www.icicemac.com : Comment échapper au piège territorial

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Le site internet dénommé ICICEMAC.COM a vu le jour en décembre 1999, mais il a été mis en ligne pour la première fois en juillet 2001 sur l’initiative de jeunes camerounais Stéphane Martin Fongang et Modeste Mba Talla, tous vivant au Canada. Au départ l’idée génératrice de cette initiative fut bien plus large que celle de ne livrer que des informations des presses nationales des pays de la zone Cemac au monde, ou de faire la promotion de l’image de cette zone. De plus nous voulions cesser d’être des consommateurs passifs de contenus, afin d’affirmer la présence de cette partie de l’Afrique sur la toile du monde, tout en devenant des producteurs de contenus numériques. Nous voulions par là même sortir les diasporas des pays de la zone Cemac du piège territorial dans lequel ils étaient enfermés.
Rendu à la troisième année de présence sur internet, nos prédictions ont été largement dépassées. Le nombre de visites journalières symbolisé par les clics des internautes, ainsi que leur engouement est là pour témoigner du succès de ce portail. Ce succès est non seulement tributaire de la facilité de connexion à ce site qui est hébergé sur deux serveurs installés sur l’un des plus grands back-bone des Etats-Unis l’incorporation d’une bande à haut débit dans les installations du site icicemac.com facilite son accès à partir de n’importe quel endroit du monde, mais aussi de sa mise à jour régulière, de sa convivialité ergonomique et les différentes rubriques qui composent le site.
Aujourd’hui www.icicemac.com est une sorte  » d’informel transnational  » qui déjoue les frontières d’une zone qu’elle est censée couvrir. Car avec ce site, toute référence territoriale physique et matérielle s’estompe. Ainsi grâce à lui, nous participons à une construction d’une identité totalement délocalisée sinon a-localisé. Cette création d’une nouvelle spatialité permet à Icicemac non seulement de contester la permanence territoriale, mais surtout vient répondre au besoin des millions de Camerounais, de Gabonais de Centrafricains de Tchadiens de Congolais ou encore d’Equato-guinéen de l’intérieur et de la diaspora qui vivent de plus en plus dans des espèces de micro-espaces à la fois localisés et délocalisés. Icicemac se caractérise ainsi par l’émergence de territorialités multiples ou l’espace se recompose grâce à l’action participative des internautes éparpillés aux quatre coins du globe. Si pour Badie, le territoire fait partie des fondements ontologiques de l’homme (1), dans ce sens il est considéré comme un instrument de l’autorité des gouvernements, objet selon O’Tuathail d’un  » géo-pouvoir  » c’est-à-dire la donne politique de la pratique géographique (2).
C’est cette incapacité à dépasser le territoire, d’imaginer d’autres formes d’espace d’autres lieux de délibérations qui a conduit le Sécrétaire général de la Cemac et le président gabonais Omar Bongo à menacer les propriétaires du site www.icicemac.com de les traduire en justice, supposément exprimaient-ils leur mécontentement suite aux narrations dérangeantes, non laudatives et parfois dénonciatrices de ce site. Ces deux dignitaires sont malencontreusement restés prisonniers de l’impératif territorial. Selon Denis Retaillé,  » L’impératif territorial c’est l’établissement d’un déterminisme simple qui permet d’établir l’information et de prévoir l’action.  » (3) Dans la même veine, pour Robert Sack, la territorialité est considérée comme  » une composante du pouvoir, un moyen pour créer ou maintenir l’ordre, une stratégie pour créer et maintenir une grande partie du contexte géographique à travers lequel nous faisons l’expérience du monde et le dotons de significations  » (4). Heureusement, le cyberespace ou la cyberculture est le sommet des processus de déterritorialisation où la construction de l’espace par icicemac.com est essentiellement narrative. Cet espace d’inter- subjectivité marque une césure des relations de souverainetés, ce qui permet ainsi de se défaire des tentatives de prise de contrôle par un appareil politico-administratif d’Etat. Le site icicemac.com peut idéalement se situer dans ce que l’on peut considérer comme un  » informel transnational  » favorisant des résistances multiples et plurielles, mais surtout porteuse de revendications pas toujours contradictoires, mais souvent divergentes.
Pour Constantin François  » L’informel transnational est, par ce caractère plus qu’un système de défense efficace pour les groupes sociaux en situation de précarité parce qu’ils sont minoritaires ou marginaux au sein des systèmes étatiques (…) Le recours à l’informel transnational est moins le fruit d’une perversité morale ou politique qu’une réaction ingénieuse pour échapper aux entraves, aux blocages, aux défaillances engendrées non seulement par les déficiences de l’Etat sous développé, mais aussi par l’excessive bureaucratisation de l’Etat moderne.  » (5)
Dans ce sens Icicemac.com s’inscrit dans une certaine recontextualisation de l’espace dans lequel on peut intégrer les paramètres de fluidité et de complexité de la mondialisation, qui permettrait de saisir avec clarté le cadre spatial complexe qui s’impose aujourd’hui aux diasporas de la zone Cemac. L’on peut aisément tracer un parallèle entre l’ontologie ou la raison première du site www.icicemac.com et le troisième espace dont fait référence Edward Soja. Un troisième espace qui peut être réel et imaginé, mais un espace de narration et d’intersubjectivité.. Cet espace de représentation offrirait aux citoyens du Cameroun- Congo, Gabon, Guinée- Équatorial, Centrafrique, Tchad, et leurs amis, des perspectives pouvant leur permettre de s’affranchir de certains déterminismes imposés. Cet espace non concret offre également des possibilités de création et des perspectives de dépassement à travers l’appropriation par ses communautés de leur condition. C’est ce qui se traduit de manière fort saisissante dans les propos de Soja,  » I would describe as a Thirdspace consciousness provide a new political grounding for collective struggles against all forms of oppression, whatever their sources and at what ever geographical scale they are expressed, from the intimacies of human body(what the poet Adrienne Rich once called the’geography closest in’) to the entrapments built in to the global political economy.  » (6)

1. – Badie, Bernard, La fin des territoires, Paris, Fayard, 1995.
2. – O’Tuathail, Gearoid, Critical Geopolitics, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996, p.1.
3. – Retaillé, Denis,  » L’Impératif territorial « , dans B.Badie et M-C. Smouts (eds), L’international sans Territoire, Paris, L’Harmattan, Cultures &Conflits, 1996, p.33.
4. – Sack, Robert, Human Territoriality, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p.219
5. – Constantin, François,  » L’informel internationaliséou la subversion de la territorialité », dans B.Badie et M-C. Smouts (eds), L’international sans Territoire, Paris, L’Harmattan, Cultures &Conflits, 1996, pp.9-17.
6. -Soja, Edward, « Thirdspace : expanding the scope of the geographical imagination », dans D. Massey, J.Allen , P.Sarre (eds), Human Goegraphy Today, Cambridge, Polity Press, 1999, p.270.
Modeste Mba Talla est journaliste, spécialisé en communication internet. Il est diplômé en Relations publiques de l’Université de Montréal et en Information – communication de l’Université de Moncton, et titulaire d’un Master en Développement International à Halifax (Canada). Co-fondateur de Azedcom (1999) et propriétaire du site www.icicemac.com, il assure le développement des contenus et des plans de communication Internet. [email protected]///Article N° : 3554

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