À première vue, le Maroc peut passer pour un pays où la bande dessinée est reine : le pays a abrité ou abrite plusieurs festivals de bande dessinée (Tétouan, Fès, Kénitra, Casablanca) et compte avec l’Institut National des beaux-arts de Tétouan, la seule filière BD de l’Afrique francophone. Malheureusement, la production de BD au niveau local ou dans la diaspora reste faible et la BD reste un genre mineur au Maroc, même si on constate un certain frémissement depuis quelques années. Retour sur une histoire vieille de plus de 50 ans.
Le marché de le Bande dessinée (BD) s’est longtemps plutôt bien porté au Maroc. Les titres les plus populaires étaient des œuvres traduites en langue arabe (Goldorak, Bissat-Errih, Tarzan), des magazines pour la jeunesse provenant des pays du golfe tels que Majid et Bassem mais aussi des illustrés et albums en français : Zembla, Pif, Marvel ou des classiques du genre de Tintin et Astérix ou des éditions Disney. Peu de productions locales, cependant. A partir des années 90, le marché s’effondre à l’exception de quelques poids lourds comme Majid ou Disney. Vingt ans après, cet art ne s’est toujours pas imposé dans la société marocaine. En 2011, un article du journal marocain Le matin estimait qu’il n’y avait pas plus de 4 ou 5 publications par an et que les ventes moyennes ne dépassaient pas les 500 exemplaires [1]. La BD est en général considéré comme une sous littérature réservé aux enfants. En conséquence, le nombre d’auteurs est également très faible et se compte sur les doigts des deux mains [2]. Retour aux sources de cette histoire.
La première trace d’une bande dessinée marocaine remonte à l’époque coloniale, à l’année 1950 plus exactement où à Tétouan est diffusée une BD d’une vingtaine de pages en arabe, Sakr Assahra (Le faucon du désert) d’auteur inconnu. Les productions suivantes remontent au début des années 60. Il s’agissait de planches publiées dans des journaux et revues, en particulier dans deux revues satiriques créées par Hamid Bouhali et Mohamed Filali : Tekchab et Satirix. Ce dernier titre avait pour sous-titre « Journal de bandes dessinées politiques » et proposait des planches de BD très critiques sur un plan social, dessinées par Filali Mohamed, Hamid Bouali et Sebbane. Puis, de 1982 à 1990, le Maroc lance l’une des rares tentatives africaines d’utilisation de la BD à des fins pédagogiques, avec A grand pas. Histoires en bandes dessinées (Imp. Najah el Jadida), un ensemble de livrets d’histoires en bande dessinée destinée aux élèves de l’enseignement fondamental. Ils faisaient partie de la série Ensemble pédagogique pour l’enseignement du français et étaient édités par le ministère de l’Education nationale. Le manuel pour la 4ème année primaire (1988), par exemple, contenait trois histoires : TOP 1 fait la soupe (19 planches), Myzoul et Safa (29 planches [3]) et Aladin et la lampe merveilleuse (36 planches). Comme pour Sakr Assahra, on ignore les noms du scénariste et du dessinateur. Celui pour la 5ème année primaire (1990) proposait trois autres histoires : Robinson Crusoé, En chute libre, Ali Baba et les 40 voleurs.
Les BD « politiques »
La BD Marocaine a d’autres spécificités qu’il est bon de souligner. Le Maroc est l’un des très rares pays africains où la BD a servi de relais à des témoignages dénonçant des atteintes aux droits de l’homme et des exactions des forces de police et de sécurité.
En Afrique, si les dessinateurs de presse et caricaturistes ne s’en privent pas, les bédéistes sont en général plus discrets et attendent le plus souvent d’être en exil pour témoigner. Tel n’est pas le cas de Abdelaziz Mouride (1950 – 2013) qui, en 2000, a publié On affame bien les rats ! (Éditions Tarik et Éditions Paris Méditerranée), témoignage poignant de ce que furent les années de plomb au Maroc. Dans la pénombre de sa cellule, l’auteur, membre fondateur du courant d’extrême gauche « 23 mars », a dessiné jour après jour toutes les étapes de sa longue et traumatisante détention. En 2004, Abdelaziz Mouride publie Le coiffeur (Éditions Nouiga), chronique douce-amère d’un salon de coiffure pour hommes dans un quartier populaire du Casablanca des années 70. Le propos est plus léger que dans son précédent album mais la critique sociale et politique affleure à chaque planche. Professeur aux beaux-arts de Casablanca, il avait lancé en 2004, avec ces étudiants, le magazine Bled’Art, premier journal de BD du pays, qui ne dura que quelques numéros. Abdelaziz Mouride s’est éteint le 8 avril 2013, après une longue maladie [4]. Il avait longtemps travaillé à une adaptation du roman de Mohamed Choukri, Le pain nu qu’il a eu le temps de finir avant de décéder, mais qui n’a jamais trouvé d’éditeur.
Autre témoignage des années de plomb, celui de Mohammed Nadrani dans Les sarcophages du complexe : disparitions forcées de (éditions Al Ayam. 2005) qui, avec un style plus naïf, revient sur cette période et son lot de prisonniers politiques. L’auteur a été incarcéré dans un centre de détention connu sous le nom de « Complexe de Rabat ». D’où le titre de la BD, associant les pénibles conditions d’incarcération des jeunes militants des années 1970 à des sarcophages [5].
En 2014 et 2016, le congolais Gildas Gamy résidant alors au Maroc, a sorti pour l’AMDH (Association marocaine pour les droits de l’homme) deux albums pour l’abolition de la peine de mort au Maroc : « Raconte-moi l’abolition de la peine de mort » et « Mortel moratoire »
En avril 2015, est sorti le premier tome d’une BD intitulée Je m’appelle Ali Aarass (sous-titre La vie d’avant), qui retrace l’histoire d’un détenu politique. Mais, oeuvre du français Manu Scordia, il ne s’agit pas à proprement parler d’une BD Marocaine.
Les BD « patrimoniales »
La bande dessinée a également été utilisée à des fins patrimoniales, en vue de raconter la culture et l’histoire du pays et d’en dessiner ses figures émergentes.
Ce fut le cas en 1979, avec Il était une fois … Hassan II (de Serge Saint-Michel, Bernard Duffosé et Philippe Sternis. Éditions Fayolle. En arabe ou en français) qui n’était pas du tout une BD marocaine, mais qui relevait cependant de l’album panégyrique, du fait d’un soutien financier du régime marocain. D’autres albums de la même équipe sortirent sur le même modèle à la même époque sur Ceauscescu, Eyadema …
En 1993, la trilogie Histoire du Maroc en bandes dessinées (dessins d’Ahmed Nouaiti, scénario de Wajdi et Mohamed Maazouzi) évoquait l’histoire nationale de la préhistoire à 1961. En 2004, l’Institut Royal de la culture amazighe (ICRAM) publiait la première BD en langue berbère, intitulée Tagellit nayt ufella (La reine des hauteurs) qui raconte les aventures d’une jeune reine luttant contre les forces du mal pour protéger son peuple. L’objectif premier de cet album d’une vingtaine de pages, réalisé par Meryem Demnati, était d’aider à la promotion de la langue et de la culture amazighe. Mohamed Nadrani a sorti en 2007 un second ouvrage où il se penche sur un pan récent de l’histoire marocaine : la guerre du Rif à travers la biographie de Abdelkrim El Khattabi. Cet album, L’émir Abdelkrim, est sorti en deux versions, arabe et française aux éditions Al Ayam. Il a aussi été édité aux Pays-Bas qui compte une grande communauté marocaine. Enfin, le nouveau code de la famille a fait l’objet d’une adaptation bilingue (arabe dialectal et français) intitulée Raconte moi la nouvelle moudawana afin de le rendre plus accessible à la population aussi bien résidente au pays qu’immigrée.
L’Hadj Belaïd de Larbi Babahadi (Éditions Sapress, 2007) relate l’incroyable destin du chanteur marocain L’haj Belaïd, devenu une légende dans son pays. Après de nombreux petits boulots, le souissi décide un jour de se consacrer à sa passion : la musique. Il se lance en chantant l’amour et la beauté des femmes, et devient bientôt une célébrité, apprécié de Lyautey et de Mohammed V. Il enregistre de nombreux disques avec le label français Pathé Marconi. Il s’éteint en 1946 et ses chansons sont souvent reprises par la jeune scène musicale marocaine. Ce premier album au dessin simple et efficace sur des textes en français, amazighe et arabe, est une réussite. L’année suivante, Larbi Babahadi auto-publie, avec son frère (Mahfud), Les racines d’Argania, album mettant en scène des figures mythologiques grecs ayant fouler le sol marocain.
En 2017, Babahadi publiera un album sur le tremblement de terre qui a détruit en partie Agadir en 1960.
Plus récemment, en 2015, le réalisateur Ayoub Qanir a souhaité raconter l’histoire de la marche verte en bande dessinée. Pour réaliser ce projet, il a confié l’écriture du scénario au journaliste Omar Mrani et les dessins à l’illustrateur Juan Doe, habitué des productions Marvel. Ce projet, qui doit paraître en trois langues (français, anglais et arabe) devrait sortir en 2017.
Une production régulière d’albums pédagogique et de sensibilisation.
Ecole de qualité (2004) et Notre vie, notre environnement (2006), sont deux ouvrages publiés sous l’égide de l’UNESCO par Mohamed Benmessaoud, professeur d’arts plastiques à Tanger. Celui-ci a aussi publié avec A Chbabou, une série de 16 fascicules sur l’histoire de l’islam en langue arabe. L’agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg a sorti en 2008 Tempête sur le Bouregreg (Dessins : Hassan Maanany, ancien élève de l’INBA sur un scénario de l’éditeur Miloudi Nouiga) pour expliquer aux plus jeunes les travaux qui vont profondément modifier les villes de Rabat et de Salé. Par ailleurs scénariste et éditeur, Miloudi Nouiga a dessiné Les objectifs du millénaire album portant sur les droits des enfants au Maroc, pour le PNUD en 2006. Ces deux albums ont été distribués gratuitement aux écoles marocaines par ces institutions.
Quelques éditeurs se sont lancés dans la publication de bandes dessinées. C’est le cas du peintre, illustrateur et éditeur Miloudi Nouiga, au sein de la maison d’édition qu’il a créé : Nouiga.
Il y publie un premier album de Jean François Chanson en 2006, Maroc fatal. L’album est constitué de quatre nouvelles racontant le destin singulier de marocains et leur rencontre souvent violente avec la mort. Le titre est un clin d’œil au célèbre « Major fatal » de Moebius. Ces histoires en noir et blanc n’hésitent pas à évoquer des thèmes dérangeants comme le hrig, les problèmes de prostitution, l’alcoolisme, les nouveaux rapports hommes-femmes, les tensions arabo-amazighes ou la corruption policière. Une des nouvelles, Destins Symétriques, croise les destins similaires d’un occidental et d’un marrakchi. En arabe et en français, le récit est organisé en miroir, jouant sur les sens convergents de lecture des deux langues. En juin 2008, Chanson lance un deuxième album chez le même éditeur, une suite de Maroc fatal, intitulée Nouvelles maures. En 2010, Jean François Chanson encadre un album collectif sur l’émigration, La traversée, l’enfer du Hrig. Ce ne sont pas moins de 18 auteurs français (Alexandre Clérisse, Cédric Liano, Nathalie Logié Manche, Patrice Cablat, Louis Hugue Jacquin, Jean françois Chanson), africains (l’Ivoirien Sékou Camara, le Congolais Gildas Gamy et le Camerounais Yannick Deubou Sikoué) et marocains (Ahmed Nouaiti, Malika Dahil, Khaled Afif, Mohamed Arejdal, Issam Bissatri, Larbi Babahadi, Miloudi Nouiga, Abdelaziz Mouride, Ismaïl Ezzeroual, certains étant diplômés de l’INBA de Tétouan ou des étudiants des Beaux-arts de casablanca ) qui abordent le thème de ces jeunes marocains ou originaires de pays d’Afrique sub-saharienne qui tentent le passage illégal vers l’Europe via le nord du Maroc.
En 2017, Nouiga sortira l’album pour la jeunesse Le chien des Oudayas, dessins de Hassan Maanany et scénario de J.F. Chanson. En 2010, ce dernier avait sorti chez Yomad éditions, un mini-album, Tajine de lapin, autour du nouveau tram reliant Salé et Rabat (en français, arabe et amazigh). En 2014, Yomad sort une nouvelle BD avec l’appui de l’Ambassade de France au Maroc et l’Instance Centrale de Prévention de la Corruption (ICPC) : Nisrine et la corruption dans le cadre d’une campagne de sensibilisation à la corruption à destination de la jeunesse.
En 2012, une maison d’édition spécialisée en bande dessinée voit le jour à Casablanca : Alberti, créée par Saïd Bouftass avec l’aide de J.F. Chanson. Cinq albums suivront jusqu’en 2013. Ce sera tout d’abord un mini-album à vocation écologique : Foukroun et les tortues de la Maâmora de Jean François Chanson et Hervé Furstoss.
Suivra l’année suivante, Les enfants du royaume (de Jean François Chanson et Nathalie Logié Manche) sur la situation des enfants au Royaume. Puis ce sera Tagant : la forêt des mystères d’Omar Ennaciri, une fable écolo-futuriste. Ce dernier a obtenu en 2016 un prix au concours libanais Mahmoud Khalil pour un projet financé par le ministère de la culture, Le défi, déjà primé au festival de Tétouan la même année. Le gadiri avait publié précédemment en Algérie, Abîme chez Dalimen édition en 2012.
Alberti a aussi publié Les passants de Brahim Raïs, bel album pacifiste sans dialogue relatant les actions d’un sniper durant une guerre non nommée. Cet album avait été auparavant édité en Algérie chez Dalimédition. Plus tard, en 2016, Brahim Raïs éditera un deuxième album chez le même éditeur : Le grand silence.
Enfin, Aïcha K. de Damien Cuvillier et Jean François Chanson qui traite d’une histoire d’amour entre adolescents dans le haut-atlas. L’album sortira en trois versions : arabe, français et amazigh.
En 2012, le groupe INWI diffuse une série en ligne, Switchers [6]. Alberti décide d’en faire une adaptation en BD, avec des étudiants de l’école des Beaux-Arts de Casablanca, Malika Dahil ainsi que Jean François Chanson au scénario. Un album sort en 2013. Depuis Alberti est en sommeil, laissant un important sentiment de frustration derrière lui. Contrairement à la série, Switchers n’aura pas de tome 2.
En 2016, Nouiga sort un autre ouvrage, Anyuu, objet hybride à cheval entre le livre illustré et la BD, qu’il dessine lui-même sur un texte de Camilia Cherif-Messaoudi. Soutenu par l’Ambassade de France, cet album partait de la quête d’un voleur à la recherche d’une lame invincible.
Depuis quelques années, le ministère de la Culture subventionne des projets de bande dessinée et d’animation à travers un programme de soutien à la création culturelle. Plusieurs albums ont, de ce fait, vu le jour au cours des années 2015 et 2016 : Le guide casablancais (Rebel spirit productions), album bilingue de Mohammed Amine Bellaoui sur le quotidien à Casablanca [7], Taht Sifr de Zakaria Tmalah, Aicha et le chat de son père (en 2015, album bilingue également) de Said Nali (coscénarisé par Zakaria El Amrani) et enfin Agadir Oufalla de Khalid Daoudi, entièrement en langue arabe. En 2017, sont sortis également Ighraa al a3ali de Zakaria Tmalah et Vaudou de Hicham Lasri, chez le Fennec. D’autres projets ont bénéficié de soutiens financiers mais n’ont pas encore fait l’objet de publications : Générosité de Issam Elasri, Le prince noir de Ismail Oulhaj Alla, La victoire sacrée de Houda El Arabi, L’aigle du sahara de Hicham Absa, J’aime pas le foot de Omar Ait Skou Zaid, Shama de Mariam Lakhdar, Zroods de Jihad Eliassa, Ghoula de Sami Ameur, Kawarit de Mohamed Oulmoumen, Vendeur d’eau entre hier et aujourd’hui de Abdellatif El Ayyadi, Errabta de Youssef Ouazzani Thami, Ser fer de Nadir Elarraoui, Le défi d’Omar Ennaceri. Certains de ces projets sont en darija.
Il y a également des démarches individuelles comme celle de Saïd Oumolou. Celui-ci propose à ses lecteurs de dessiner les histoires qu’ils imaginent et de les diffuser sous la forme d’une revue en noir et blanc nommée En-BD, dont le premier numéro est sorti en mars 2016.
Se former à l’INBA de Tétouan
En 2000, un département Bande dessinée a été mis en place à l’INBA (Institut National des Beaux-Arts de Tétouan) dans le cadre de la coopération entre le ministère de la Culture et la délégation Wallonie-Bruxelles à Rabat. La première promotion, constituée de sept étudiants (dont Saïd Nali, futur professeur à l’INBA et responsable du Festival de Bd de Tétouan) sort en 2003. Les promotions suivantes n’en auront pas plus. La région Wallonie-Bruxelles, via son agence de coopération l’APEFE, envoie un enseignant les quatre premières années. Le premier fut Denis Larue (précédemment professeur à l’Ecole supérieure des Arts de Saint Luc – Bruxelles) actif de 2000 à 2002, qui pilotera le premier numéro de la revue Chouf. Il fut suivi par Renaud de Heyn (2002 – 2004), qui contribua à l’organisation de la première édition du festival. En 2005, Saïd Nali, lauréat de la première promotion, succèdera à ce dernier comme professeur de bande dessinée et de composition.
D’autres auteurs viendront animer des stages : Stephen Desberg, Marianne Duvivier, Cossu. Le français Cédric Liano y enseignera également durant un an.
De 2003 à 2016, ce ne sont pas moins de 65 jeunes marocains qui ont été formés aux techniques de la bande dessinée. Cependant, pour différentes raisons, peu d’entre eux concrétiseront leur passion en publiant un album, individuel ou collectif.
Le festival de bandes dessinées de Tétouan, organisé par l’Institut National des Beaux Arts, est né en 2004. Il a fêté en 2016 sa 10ème édition [8]. Près de 70 auteurs y ont été invités, aussi bien de France (une quinzaine dont Tehem, Baudoin, Rypert…), d’Espagne (une dizaine), de Belgique (sept), d’Egypte, de RDC, du Cameroun, de Suisse, du Sénégal, Liban, Tunisie et bien évidemment du Maroc (1/3 des participants) (9)[9]….
Chaque année, un concours de projets y est organisé. En 2016, les lauréats étaient Sara Naji, Omar Ennaciri et Ismail Oulhaj Alla. D’autres Festivals ont vu le jour à travers le pays (Kénitra, Fés, Rabat) mais n’ont pas eu autant de longévité. Il y eut même en novembre 2016 le lancement d’un premier festival de bandes dessinées organisé à travers ses huit antennes par l’Institut français du Maroc.
La difficile existence des revues spécialisées
En dehors de la tentative quasi mort née de Bled’Art, d’autres revues BD ont émergé dans le paysage éditorial Marocain. Auparavant, de 1996 à 1998, une revue bimestrielle éducative arabophone, El Safina (le bateau), proposait des planches de BD pour ses jeunes lecteurs. Le dessinateur en était Zakariah Asfraoui (Les rêves de Katkout). En 2002, avec le soutien – on l’a vu – de Denis Larue, les étudiants de l’INBA de Tétouan créent l’association Chouf (10)[10] et publient leurs travaux au sein du magazine du même nom. Celui-ci a connu quatre numéros à ce jour, les trois premiers en 2002, 2003 et 2004, le dernier en 2013. Le magazine est constitué d’histoires courtes réalisées par des étudiants et lauréats de la filière. Le premier numéro contenait sept histoires d’Iman Douayou (Sardino), Rachid Belfkih (né en 1978 – Le parcours), Nourddin Bouali (né en 1972 – Identité), Saed Tirizit (né en 1976 – La vengeance), Mohamed Kharkhour (né en 1980 – Le destin), Lamisse Khairat (né en 1981 – Drôle de mouton) et Said Nali (né en 1980 – La récolte d’Ayachi).
Le second numéro, paru l’année suivante, était encore plus copieux puisqu’il contenait dix histoires et 68 planches. On y retrouvait Said Nali (Lotto), Mohamed Kharkhour (Malake), Lamisse Khairat (La brebis rêvée), Rachid Belfkih (Le rêve du flutiste), Nourddin Bouali (Le scénario), Saed Tirizit (La carte des secrets) déja présents dans le premier numéro mais aussi Redouane Hammouchi (né en 1978 – Le monstre du volcan), Ahmed Rouissa (né en 1976 – Monstre d’aujourd’hui), Rafik El Makouef (né en 1974 – Rencontres), Samir El Kaoukabi (né en 1974 – Moustache de chien).
Quelques années après, ils récidivent avec un fanzine en ligne, Livre, qui connait deux numéros sur Internet avant de s’arrêter. En 2009, parait BédoMag, magazine satirique de BD entièrement gratuit et diffusé à 20 000 exemplaires à Casablanca [11]. Dirigé par Abdou Slaoui [12], dessiné par Louis Hugue Jacquin, Hassan Kadiri, Mehdi Laâboudi et Hamza Chaoui, BédoMag développait un style proche de Fluide glacial. Financé entièrement par la publicité, le magazine s’arrêtera après trois numéros.
Skefkef, dernier magazine de BD paru dans le pays, a sorti en octobre 2013 son premier numéro [13]. Il faisait suite à un atelier dirigé par Mohamed Shennawy, le fondateur de la revue égyptienne Tok tok. Y participent Bouchra El Ghoul, Salah Malouli, Mehdi Anassi, Normal et beaucoup d’autres graphistes du royaume comme Zineb Benjelloun [14]. Le collectif fait partie de la mouvance artistique casablancaise L’boulevard dont le centre névralgique se trouve aux anciens abattoirs de la capitale économique. Ce numéro sera suivi de six autres par la suite(15)[15], avec à chaque fois un retentissement de plus en plus important du fait de l’utilisation du darija, d’un langage cru et leur proximité avec les nouvelles cultures urbaines émergeant dans le royaume. En ce sens, Skefkef se rapproche d’autres revues indépendantes comme Lab 619 (Tunisie), Tok tok (Egypte) et Samandal (Liban).
En mai 2016, Khalid Gueddar (né en 1975) lance une revue satirique intitulée Baboubi (le chien). En dehors de caricatures et dessins de presse, cette revue propose une série BD, Halouma, sur une page.
Les auteurs marocains ont également utilisé le support numérique pour diffuser leurs travaux. Avant Baboubi, de 2006 à 2010, Khalid Gueddar publiait la série M6, l’homme qui ne voulait plus être roi sur le site français Bakchich, au grand dam des autorités Marocaines. Sa famille au Maroc a été inquiétée par la police locale qui a sommé l’exilé d’interrompre ses activités dans Bakchich sous peine de représailles. Il retourne au Maroc en 2008 et poursuit là-bas son travail de critique de la société marocaine.
En 2012, il fait l’objet d’une nouvelle inculpation de la part du tribunal de première instance de Casablanca pour avoir caricaturé un cousin du roi, Moulay Ismaíl, dans le quotidien marocain Akhbar Al Yaoum. Gueddar et son directeur sont accusés « d’outrage au drapeau » ainsi que « manquement au respect dû à la famille royale » et condamnés à trois ans de prison avec sursis. Il a été encore dernièrement de nouveau embêté par le pouvoir.
De 2012 à 2014, le dessinateur Hicham Habchi (Pyroow) et le scénariste Mehdi Yassire (Koman) ont diffusé sur facebook et twitter, Ramadan hardcore [16], une BD hebdomadaire qui illustrait des situations humoristiques inspirées du vécu quotidien pendant le mois de ramadan. Entièrement en Darija, suivi par près de 2000 fans, cette série mettait en scène les personnages emblématiques des réseaux sociaux Marocains tel que Bouzebal, Le Prasson et surtout Miloud.
L’édition 2015 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême a lancé un concours « Révélation blog » [17]. L’un des 30 finalistes était un marocain, auteur et animateur du blog Bonnet du forme [18] préfèrant garder l’anonymat.
On peut aussi trouver des blogs et sites ici et là comme Blad l7égra [19].
Enfin, en 2016, l’association Racines a publié trois BD sur internet afin de sensibiliser la jeunesse à la vie politique, au vote : Kalboub Yacoute et le parlement [20], Nouafal et la commune[21] et Aladdin et le berrad régional[22]. Toutes étaient dessinées par la jeune Zainab Fasiki [23] et scénarisées par Mohamed Rahmo.
Les MRE [24] de la BD
À l’étranger, quelques professionnels marocains se sont fait remarquer dans le milieu du 9ème art. On peut citer Youssef Daoudi, ancien caricaturiste, sous le nom de Yozip au milieu des années 90, qui quitte son travail dans une agence de publicité pour commencer une carrière dans le 9ème art.
Avec le scénariste français Philippe Bonifay, il entreprend les trois tomes de La trilogie noire de Léo Mallet (éditions Casterman) : La vie est dégueulasse (2005), Le soleil n’est pas pour nous (2006) et Sueur aux tripes (2007). Par la suite, il dessine les deux tomes de la série Mayday, un thriller sur les accidents aériens (Air danger et Dernier cargo), suivi de deux one shot : Ring, qui se passe dans le milieu de la course automobile et Tripoli, ouvrage revenant sur un épisode méconnu de la première guerre barbaresque opposant les Etats-Unis à des états du Maghreb au début du 19ème siècle. Installé en France, il était auparavant dessinateur de presse pour La vie économique de 1995 à 1997 sous le nom de « Yozip » et avait également travaillé dans une agence de publicité.
Le Français d’origine Marocaine Afif Khaled (né à Tanger) est installé à Angoulême depuis 1997. Diplômé de l’École des Beaux-Arts en 2000, il est embauché dans une société de jeux vidéo pour téléphone portable, comme illustrateur et animateur pour site web. En 2001, il illustre avec Jean-Pierre Andrevon une bande dessinée dans le mensuel KOG l’encre monde. Il travaille également avec le collectif Angoumoisin, Choco Creed, et participe au 2e et 3e numéro sortis en 2003 et janvier 2004. Il publie entre 2005 et 2007 les trois tomes des Chroniques de Centrum (Soleil Édition), adaptation du roman de Jean Pierre Andrevon, Le Travail du Furet à l’intérieur du poulailler (paru en 1983) qui en assuré le scénario. Il a également dessiné le tome 8 de la série Kookaburra Universe, chez Soleil production : Le dernier vol de l’enclume (2007). Par la suite, Afif dessinera le tome 3 de la série Spyder, Dragon céleste (2008), les deux albums de la série Illimité (2012, 2013 – Soleil production), Jack Black (2012 – Soleil Production), Pacific invasion, tome 2 des divisions de fer (2014).
Mehdi Cheggour, ancien élève de l’ESAV de Marrakech, a sorti en 2017 aux éditions Française Ankama l’ébouriffant album Enormous.
Les auteurs étrangers qui ont séjourné au Maroc et qui en ont été influencé.
Certains dessinateurs européens ayant travaillé à l’INBA reviendront de leur séjour sur place avec un album se déroulant au Maroc : Denis Larue avec La maison d’éther qui parle des disparitions durant les années de plomb (en 2009 chez Futuropolis, avec l’aide au scénario de Christian Durieux), Renaud de Heyn avec Soraïa (2012 chez Casterman) qui traite de ce nouvel esclavage que constitue la vente des enfants de la campagne aux familles aisées des milieux urbains, Cédric Liano avec Amazigh (en 2014, chez Steinkis), album sur l’expérience vécue par l’artiste Mohamed Arejdal lors de sa tentative de traversée de la Méditerranée.
En dehors de Tintin (Le crabe aux pinces d’or), d’autres auteurs ont publié des albums se déroulant au Maroc. C’est le cas de Daphné Collignon, auteur de Coelacanthes (2 tomes) et de Le rêve de pierres (avec I. Dethan, aux éditions Vents d’Ouest) qui a été quelques années professeur à l’ESAV de Marrakech et Patrick Morin a décroché le premier prix « jeune talent » au dernier festival d’Angoulême avec une BD humoristique sur le Maroc qu’il connaît bien.
Michel Plessix a séjourné plusieurs années près d’Essaouira. Cela se ressent beaucoup dans sa série, Le vent dans les sables. Enfin, plus récemment, on remarquera la sortie en mars 2017 de Morocoo Jazz de Julie Ricossé.
Les talents existent, les envies ne manquent pas. Certains éditeurs comme Nouiga, aimeraient publier plus de BD, mais l’absence de marché réel freine tout développement prévisible du 9ème art dans le pays. La situation de l’édition de littérature « classique » ou jeunesse n’est guère plus enviable, les librairies disparaissent les unes après les autres et il y a peu de bibliothèque. La distribution et la diffusion des livres est l’objet d’un quasi-monopole. La solution passerait sans doute par la production d’ouvrages bon marché, à couverture souple, diffusés hors des réseaux traditionnels du livre.
- Cet article a bénéficié de l’apport sympathique et précieux de Jean François Chanson, Amine Hamma et Choubeila Abassi.
[1] http://lematin.ma/reader-2007/files/lematin/2011/12/29/pdf/09.pdf
[2] Confirmé par cet article du Soir échos : http://www.maghress.com/fr/lesoir/37557
[3] Pour visualiser quelques extraits : https://marocomicsblog.wordpress.com/2016/04/22/top-1-fait-la-soupe/
[4] Cf. http://www.yabiladi.com/articles/details/16588/maroc-abdelaziz-mouride-pere-marocaine.html
[5] Dans son ouvrage I fumetti nel Maghreb, Bepi Vigna signale une autre BD : Dans les entrailles de ma patrie, mais il s’agit probablement d’une erreur.
[6] http://serie-switchers.blogspot.fr/
[7] Le tome 2 doit sortir durant le premier semestre 2017.
[8] Il n’y eut pas d’édition en 2009, 2001 et 2013.
[9] A l’occasion de l’édition 2015, l’INBA a édité un ouvrage intitulé 15 ans de bande dessinée à Tétouan, qui donne des renseignements très utiles sur l’histoire récente du 9ème art dans le pays.
[10] Cf. leur blog : http://chouflabd.blogspot.fr/ et leur page facebook : https://www.facebook.com/LA-BD-MAROCAINE-Association-Chouf-جمعية-شوف-144108628991969/
[11] Cf. un article Jeune Afrique sur ce magazine : http://www.jeuneafrique.com/202833/culture/un-fanzine-made-in-morocco/
[12] Ci-joint une interview d’Abdou Slaoui expliquant les conditions dans lesquelles BédoMag a été créé : http://yawatani.com/index.php?option=com_content&view=article&id=4956:bedo-la-bd-marocaine-se-dessine-des-lettres-de-noblesse&catid=48:livres&Itemid=23
[13] Cf. http://telquel.ma/2014/12/11/skefkef-bd-moque-maux-de-la-societe_1426006
[14] Qui est également présent dans la revue libanaise de BD, Samandal.
[15] Le N°7 est sorti en février 2017.
[16] Cf. https://www.facebook.com/RamadanHardcore
[17] http://www.huffpostmaghreb.com/2014/12/27/bd-maroc-bonnet-du-forme_n_6384308.html
[18] http://bonnetduforme.blogspot.fr/
[19] http://maroc-bande-dessinee.blogspot.fr/
[20]http://www.racines.ma/sites/default/files/BD%20Kalboub%20et%20le%20parlement%20%28Fran%C3%A7ais%29.pdf
[21]http://www.racines.ma/sites/default/files/BD%20Naoufal%20et%20la%20commune%20%28Fran%C3%A7ais%29.pdf
[22]http://www.racines.ma/sites/default/files/BD%20Aladdin%20%28Fran%C3%A7ais%29.pdf
[23] Dont le projet Omor devrait sortir incessamment.
[24] MRE : Marocains résidant à l’étranger.