Un bout de chemin ensemble ?

Black logo 1

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A chaque numéro, nous proposerons une nouvelle rubrique Black Logo. Celle-ci, sous la plume de Pascal Blanchard, avait commencé dans le mensuel Dynamiksud aujourd’hui disparu (voir dans le numéro de février 2002 : Des Ailes pour un ange noir !). L’idée est simple : choisir une publicité actuelle diffusée en France, ayant un lien avec l’Afrique ou les Africains, et en proposer une lecture courte de celle-ci. Cette fois, c’est la RATP qui nous invite au voyage…

Au mois de janvier 2002, sur les murs de Paris, une publicité attire notre attention. Aucune stéréotypie nette, bien au contraire, encore que…. Sur cette affiche, un jeune couple métis. Sourire aux lèvres, beaux, symboles de la société multiculturelle Black-Blanc-Beur qui prend le métro tous les jours. De toute évidence amoureux (Week-end à Rome !), de connivence et heureux de vivre. Une campagne parfaite. Elle a même reçu le prix CB News communication. Alors pourquoi la retenir pour notre rubrique Black logo ?
Pour trois raisons. La première, c’est que cette publicité est considérée comme parfaitement correcte. La seconde, c’est que cette publicité a été consacrée par le monde des publicitaires. La troisième, c’est que cette affiche met en scène le couple homme noir/femme blanche. Elle est donc « parfaite » pour notre rubrique puisque tout le monde la trouve « parfaite ». Mais, permettez-moi de la regarder autrement !
La jeune femme est métisse, c’est une évidence et un choix pour renforcer l’exotisme et l’érotisme de la situation. Nous devons la désirer, avoir, comme le jeune homme, envie de partir à Rome, avec elle. L’origine, qu’elle soit fantasmatique (dans la littérature) ou historique (dans le rapport colonial), est de toute évidence à chercher dans ce rapport ancien de la femme noire (métisse) qui s’offre au conquérant blanc. L’inverse, homme noir/femme blanche, dans ce rapport sexué, serait difficilement imaginable, ou du moins nettement moins efficace. En effet, on joue ici sur un fantasme ancien. Depuis Loti, Bordeaux, le docteur Jacobus et même Céline, la littérature d’une certaine époque (celle de la France coloniale) a toujours construit le rapport entre nos deux continents sur le principe d’une relation sexuelle. Les mots en sont la preuve la plus évidente : conquête, pénétration pacifique, domination, soumission… Union française. Depuis le début du siècle, les publicitaires ont eux aussi été séduits par ce corps noir. À la fois comme une valeur chromatique, mais aussi pour signifier un rapport sexuel à ces corps puissants et fascinants. De Joséphine Baker à Grace Jones, le siècle nous raconte ce rapport étrange où l’homme blanc voit dans le corps noir l’ensemble de ses interdits.
Ils « sont » des corps, essentiellement des corps, bon pour la danse, la guerre et l’amour. Fonction ethnique, fonction sociale. La teinte de leur corps révèle la noirceur de leur âme. En fait, cette publicité, en sexualisant « positivement » le corps métis noir, ne renonce pas à ces préjugés les plus profonds, elle les réélabore, transgresse l’interdit, et nous la propose comme une offrande, un fruit défendu. On peut voir son corps, pas le toucher ! Car ce couple reste contre-nature. Cette vénus noire, teintée de mystère, va-t-elle sortir du purgatoire et transcender le mythe de Cham et la malédiction biblique ? De toute évidence oui. Elle va à Rome… Une note optimiste, une voie ouverte pour son âme… Allez, nous aussi, reconnaissons que nous la trouvons « bien » cette publicité, mais cela ne signifie pas qu’elle est « neutre ».

Pascal Blanchard est directeur de l’agence de communication les bâtisseurs de mémoire
[email protected]///Article N° : 2620

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