Installée dans le quartier de Belleville à Paris, la rédaction d’Afriscope (le magazine d’Africultures) a choisi de vous faire découvrir, dans sa série estivale, cet espace multiculturel. Chaque semaine, aux côtés des habitants, découvrez ce quartier au quotidien bouillonnant.
Être artiste à Paris n’est pas aussi facile qu’on pourrait l’imaginer. Pour un artiste, peu importe l’univers qu’il représente. Sa force est de pouvoir l’exprimer librement aux yeux du grand public. Pour cela il lui faut nécessairement un lieu : un lieu pour travailler, un lieu pour exposer. À Belleville, quartier du nord-est de la capitale, ils n’ont pas ce souci. Explication
En sillonnant les rues de Belleville, en cette fin du mois d’août, on peut observer une réalité peu commune. Les artistes, notamment les graffeurs, occupent la rue Dénoyez de jour comme de nuit. Qu’ils soient touriste ou habitant, amateur ou professionnel, chaque passant prend plaisir à admirer leurs uvres en trois dimensions et aime se faire photographier devant cette galerie à ciel ouvert.
En cette après-midi ensoleillée, les graffeurs, torses nus, décorent ces murs de milliers de couleurs, tout en profitant du soleil estival pour bronzer. On rencontre alors des artistes de tous horizons : Julien, 22 ans, vient de la banlieue sud de Paris (94). Il se déplace jusqu’à Belleville pour s’exercer à l’art du graffiti. Pourquoi ce quartier ? « Les habitants de Belleville sont agréables. Chacun fait sa vie. Et tous savent que nous avons le droit de graffer sur ces murs. C’est Belleville ! » lâche-t-il en souriant !
Le street art de la rue Dénoyez
Le soleil est au zénith. La rue Dénoyez, sans espace ombragé, est bondée en ce lundi après-midi. Les gens flânent autour des artistes. L’odeur de la bombe pour graffiti emplit rapidement l’air. Casquette sur la tête, bermuda, t-shirt léger pour laisser passer le maximum d’air
On me présente l’artiste Kouka. Originaire du Congo-Brazzaville, il réside à Paris depuis sept ans. Et depuis sept ans, il frôle les trottoirs et les murs de Belleville. Kouka nous explique son implication dans le quartier : pendant quatre ans, il a animé un atelier d’art pour les jeunes et les adultes avec l’association Traces qui était basée à la Forge de Belleville. Celle-ci, située sur le boulevard de Belleville est actuellement en travaux. Aujourd’hui, il s’occupe de la programmation d’une galerie pour l’association [Frichez-nous la paix] située au 22 bis de cette rue Dénoyez, là même où nous sommes en train de discuter. Avec le collectif [Haut en Couleur] (HEC) et le [PhotoGraff Collectif] (PGC), des dizaines d’artistes s’activent pour défendre localement le street art et le graffiti.
Après trois ans d’animation de la Forge de Belleville, c’est la Caserne éphémère, mandatée par la Mairie de Paris, qui investit désormais les lieux. Une passation d’activités qui laisse Kouka amer. Pour lui, ce sont « les artistes [qui]font vivre ce quartier du point de vue culturel et artistique ». Un sentiment d’avoir été mis dehors persiste.
Même sentiment dans les ateliers éphémères de la rue Dénoyez. Déclarés insalubres, nombre d’entre eux vont être détruits dans quelques mois pour laisser la place, semble-t-il, à des logements. Toute l’histoire des artistes de Belleville est ponctuée de ces menaces de démolition. Dans les années quatre-vingt-dix, les premiers plasticiens et artistes installés à Belleville se mobilisent contre ces destructions massives d’ateliers. Des associations comme la Bellevilleuse ou les Coteaux de Belleville montent alors au front. Ensuite viendra l’époque de la Forge et de l’Association des artistes de Belleville.
Rendez-vous à la Biennale de Belleville
Toutefois, c’est aussi à Belleville, qu’aura lieu la seconde édition de la [Biennale d’art contemporain], du 15 au 20 septembre 2012. Nicolas Milhé sera de la partie. J’ai rendez-vous dans un bar sur le boulevard de Belleville avec cet artiste. Allons-y !
Nicolas Milhé, Bordelais d’origine, vit à Paris depuis une dizaine d’années. Il s’est d’abord installé à Belleville dans le squat [La générale]. Bâtiment laissé vide par l’État depuis dix ans, la Générale a ouvert en février 2005 un laboratoire de création artistique, d’action politique et sociale. Le collectif a créé cette plate-forme sur des principes de gratuité, de mutualisation et d’échange. Plus de 10 000 artistes ont pu venir travailler, y montrer leurs uvres, y préparer leurs spectacles
À l’heure actuelle, le site est destiné, nous dit-il, à devenir une institution publique de psychiatrie.
Artiste contemporain, Nicolas Milhé, plasticien, avoue ne pas « être fan » des graffitis. Mais peu importe leur succès dans ce quartier, il apprécie néanmoins ses rues et ses habitants. Bien qu’il ait déménagé il y a quelques mois du quartier de Belleville, il salue plusieurs passants, blaguent avec les serveurs. Il évoque toutes ces rues explorées pendant des années en gardant le sourire. Il est ainsi fier de participer à la seconde édition de la Biennale d’art contemporain. Une de ses uvres sera exposée près du métro. Une sculpture servant notamment à édifier rapidement et sans fondation des murs de séparation entre deux territoires. Cet ouvrage, déjà présenté à Rennes il y a quelques années, a été recontextualisé à la jonction des quartiers chinois, arabe, juif et pakistanais de Belleville. Avant de retrouver sa petite famille, ce jeune père nous confie qu’en un mot, Belleville pour lui, c’est tout simplement
Babel !
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