Ainsi squattent-ils, de Marie Maffre

Le paradis des mal-logés

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Le droit au logement n’est pas formellement inscrit dans la Constitution française, mais il est considéré comme un droit fondamental, constitutif d’un véritable droit constitutionnel. Cependant, même s’il est établi dans les conventions internationales ratifiées par la France et le préambule de la loi du 31 mai 1990 pour le logement des plus défavorisés, le droit au logement n’a pas encore trouvé de véritable concrétisation en France et dans la majorité des pays industrialisés.
Avec la crise du logement et la crise tout court, ajoutée à la rénovation urbaine, l’accessibilité des bas revenus à l’habitat populaire est de plus en plus problématique. Pourtant, un peu partout, le nombre de logements inoccupés augmente. Des lois prévues dans les cas de crise du logement restent inappliquées malgré l’urgence de la situation, en particulier la loi de réquisition sur les logements vacants.
Comme pour tout, les choses ne changent que sous la pression des personnes concernées. Dès 1945, les mouvements familiaux ont organisé dans l’ensemble de la France des actions collectives d’occupation de logements vacants et revendiqué l’application de la loi sur les attributions d’office (loi de réquisition). En 1954, l’appel de l’Abbé Pierre avait amplifié le mouvement et contraint les pouvoirs publics à appliquer la réquisition puis à lancer une politique de construction pour loger les bas revenus. C’est depuis 1986 que des mal-logés et sans logis luttent à Paris, et se sont organisés en 1990 dans l’association « Droit au Logement » qui a fédéré les divers groupes au niveau national en 1998.
Pour les jeunes en recherche de logement, le jeudi est une journée noire : celle de la chasse aux petites annonces. D’où le nom du collectif « jeudi noir (les galériens du logement) », créé en 2006 pour dénoncer la bulle immobilière : clairement politique et provocateur, ce groupe de militants dénonce en tous sens ceux qui profitent de la situation et occupe notamment des bâtiments vides par « des invasions provisoires et joyeuses » (1). C’est cela que documente le film de Marie Maffre : l’occupation de deux bâtiments par ce collectif qui ne manque pas d’audace d’endroits parmi les plus en vue de la capitale, un grand hôtel particulier de la place des Vosges inoccupé depuis 40 ans et un immeuble de bureaux vides mais chauffés d’Axa avenue Matignon ! Vont dès lors alterner les images de l’occupation, de l’organisation sur place (eau, électricité, sanitaires, etc.), de la prise de décision (collective), des animations (ciné-club, fêtes), des inévitables expulsions et entre-temps des soutiens concrets d’hommes politiques effectivement présents et des négociations juridiques du collectif et de leur avocat avec la police et les autorités.
Marie Maffre ne cherche pas une pseudo-objectivité et se situe clairement du côté des squatters car son intérêt n’est pas de faire un état des lieux de la problématique mais de poser la question que soulève ce collectif : comment lutter contre la gentryfication (l’embourgeoisement des villes) en créant des espaces non marchands où s’innove un autre type de vivre ensemble. D’où le focus du film sur ce collectif militant et l’insistance sur les problèmes du quotidien et la gestion collective d’un espace illégalement occupé et dont chacun sait donc qu’il ne peut être que provisoire. On ne voit donc pas des familles mal-logées qui ne peuvent se permettre une galère aussi incertaine mais de jeunes squatters, étudiants fauchés ou travailleurs précaires, tentés par l’ivresse passagère d’une aventure collective dans un endroit légendaire (certains organisent même des visites « touristiques » historiques de l’hôtel de la place des Vosges).
Etalé sur deux ans, le temps d’approfondir et d’être là au bon moment (y compris lors de l’expulsion, ce qui a valu à la réalisatrice une garde à vue et la saisie de la caméra et des rushes), ce travail documentaire capte la vie et les enjeux à l’œuvre. Financé par un appel réussi à contributions sur le site de crowdfunding touscoprod (7000 €) et par une aide de la Fondation Abbé Pierre, il a été réalisé à l’arrache, sans intérêt des télévisions. La région Île-de-France a par contre aidé la postproduction.
Tourné sans grande poésie et suivant la chronologie des faits, le film intéresse plus qu’il ne captive mais a le mérite non seulement de nous plonger dans la problématique du logement, que les bien-logés ignorent bien souvent, mais aussi de nous faire partager le combat de quelques indignés dont le militantisme force au respect. Sa qualité est de le faire de façon sensible et sans écrire un manifeste, dans l’immersion d’un vécu partagé. Il est situé à l’époque de la présidence de Nicolas Sarkozy mais les choses n’ayant pas beaucoup évolué, il n’a rien perdu en actualité !


Ainsi squattent-ils – Bande Annonce – Des soutiens par Ainsi-Squattent-Ils

1. Cf. introduction de Collectif Jeudi noir, Le Petit livre noir du logement, La Découverte, 2009.http://www.jeudi-noir.org
http://droitaulogement.org///Article N° : 11548

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