mon esprit est plein de rêves et mon corps me revient. Je m’y accroche. Un poète que je connais me donne quelques paroles en partage. Il a écrit ce poème pour moi après notre conversation de la veille. Il pense à mon pays qu’il n’oubliera jamais, dit-il. Mon programme, ce dimanche, est très chargé : je dois intervenir quatre fois, d’un lieu à l’autre. D’une lecture dans un restaurant bien connu de la rue des Forges à un débat dans une Librairie tout aussi connue dans cette ville coquette, déclarée Capitale de la poésie, j’ai retrouvé mon corps et mon esprit. J’ai surtout dessiné des rêves de paix et de partage. J’ai l’impression de parler et mes mots m’échappent. Je ne sais ce qu’ils veulent dire. J’espère seulement qu’ils disent quelque chose. Un public m’écoute. Comment oublier ces yeux, ces visages et ces mains qui se tendent vers moi ?
Ce lundi, de nombreux poètes sont à Québec et je pars à Montréal en fin d’après-midi. J’ai le temps de me plonger dans cette nature aux couleurs chaudes d’automne. Mais le chemin me paraît moins long. Un autre hommage à la Maison de l’Union des Ecrivains. Ambiance familiale. Murs tapissés de livres. Ceci est une Maison et le Livre est l’objet essentiel que l’on rencontre au premier abord. Chaque participant rend cet hommage comme il l’entend, en lisant un texte du grand poète disparu, en donnant en offrande un autre texte. Amadou Lamine Sall fait une conférence et surtout lit un poème qu’il a écrit au moment des obsèques de Senghor. Ce long poème touche le public en plein coeur.
Je rencontre un peintre et universitaire français arrivé de Strasbourg dans l’après-midi. Il doit, lui aussi, traverser l’épreuve du décalage horaire. Nous rentrons à Trois-Rivières tard dans la nuit, le ventre léger, sans le moindre fruit (nous n’avions pas ce temps). Mais l’esprit enchanté gouverne la paix du corps.
Et les jours passent, jamais semblables les uns aux autres. Il faut dire que je suis très occupée. D’un lieu à l’autre, je me demande comment je trouve le temps de tout faire. Mais celui-ci est toujours intérieur quand il se partage. Je me sens moins fatiguée. J’ai oublié mon monde et les problèmes de là-bas. Ce mardi-là, au soir, je vais à Shawinigan. Quelqu’un m’explique qu’il s’agit-là d’un nom amérindien. Je ne connais pas cette petite ville. Je n’aurai pas le temps de la connaître. Il se fait déjà tard. Il y a très peu de monde dans les rues. A Shawinigan, Ernest et moi participons à cette émission d’une radio locale. Nous rentrons un peu tard. Et il nous faut trouver à manger. Après 22h30, c’est une autre histoire. Nous n’échappons pas à l’assiette ordinaire de poulet et frites à 23h dans le seul bistrot qui ouvre ses portes à d’éventuels promeneurs en pleine nuit. Dans cette ville, les gens rentrent chez eux très tôt et les restaurants ferment très vite sans attendre poètes ou noctambules. Oui, les poètes sont des noctambules, je veux bien le croire et le clou de ce Festival se passe au Zénob, café-bar mythique vers lequel tout le monde se dirige dès la tombée du crépuscule et pour de longues heures. Là, la poésie se dit, se rit, se pleure, se chante, se déclame et se met en scène jusqu’au petit matin… pour les plus résistants. Une chance, cette année, avec la fumée en moins (loi oblige !) l’air est bien plus respirable et des gens comme moi peuvent passer un moment dans ce café sans chercher la porte de sortie toutes les cinq minutes !
Et ce mercredi est une journée tout aussi enchantée. De temps à autre il pleut des cordes…Et la pluie n’est pas faite pour me déplaire même si, ici, elle est tout de même un peu glacée. Mes chaussures sont toutes trempées et virent au noir, je suis vraiment une fille de l’eau !
Je pense déjà à jeudi. Je vais à Ottawa par l’autobus avec escale et correspondance à Montréal. Le soleil se montre dans un ciel clair, dégagé de tout nuage. C’est la première fois que je fais ce trajet qui dure tout de même de longues heures. Le soir, j’arrive à temps, dans cet hôtel où je suis attendue. Je remarque que la langue française a mis un peu d’eau dans son vin : à Ottawa, l’anglais reprend tous ses droits. Une heure plus tard, je me retrouve à l’Université du Québec en Outaouais. J’apprends qu’après le fleuve, ce n’est pas l’Ontario mais toujours le Québec. Il y a un pont qui sépare le français de l’anglais, d’une université à l’autre, ce n’est plus la même langue, ni le même Etat, je veux bien le croire !
L’hommage rendu ici à Senghor, à l’occasion de son centenaire, semble plus solennel. Il y a plus de monde, plus d’officiels aussi et des Africains et Antillais habitant là ont fait le déplacement. Il y a aussi d’autres écrivains. Je rencontre Angèle que je n’avais pas revue depuis un an et demi. Nous aurons le temps de nous voir plus longuement afin d’échanger les dernières nouvelles du monde des femmes. Et ce vendredi est un autre jour. Je reprends le chemin du retour vers Trois-Rivières. Cette fois, d’Ottawa à Montréal en voiture avec un poète. Nous empruntons une voie sur laquelle l’autoroute tarde à se faire voir. C’est normal. Nous prenons le temps de parler. Et il fait si beau et si lumineux et les lacs et les fleuves sourient au temps qu’il fait.
A la mi-journée, je reprends l’autobus à Montréal. C’est par des détails que l’on voit comment un pays s’occupe ou non du bien-être des humains qui le traversent ou habitent là. Ici les autobus sont confortables, ils partent et arrivent à l’heure. Et les gares sont des lieux où l’on peut prendre son temps, boire, manger, lire, se promener…Ce pays est vaste et, hormis l’avion et le train, l’autobus permet d’avaler des kilomètres sans s’en rendre compte.
Je suis attendue pour un autre voyage moins long. La Pointe du lac est un endroit magnifique, non loin de Trois-Rivières. Ici, les gens vivent les pieds dans l’eau. Dans cette propriété où nous arrivons, nous devons rendre hommage à des poètes disparus. Nous sommes en train d’inaugurer une tradition, comme le disent les discours entendus. Puis nous visitons les lieux. Il faut rêver que cet endroit puisse être, un jour ou l’autre, une résidence d’écriture…
Le plus dur était à venir. L’expérience  » poètes en prison « , à vivre ce soir-là. Et j’étais parmi ces cinq poètes. Quelqu’un (un poète irakien) a demandé à occuper le cachot de cette vieille prison de Trois-Rivières, la plus ancienne du pays. Nous autres avons été dispersés dans des cellules. La claustrophobie n’était pas à l’ordre de la nuit. Je n’ai pas eu peur d’être seule, pendant plus d’une heure, prisonnière dans une cellule plongée dans le noir. Il fallait lire, dans ces conditions, des poèmes en présence de trois groupes de personnes qui ont fait escale furtivement et tour à tour, dans chaque cellule. Je me suis demandée ce qu’ils ont pu ressentir. L’expérience était organisée par une association de défense des droits humains bien connue (que je ne nomme pas ici). Je sais ce que j’ai ressentie, moi, dans ces conditions qui se passent de tout commentaire…A tel point que je n’ai pu aller, à 23h, au Zénob, où j’étais attendue. Ce soir-là, je suis restée dans ma chambre, je me suis drapée de silence.
Samedi, les deux grandes soirées ont accueilli une trentaine de poètes sur scène. Nos paroles furent enregistrées. J’ai cru comprendre que l’entrée était payante. Ici, il est possible de monnayer le partage de la poésie. C’est que toute habitude s’apprend. Et on apprend à aimer la poésie. Ce nom de  » Capitale de la poésie « , attribué par le poète et chansonnier Félix Leclerc il y a une vingtaine d’années, est bien trouvé. Les murs ne sont pas seulement pavés de poèmes. Les humains qui habitent ici sont imprégnés de l’esprit d’un festival annuel qui a forgé des habitudes. On mange en poésie, on prend un café en poésie, on écrit des poèmes, on participe à des concours de poésie. La poésie est l’affaire de tous, des politiques et des citoyens.
Puis un dernier jour tout aussi chargé. Toute une famille est venue me voir dans ce resto où je lisais des poèmes avec d’autres poètes. Je ne sais comment leur dire merci d’avoir été là. Gilles, j’espère que tu diras un grand merci à ta belle-famille…Je vais voir une expo à la Galerie du parc, puis une promenade au bord du Saint-Laurent qui, ici, s’étend à perte de vue. Cette ville mérite bien tous ses noms et ce festival aussi.
Dans cette ville, on serait tenté de dire qu’il y a des abeilles qui oeuvrent nuit et jour pour le partage de la poésie. Mais les abeilles ne sont pas des insectes. Ce sont des femmes. Aucune tâche pratique n’échappe à leur vigilance. Elles tiennent entre leurs mains la vie du festival qui existe depuis vingt-deux ans. Cela m’avait déjà frappée la première fois que je suis passée par là. Maryse est infatigable, sa bonne humeur et sa générosité donnent un cachet particulier à ce festival. De temps en temps elle clone des poètes, elle les place à deux endroits à la même heure ! Mais on en rit, car elle seule a les recettes pour parer à toute défection…Gaston, l’homme-orchestre, est visible le matin. Puis il disparaît, se donnant le temps de la réflexion. Parfois, il présente les poètes, comme à ce dernier hommage à Senghor, le 8 novembre à minuit, au Zénob. Il est éditeur de poésie. Il a coédité Gorée île baobab…Il rend visible la poésie, il lui donne la parole dans les lieux publics mais fait aussi beaucoup de traductions.
S’il y a des panneaux signalétiques indiquant, en rase campagne, les endroits où passent des animaux sauvages, il est nécessaire, comme le disait une poète, que dans une ville on signale :  » ici traversent des poètes ! « . Et Trois-Rivières est l’une de ces villes où déambulent des poètes…

///Article N° : 4592

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