Il faudrait seulement pouvoir être n’importe quoi et n’importe qui.
Plus que la mesure, l’important est ici la sensation. C’est d’abord une question d’optique. Ici, la visibilité de notre teint crée une sensation de masse qui amplifie une impression d’extranéité. Elle dépasse celle que suscite la présence d’autres personnes, également originaires d’ailleurs, mais physiquement moins prégnantes.
Le regard distingue en premier lieu les contrastes. Pour nous le contraste est fort, la perception immédiate. Il en est de même là d’où nous venons, lorsque nos hôtes actuels se distinguent du nombre spontanément.
Pour atténuer ou contrôler la force de ce premier signe, d’aucuns parmi nous se concentrent sur l’habillement, la posture, voire la clarté du teint. Par ces indications de similitude, de proximité, d’appartenance à un même univers, la distance semble réduite, la communication peut alors s’installer plus facilement.
En premier lieu vient donc l’expérience de la couleur.
En second lieu, une fois passé ce sentiment optique, l’esprit se réveille et dans cette masse distingue des gens, qu’il caractérise à partir d’indices auxquels il accole des significations premières. Il projette ce que nous transportons, ce que nous signifions de loin, de différent, de pauvre, de sport, de danse, de fête, de guerre, de faim, de rires, de musique, d’accueil, d’eau, de piment, de masques, de fatalité et de chatoyance. La projection sera ainsi confortée, complétée ou éventuellement infirmée par la pratique.
Se rapprochant encore, on aborde les relations à ceux d’ici et aux présumés semblables : il y a donc ce que l’on attend de nous. Une valise de connotations, voire de tropismes. Un certain état d’esprit si spécifique qui nous excéderait malgré tout et nous inscrirait dans une typologie de productions sociales, personnelles, professionnelles et culturelles. Un horizon apparemment indépassable.
On s’interroge sur la nature de cette spécificité, de cette valeur à défendre qui serait indifférenciée à l’échelle du continent. Est-ce une attribution, un état, une situation, un projet, un folklore intégré, un mythe ? Une conformation physique, une origine, une culture, une histoire personnelle, une mentalité, une idéologie, un sacerdoce ?
La toute première année d’études en école d’art où j’étais le seul – mais comme il n’y avait pas de grand miroir, je n’y pensais pas – moi tout neuf alors écoutais les dire des uns et des autres enseignants, l’un me souhaitait voir exprimer une identité typique dans les différentes disciplines, ce que je fis après m’être documenté, l’autre me disait que les travaux révélaient un tel fossé culturel entre nous que la communication serait impossible. Je me rendis alors compte de mon statut de représentant et de la vigilance qu’il faudrait désormais exercer pour ne point le subir, mais la vigilance doit elle même être surveillée sauf à conduire à l’autocensure et à l’inhibition.
Il y a ce que l’on sent de soi dans des situations de confrontation géographique. Il y a ce que l’on ressent de soi, par l’entretien quotidien de l’enveloppe sombre et crépue. Ce que l’on sent en soi selon que la naissance ou l’existence nous ait conduit à une immersion totale ou donné une culture parcellaire. Ce que l’on ressent de commun avec les autres par affinité d’expériences, dans ces situations de douleur où par empathie ils deviennent nos semblables, lorsque les choses ne se réduisent qu’à ça.
Franck Houndégla, développe des projets de muséographie, aménagement et design, au sein de l’atelier Bi.cks (Paris) formé avec Jean-Paul Augry et Jean-Luc Mairet, en France et en Afrique de l’Ouest. Il mène des activités d’écriture (prose, poésie, articles) et d’enseignement (ESAD Strasbourg, Ecole du Patrimoine Africain).///Article N° : 6