Il y a longtemps maintenant, j’étais traducteur. J’eus ainsi l’occasion d’adapter de l’allemand quelques romans écrits par des Occidentaux pour la jeunesse sur des histoires d’enfants ou d’adolescents du Sud. Je percevais mal à l’époque à quel point ces histoires montées de toutes pièces étaient ethnocentrées. L’auteur développait le point de vue d’un jeune d’une culture autre comme s’il pouvait parler pour lui. Bourré de bonnes intentions et sans davantage se rendre compte de l’incongruité de sa démarche que moi qui le lisais et le traduisais, il développait des personnages supposés permettre à un jeune public occidental de s’identifier, c’est-à-dire où toute altérité était gommée dans les sentiments, les modes d’action, les logiques, stratégies et conclusions.
14 kilomètres part de la même logique, malheureusement pas si rare en littérature comme au cinéma. Le résultat est affligeant car plutôt que de contribuer à sa compréhension ouvrant à une solidarité, il cultive le malentendu et ramène l’Autre, l’immigré, sur un terrain victimaire et manichéen ne conduisant qu’à une bien passive et stérile compassion. Le désir de décrire les aléas du parcours de l’immigration clandestine sur le parcours africain, c’est-à-dire surtout la traversée du désert et les passages de frontières, s’embourbe ici dans une vision touristico-pathétique du parcours, l’image alternant des plans d’avion esthétisant la sauvage aridité du désert avec l’agonie des assoiffés. La romance parfaitement improbable entre les deux principaux personnages démonte toute tentative de leur donner une épaisseur liée à leur propre histoire. On saura juste qu’elle fuit un mariage forcé et qu’il rêve de jouer dans un club de foot européen. L’utilisation du français (étonnante dans un film espagnol qui n’aurait pas eu besoin de ce détour) dans des situations où cette langue est exclue comme des femmes lavant le linge au marigot renforce cette théâtralité forcée. Pour faire avancer le scénario, nos héros pourront traverser les obstacles et apitoyer des policiers
C’est là que la colère monte, tant la tragique réalité est déformée pour les besoins d’une histoire fleur bleue qui a le culot de finir en happy end.
Des films existent, réalisés par des réalisateurs issus des populations concernées, qui offrent un regard de l’intérieur autrement plus cohérent et pertinent, comme Frontières de Mostefa Djadjam. Et si plutôt que de se fourvoyer aussi gravement, on contribuait à mieux les distribuer ?
PS : Notons qu’il se réalise en Espagne des téléfilms autrement plus convaincants sur les questions d’immigration. Un fiancé pour Yasmina (Un novio para Yasmina) d’Irene Cardona joue sans prétentions d’entrelacs sentimentaux pour mettre en relations Espagnols et immigrés dans une comédie classique et pas très critique d’une société où le racisme est plutôt gommé, mais bien menée et très vivante.
Plus intéressant, Retour à Hansala (Retorno a Hansala) d’une autre réalisatrice, Chus Gutiérrez, aborde les corps échoués sur les plages d’Algeciras du point du vue du croque-mort qui fait son business de leur retour au pays. Mais le voilà embarqué avec une Marocaine dans une expédition qui lui ouvrira les yeux lorsqu’il découvrira la réalité de son village. Bien qu’également de facture classique et n’échappant pas au sentiment, le film propose au grand public un autre regard. La réussite de ces deux films tient justement à leur façon de prendre l’ethnocentrisme comme sujet.///Article N° : 8306