Un point de vue rwandais sur l’Itsembabwoko

Entretien d'Olivier Barlet avec Joel Karekezi à propos de La Miséricorde de la jungle

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Sélectionné à la Fabrique des cinémas du monde du festival de Cannes 2013, le projet de long métrage de Joel Karekezi revient sur l’Itsembabwoko, mot que le parlement rwandais a retenu pour désigner le génocide de 1994. Entretien sur les enjeux d’un nouveau long métrage sur ce sujet.

Vous avez été sélectionné pour la Fabrique des cinémas du monde qui se tient durant ce festival de Cannes. C’est une chance exceptionnelle qui offre beaucoup de rencontres pour aller plus loin dans le financement de votre projet de deuxième long métrage. Comment cela se passe-t-il pour vous ?
Etre dans la Fabrique parmi les neuf participants, c’est vraiment essentiel car tout est organisé pour nous permettre de trouver les bonnes personnes pour travailler sur notre projet.

Votre projet revient sur l’Itsembabwoko. Il y a maintenant de nombreux films sur ce génocide. Quelle en est encore la nécessité vingt ans après ?
Il y a encore beaucoup d’histoires à raconter : chaque Rwandais a son vécu. J’avais 8 ans pendant le génocide et ce que j’en ai vu au cinéma ne me satisfait pas souvent. Beaucoup de films ont été faits par des réalisateurs américains ou européens, qui ont fait des recherches mais n’étaient pas là durant le génocide. En tant que Rwandais, je voudrais marquer ma vision. La nouvelle génération est connectée sur cette histoire, et doit s’y atteler. Mon premier long métrage portait déjà sur le génocide mais sous l’angle de la réconciliation à travers l’histoire avant, durant et après le génocide de deux amis qui ont grandi ensemble mais dont l’un a massacré. Est-il possible de pardonner ? Comment y contribuer ? Ce sont les questions qui m’occupent chaque jour.

Vous pensez qu’il n’y a pas de réconciliation sans pardon ?
Oui. C’est un vaste sujet. Celui qui a tué vingt personnes et qui est amené à revivre dans la société ne peut pas oublier. Celui qui a perdu ses proches non plus. Mais on doit vivre ensemble. Ce sont des étapes nécessaires pour que la nouvelle génération vive en paix. Il nous faut accepter les choses. Ceux qui ont vécu le génocide ont un grand rôle à jouer pour que les jeunes puissent tourner la page. J’ai perdu mon père mais ne sait pas qui l’a tué. Si je savais qui c’est, pourrais-je lui pardonner ? C’est la question de fond pour vivre ensemble dans les villages.

On n’oublie pas, on pardonne…
Oui, c’est un travail qui ne passe pas seulement par le dialogue. Les mots ne suffisent pas. Un criminel a le devoir de contribuer à la réconciliation. Celui qui a perdu ses proches a le droit de ne pas pardonner. Pour obtenir le pardon, il faut montrer qu’on a changé.

Comment abordez-vous cela dans votre projet de film ?
J’ai essayé de travailler du côté du rescapé, pour étendre cela au criminel, avec l’idée qu’il a le devoir de contribuer à l’éducation de la nouvelle génération. Les survivants étaient cachés : seuls les criminels savent ce qui s’est passé et peuvent aider les jeunes à ne pas tomber dans le même gouffre. Il leur faut utiliser leurs erreurs pour édifier les jeunes. S’ils profitent de leur liberté sans faire ce travail, c’est l’oubli qui dominera et les choses pourront recommencer.

On attend donc qu’ils soient actifs pour préparer une société qui sorte du cycle de la violence.
Oui, dans mon film, le rescapé souffre chaque jour, pris dans le cercle de la mémoire. Le criminel, confronté aux conflits des jeunes, notamment de son fils avec ses amis, oeuvre à leur éducation pour les protéger. Les deux côtés doivent agir ensemble, à commencer par les criminels.

Quand on parle de devoir, on reste dans le discours, avec ses limites. Comment dans votre scénario la fiction implique-t-elle ce devoir ?
Le criminel témoigne sans limite de ce qu’il a fait. Il est prêt à retourner en prison pour que son ami lui pardonne. C’est quand il décide d’aller reconstruire la maison de son ami, qui avait été détruite durant le génocide, qu’il pose un acte de réconciliation.

Comment avez-vous travaillé pour élaborer le scénario ?
J’ai passé une année à faire des recherches. Je me suis basé sur l’expérience de ma famille pour développer les caractères des personnages et asseoir leur épaisseur : leur parcours, leurs inquiétudes. Le film témoigne de l’ambiance dans laquelle nous vivons chaque jour et ne cache pas son message.

Les jeunes réalisateurs au Rwanda sont assez actifs. Comment cela se passe-t-il ?
On est ensemble pour se former et pour former les autres. Cette période est de collaboration entre tous pour que nous soyons nombreux à nous soutenir les uns les autres.

Cannes, mai 2013///Article N° : 11619

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