« Un outil et non une finalité »

Entretien d'Olivier Barlet avec Ken Lohento

Oridev-ONG, Cotonou
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Une association béninoise engagée, dans un contexte difficile…

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à internet ?
J’étais en documentation, à préparer mon mémoire de premier cycle, en troisième année de l’Ecole Nationale d’Administration du Bénin, et voulais sortir de la documentation classique. Je me suis intéressé à la liste de diffusion du Monde Diplomatique, centrée surtout sur les rapports nord/sud par rapport à l’internet, et j’ai compris que cela cadrait avec mes aspirations. C’était en 1997 et l’internet n’était pas du tout développé au Bénin : il y avait quatre cybercentres, alors qu’actuellement, on en est à trente et plus. J’ai donc fait ce mémoire : « Radioscopie de la connexion du Bénin à l’Internet », puis j’ai rencontré le réseau Anaïs, ce qui a conduit à la création d’Oridev, une ONG qui s’occupe des nouvelles technologies pour le développement et dont je suis le président. Chaque année, j’essaye de rédiger une mise à jour du mémoire, qui est publiée sur le net sur www.sura.org/~patois/docs/benin/ et voudrais me situer comme chercheur sur les nouvelles technologies au Bénin.
Comment avez-vous découvert le réseau Anaïs ?
Quelqu’un en avait parlé sur la liste de diffusion du Monde Diplomatique. C’était le tout début d’Anaïs : juste le site internet et la déclaration de Genève 1996 qui demandait la création d’un mécanisme de ce genre.  A ORIDEV, nous mettons en oeuvre le programme Anaïs au Bénin et développons des projets qui peuvent être soumis à n’importe quel partenaire. Oridev est composé de deux mots : Ori vient d’Oritaméta (qui signifie « carrefour », »communication » en Yoruba) et Dev (développement), le tout signifiant « communication pour le développement ». Cette appellation béninoise est une façon symbolique de nous approprier les nouvelles technologies pour nos propres besoins, avec nos propres spécifités.
Quels sont vos objectifs ?
Tout simplement promouvoir les nouvelles technologies pour le développement ce qui veut dire que nous voulons utiliser l’internet en tant qu’outil et non en tant que finalité, comme on utilise le balaie pour nettoyer une salle. Elles sont là pour prolonger la main. Nous travaillons sur quatre axes principaux : la recherche-action; la documentation dans l’espace Vigie qu’on est en train de mettre en place grâce au soutien financier du réseau Anaïs ; les conférences, ateliers, ou jeux pour promouvoir l’internet ; la formation.
Nos deux cibles principales sont les ONG et surtout les jeunes. Nous ne traitons pas pour l’heure avec les opérateurs économiques pour que notre champ d’activités soit clair et précis. Par contre, nous travaillons avec les ONG parce que dans l’univers émergeant de la mondialisation, nous pensons que la société civile doit pouvoir être un contre pouvoir.
Nous avons fait une campagne d’information dans la presse sur le bug de l’an 2000, des prospectus, des émissions télévisées. Nous préparons aussi un document d’initiation pratique à l’internet, ainsi que des émissions télévisées; nous mettons en place grâce à l’appui de l’INTIF un Point d’Accès aux Inforoutes pour la Jeunesse à Cotonou; nous avons également collaboré avec diverses institutions nationales et internationals  sur divers projets.
Etes-vous nombreux ?
A Oridev, cinq personnes travaillant plus ou moins régulièrement, à 75% comme moi ou bien à 50%. Chacun a également d’autres activités personnelles. Dans le cadre de la mise en oeuvre de certaines grandes activités, nous travaillons avec plus d’une dizaine de collaborateurs sollicités pour l’occasion.  Trois membres du Conseil D’Administration sont employés à temps plein dans d’autres structures. Il y a également des membres sympathisants.
Comment financez-vous les activités ?
Nous bénéficions pour le moment du soutien d’Anaïs pour les projets Anaïs, lesquels peuvent ricocher sur d’autres projets. Les cotisations des membres permettent de petites choses. Et puis nous avons par exemple travaillé avec le PNUD et la Coopération Française sur la fête de l’internet en mars dernier.
Est-ce que cette interconnexion à travers le réseau Anaïs avec d’autres pays joue un grand rôle dans votre développement, votre action, votre sensibilité ?
Oui, il est important de voir comment sont mises en oeuvre des expériences réussies, en Afrique mais aussi dans le reste du monde. Nous souhaitons créer un espace virtuel pour les associations africaines, un village des associations, une communauté virtuelle ou les ONG pourraient communiquer. Sinon, nous développons les services du réseau dans chaque pays comme la cellule de services de proximité.
Est-ce qu’il y a au Bénin une volonté du côté des pouvoirs publiques de développer le réseau ?
Dire non serait mentir, dire oui serait mentir aussi… La conscience du problème est encore faible. Le débit de la connexion béninoise est très faible, 128 000 bytes/seconde, alors qu’on était parmi les premiers pays africains à se connecter. Beaucoup nous ont dépassé. Par exemple le Sénégal qui a commencé après nous a un débit 30 ou 40 fois plus élevé. De même, le réseau téléphonique béninois est saturé, notamment à Cotonou, la capitale économique où il est impossible d’avoir une ligne Mais en octobre, il y a eu un atelier sur le développement des nouvelles technologies au Bénin sur la base d’un plan élaboré par une commission gouvernementale. Le plan n’était pas très fameux : j’espère qu’il sera corrigé et surtout appliqué, ce qui est une autre paire de manches.
La douane est-elle un grand obstacle ?
L’importation du matériel informatique est taxée à près de 40% du prix d’achat ! Heureusement les coûts baissent en Europe et ça se ressent en Afrique, si bien qu’on peut acheter un bon ordinateur multimédia à 700 000 à Cotonou aujourd’hui. Notons que un mois du SMIC français (de l’ordre de 6 000 FF par mois) permet d’acheter un ordinateur alors qu’il faut environ 30 mois de SMIC béninois (23 000 FCFA par mois) pour en acheter un!
Y a-t-il assez de fournisseurs d’accès ?
13 au total, 11 commerciaux et 2 non commerciaux (le Syfed de la Francophonie et le ministère du Plan qui est censé offrir la connexion à l’Administration). Mais sur les 11 commerciaux 5 ne fonctionnent pas encore. Comme ils ne font pas de publicité, le consommateur n’a aucune information pour choisir un ISP : on ne connaît pas les coûts et il y en a qui en profitent. Au niveau d’Oridev, on a fait un petit document qui présente tout les prix des ISP et présente la qualité des services pour s’orienter… Les prix varient entre 7 500 et 30 000 francs CFA par mois.
C’est une différence énorme !
Oui, parce que certains ISP ne distinguent pas entreprises et particuliers. Si le consommateur ne le sait pas, il paiera le prix fort. Les Cybercentres ou les Cybercafés se développent, mais dans 80 % de ces cybercentres il n’y a qu’une seule machine connectée et l’envoi de message est facturé à la page, tout comme la réception et l’impression : à 900 F la page, ça finit par coûter très cher. Là encore, le public ne sait pas qu’il y a des cybercentres qui facturent au mois, à des coûts beaucoup moins élevés, avec une meilleure qualité de service.
A-t-on une idée du nombre de connectés ?
Les abonnements se chiffrent à un peu plus de 3000 mais le nombre d’internautes est supérieur. Une adresse électronique peut être utilisée par 4 personnes (d’après les enquêtes que j’ai effectuées en 1997). Ça fait de l’ordre de 10 à 12 000.
Trouve-t-on sur le net d’origine béninoise des contenus en langues locales ?
Il n’y a pas beaucoup.
Est-ce que ça vous semble problématique ?
Pour moi qui me situe dans une perspective d’unité africaine, je ne vois pas ça comme un problème urgent pour le Bénin, mais c’est une question d’identité, d’expression de soi. Cependant, il faudrait que les langues les plus parlées en Afrique soient sur internet et surtout que ces langues soient parlées par les Africains. Il me semble plus impérieux pour nous de mettre en ligne une langue africaine de communication qu’une langue béninoise. Il faudrait par contre que les Béninois puissent écouter à la radio leur langue pour que le savoir soit vulgarisé dans leur langue, que les langues soient écrites. En ce qui concerne la mise en ligne des informations béninoises en langues locales sur l’internet, des problèmes plus cruciaux existent en amont : seulement 40% des béninois sont alphabétisés dans leurs langues maternelles, l’industrie des langues reste à créer. Cependant, sur le plan africain, la problématique langues et TIC est vitale et urgente.
Internet sert-il déjà à la conservation du patrimoine culturel béninois ?
Le centre Syfed donne beaucoup d’informations sur le vaudou. Un chanteur béninois, Nel Oliver, qui fait une musique métissée, un peu américanisée mais basée sur le répertoire local, propose son CD et sa cassette à la vente sur l’internet et dans le même temps y parle aussi de la culture vaudou et de la culture yoruba. Le développement de pareilles initiatives peut permettre de promouvoir le Bénin. Avant de venir en Afrique, beaucoup de gens surfent sur l’internet pour voir ce que le pays peut lui offrir.
Sinon, deux journaux béninois diffusent sur l’internet, ainsi qu’une radio privée et tous les Béninois de la diaspora l’écoutent, avec des émissions en direct et en langues locales. Ils peuvent aussi envoyer leur point de vue par l’internet pour dire ce qu’ils pensent, comment le Bénin est gouverné etc.
Avez-vous fait le catalogue de ce qui existe ?
C’est en projet mais nous buttons sur plusieurs problèmes techniques : par exemple, ORIDEV dispose d’un bureau mais sans téléphone et nous sommes obligés d’aller dans un cybercentre pour utiliser l’internet et avoir nos adresses électroniques ! Pour les formations à l’internet, nous utilisons des infrastructures qui ne nous appartiennent pas. Selon l’accord signé entre l’OPT qui est l’opérateur télécom national, Alcatel en France et le groupe Titan aux Etats-Unis d’ici quelques années des ordinateurs seront fabriqués au Bénin et même exportés ; le système téléphonique devrait être développé aussi. La promotion de l’internet s’en ressentira. L’espoir est permis!
Mais il faut le temps…
Lorsque 7000 personnes veulent un téléphone sans résultat, ce n’est pas seulement un problème d’infrastructures, c’est un problème de politique, d’ambitions. Les pressions sont fortes pour qu’on privatise l’OPT. Le contexte mondial de globalisation va dans le même sens, les institutions internationales subissant la pression des multinationales. Il ne faudrait pas reproduire l’erreur de certains pays africains où finalement ce sont les multinationales étrangères qui ont tout pris. Le téléphone marche mais plus rien n’appartient aux nationaux…

///Article N° : 1119

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