Clermont 2018 : qu’est-ce qu’un bon court métrage ?

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Le court métrage, on aime ! Il est léger, il a de l’idée, il est condensé, novateur. Qu’est-ce qui fait un bon court métrage ? Exploration de la sélection « Regards d’Afrique » de la quarantième édition du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand (2-10 février 2018), ainsi que des quatre films africains de la compétition.

« Sauve qui peut le court métrage » : c’est le nom de l’association créée en 1981 qui porte le festival de Clermont et c’est bien le sempiternel combat pour un format de cinéma confidentiel, particulièrement peu visible. Certes, les quelques 350 festivals de cinéma que compte l’espace français lui rendent en général honneur et certains s’y sont spécialisés. La télévision offre parfois des courts à des heures impossibles. Les bonus des dvds permettent de voir les courts des réalisateurs confirmés. Et l’internet, bien sûr, devient un lieu de diffusion privilégié.

Un peu d’Histoire

En France, on avait souvent dans les salles un double programme avec deux longs et donc pas de place pour un court. La loi de 1940, confirmée par celle de 1948, a rendu le court obligatoire en début de séance. Les recettes de la salle (3 %) allaient au court métrage, mais la loi ne précisant pas les contenus, la promotion a pris le dessus, si bien qu’une nouvelle loi en 1953 a supprimé l’obligation du court en même temps qu’elle imposait une prime à la qualité. Le double programme est donc revenu mais la profession (le « groupe des 30 », réalisateurs défendant le court) a réagi en organisant un festival de courts métrages à Tours de 1955 à 1971, puis à Grenoble, Lille pour enfin se fixer en 1982 à Clermont-Ferrand. L’Agence du court métrage date de 1983 et a un catalogue de diffusion de 10 000 titres, 1 300 nouveaux par an, une revue critique, etc.

Un court métrage, c’est court !

Qu’est-ce qui fait qu’un court métrage nous restera en tête ? Qu’il aura éveillé en nous un espace de complicité, d’émotion, de plaisir qui restera gravé ? Que nous nous serons sentis concernés, touchés, mobilisés ? Que nous ayons envie de le revoir une nouvelle fois, voire de le diffuser ? Que nous en parlions autour de nous ?

La première difficulté d’un court métrage est qu’il est court ! Il n’a pas le temps d’un long pour donner une épaisseur aux personnages, rendre compte de la complexité de la vie, établir une relation avec le spectateur. Son enjeu est dès lors de dépasser le temps, de l’élargir, de se l’approprier, d’évoquer une résonnance, un hors champ sans limite qui permettra au spectateur de plonger en lui-même et de compléter ce que le film ne dit ou ne montre pas. C’est dans cet espace incertain, le temps du monde, que se situe sa réussite.

Les trois minutes de Awake, de Justus Macharia (Kenya, 3′), excellente animation de collages sur une voix-off et une musique répétitive, sont ainsi un bel exemple d’un film qui dit beaucoup mais dit bien plus qu’il ne dit. Qui ne s’est pas réveillé un jour en rêvant d’en finir avec le monde, les autres, les soucis ? Dense et concis, le film livre le ressenti d’un matin embrumé par les préjugés des autres, par la mise à l’écart qui fait naître l’envie de meurtre et finalement rêver d’un autre jour…

Bien sûr, la tentation est la prouesse technique, la carte de visite, le clin d’œil affirmé qui fait plaisir et gagne les faveurs de la salle à force de boursouflures. Alors que le court devrait être un lieu d’innovation et de recherche, un laboratoire. C’est là que s’enrichit sans cesse l’écriture et la grammaire du cinéma. Si bien qu’un court tombe à plat s’il ne prend pas de risques, s’il n’expérimente pas, s’il ne dérange pas.

Que dire dès lors de Mama Bobo, de Robin Andelfinger et Ibrahima Seydi (Sénégal, 17′) ? Il démarre comme un conte sur un air de kora et fonctionne comme une énigme : une vieille femme va toujours s’asseoir à un abribus sans jamais prendre le bus, à la recherche de son mari défunt qu’elle s’imagine rejoindre au marché. La disparition de l’abribus dans les travaux de rénovation de Dakar aura raison de son rêve. Le charme de ce film très soigné tient dans la douceur de son traitement, dans la présence de cette grand-mère au visage expressif à l’écran, très belle dans ses habits soignés, dans le regard de sa petite fille et dans la tolérance générale de cette famille qui voit la grand-mère partir dans la folie. Ceci dit, ce touchant scénario pourrait se passer n’importe où et n’apporte pas grand chose si ce n’est – mais c’est peut-être beaucoup – la douceur d’un regard et le témoignage d’un monde qui s’éteint.

Hum, de Willem Grobler (Afrique du Sud, 24′), une sombre histoire de complot tournée en afrikaans, peut faire penser qu’il réussit à déranger avec sa forme de thriller psychologique : Thomas est considéré comme schizophrène paranoïaque par son docteur qui lui fait administrer de violents électrochocs pour neutraliser le bourdonnement (hum) qu’il entend en permanence. Cela risque cependant de lui faire perdre la mémoire, alors qu’il pense être l’objet d’une cabale. Il lui faudra beaucoup d’énergie pour regagner l’amour de sa femme. Cela tient en haleine, bien qu’on ne pratique plus aujourd’hui les électrochocs rebaptisés sismothérapie que sous anesthésie. Le film est bien fait mais quel en est l’intérêt ? Il y aurait donc une vérité cachée et soigneusement gardée ? A-t-il pour ambition de témoigner du mal-être des Afrikaners dans l’Afrique du Sud post-apartheid, une impossibilité d’y trouver sa place ?

Le risque dans la forme

Pour que le court métrage évoque autre chose qu’une prouesse technique, il faut que le risque qu’il prend soit dans sa forme comme dans son propos, tant les deux sont inextricablement reliés, en un ping-pong nécessaire et vertueux. Une poésie est à trouver qui ne soit pas là pour séduire mais pour ouvrir la part de mystère des personnages, à l’écoute du rythme des êtres et des choses, sans rester prisonnier du scénario. C’est dans cet écart et cette relation que se joue l’art, cet art qui est l’exception et non la règle comme le disait Godard, et qui n’a rien à voir avec l’académisme et la « belle image ». Si bien que le court pourra renverser les perspectives, bousculer les idées reçues, affirmer son altérité comme geste de création.

Dem Dem! (Partir !) de Pape Bouname Lopy, Marc Recchia et Christophe Rolin (Sénégal, 24′, tanit d’argent aux JCC 2017, compétition internationale), film à trois mains car issu d’une rencontre, parle de départ puisque Matar, un pêcheur sénégalais, trouve un passeport afro-belge qui lui ressemble sur une plage de Dakar et décide de l’utiliser. Mais il va plus loin en jouant carrément la carte de la poésie et du décalage : Matar croise N’Zibou, un fou-savant qui mesure les nuages et le questionne sur son identité. Quant à sa femme, engagée dans les révoltes étudiantes, elle finit par comprendre sa quête. Développant une belle épure, centrant ses personnages en des plans fixes méditatifs à la Ozu, jouant sur des métaphores très ouvertes, le film intrigue et fascine. Il en ressort une figure humanisée de l’immigré, le spectateur mesurant ce qu’il a quitté.

Aya, de Moufida Fedhila (Tunisie, 24′, compétition internationale) adopte non seulement le point de vue de l’enfant mais aussi sa capacité de rêve, et du coup sa force de résilience. Le père de la petite Aya doit composer avec l’imam et les cousins salafistes qui lui viennent en aide mais n’arrêtent pas de faire pression pour que sa femme porte le Niqab et qu’Aya lâche l’école publique pour ne plus aller qu’à l’école coranique. Aya est ainsi au centre de la contradiction, ce qui finira par bousculer le fragile statu quo. Remarquablement filmé et mené, ce récit aussi drôle que subtil est finalement un film sur le courage de l’émancipation.

Les deux frères de Roujoula, d’Ilias Dupuis El Faris (Maroc, 22′, compétition internationale) sont différents. Fayçal est étudiant, Imad vend des dvds piratés. Imad a tendance à mépriser Fayçal et le force à faire des petits boulots dans la rue pour gagner l’argent nécessaire à l’achat du mouton de l’Aïd, mais Fayçal se débrouille mieux que lui… C’est à partir de cette histoire simple et apparemment sans intérêt qu’Ilias El Faris tisse une toile de petits détails, de petits défis, de petites victoires où se glissent des étincelles de vie. Le vieux thème biblique du combat des frères se trouve ainsi renouvelé dans la manière qu’a Fayçal de prendre la balle au bond et d’inscrire ainsi sa revanche sur son frère sans devoir l’humilier. Et nous concerne donc directement.

L’essai formel de Sea of Ash, de Michael MacGarry (Afrique du Sud, 2015, 12′, sélection JCC 2016) laisse quant à lui assez froid. Aucun dialogue mais une musique dramatique souvent assourdissante pour suivre les images d’immigrés rescapés d’un naufrage dans les eaux italiennes, tentant d’échapper à la police, puis d’un homme qui apprend la mort de sa mère sur sms et se fond dans la nature et une architecture géométrique avant de retourner à la mer. Cette évocation poétique de Mort à Venise perd en humanité ce qu’elle gagne en déréalisation.

Sea of Ash – trailer – short film written and directed by Michael MacGarry from Michael MacGarry on Vimeo.

La trace des films

Le court métrage est une double démarche : un geste de création et un geste d’existence, au sens d’une nouvelle culture, dans une filiation vécue comme une tension. Comme tout film ou toute œuvre d’art, un court pose une question. Un cinéaste qui apporte la réponse ne fait pas de l’art : il délivre un message. « Quel est le message du film ? », lui demande-t-on souvent. Ce n’est pas une question de cinéma. Un film est une question, qui hante le réalisateur. Il fait un film pour avancer dans sa recherche et en rendre compte, comme on lance une discussion. A chaque spectateur de donner ses propres réponses.

Un film sans réponse peut quand même donner la réplique. C’est ce qui nous intéresse au cinéma : par quels moyens le film dialogue-t-il avec nous ? Ce sont dès lors les films qui ne se donnent pas d’emblée qui nous plaisent davantage. Ces films qui demandent à être déchiffrés sans forcément nous apporter l’explication. Ces films dont les ellipses parlent à chacun différemment et dont les manques permettent une interprétation. Une musique est écrite mais l’instrumentiste l’interprétera à sa façon. On peut mettre longtemps à élucider un film car il nous parle différemment selon les âges de notre vie. Mais il faut pour cela qu’il y ait eu rencontre avec le film, qu’il ait imprimé quelque chose en nous, qu’il nous ait touché, qu’il ait laissé une trace. Mais il faut aussi qu’il ait résisté à notre interprétation immédiate, qu’il ne soit pas immédiatement digeste, qu’il s’inscrive en nous comme une question.

Les films d’émancipation féminine sont légion dans les cinémas d’Afrique et ont développé des polémiques sur l’image qu’ils donnent de la femme arabe : ils conforteraient le cliché qu’en a le monde occidental et répondraient à sa demande. Ces procès étaient déplacés mais on ne peut pas dire que Black Mamba, d’Amel Guellaty (Tunisie, 20′) puisse rentrer dans ce schéma ! Sarra, une jeune femme que sa mère veut marier, développe secrètement de quoi échapper au mariage forcé. Subtilement mené et filmé, ce récit saisit de bout en bout. Egalement photographe, Amel Guellaty a soigné lumières et cadre pour coller aux ambiances, tandis que récit et montage ménagent habilement des surprises.

Autre film qui interpelle, Chebet d’Anthony Koros (Kenya, 12′, sélection Fespaco 2017) est marquant par la beauté de sa prise de vues, son humour et la profondeur dans son évocation. Une femme enceinte est confrontée à un mari alcoolique. Elle le mate mais doit aussi se coltiner le patriarcat tout autour. Le film est fait de petites touches fines qui résonnent entre elles comme un écho. Avec un minimum de dialogues et beaucoup de sensibilité, une belle méditation sur la condition féminine.

Alassane Sy avait gagné le tanit d’or aux JCC en 2016 avec Marabout, où des enfants talibés se révoltaient contre leur maître. On trouve dans Fallou (Sénégal, 30′, sélectionné aux JCC 2017) la même volonté démonstrative et les mêmes incohérences de montage et de récit. Lorsqu’elle s’appuie sur des clichés, la caricature est contre-productive. C’est ainsi que l’imam extrémiste qui envoie Fallou à Londres pour y faire exploser une bombe lit « L’Enfance d’Hitler ». De même, un discours de Macky Sall sur le terrorisme sert d’illustration sonore pendant qu’un extrémiste apporte de l’argent à la mère de Fallou sans que l’on sache si c’est une critique des politiques ou leur hommage. Il est bien difficile de croire à ce personnage improbable alors même que les terroristes des attentats sur le sol européen sont recrutés sur place.

Le réel pour corps et pour cœur

Les films d’Afrique ont le réel pour corps et pour cœur, disait Gaston Kaboré. Nombre des courts d’Afrique ont un regard documentaire (que nous définirons ici comme pris sur le vif, et donc le contraire d’une fiction).

Ainsi, Tabu, de Nelson Makengo (RDC, 16′). Il avait réalisé Milinga en 2015, un court sur le travail d’une artiste qui avait été accusée de sorcellerie quand elle était enfant. Il rend compte ici en immersion des trafics d’aphrodisiaques à Kinshasa : Tabu, un vendeur ambulant, parcourt Kinshasa pour proposer des racines et des poudres supposées rehausser les performances de ces messieurs. Tabu galère avec ses petites ventes, et rêve de faire une formation de mécanicien, mais il a famille à nourrir. Ses réflexions sur la vie durant ses déplacements ponctuent un film plutôt consacré à sa verve pour placer ses produits et aux réactions des acheteurs. Tabu vend un rêve de puissance sans limite, d’une sexualité effrénée à l’image des lapins. Le sujet est croustillant et donc vendeur, mais n’informe que peu sur un réel autrement plus complexe. Dédié à Kiripi Seku Katembo, photographe disparu qui aimait les reflets dans les flaques, cette tranche de vie est juste un reflet sans autre prétention que d’inviter à être ce que nous sommes plutôt que de s’accrocher à des fantasmes.

C’est également le thème de Il pleut sur Ouaga, de Fabien Dao (Burkina Faso, 24′), situé à la saison des pluies, quand le temps « est sexy ». Le contexte est le coup d’Etat du Général Diendéré en septembre 2015, qui a tenté de mettre fin au gouvernement de transition après la révolution ayant mené à la chute de Blaise Campaoré. Les radios donnent les nouvelles mais Alpha, lui, s’apprête à rejoindre en France Cerise, sa bien-aimée et lui écrit des lettres d’amour. Sa rencontre avec Leila remet en cause son plan de fuite et l’ouvre sur place au temps des cerises. Rien n’est simple dans cette comédie romantique, mais l’espoir est permis…

24min film / IL PLEUT SUR OUAGA (scène finale) from Stéphane Scharlé on Vimeo.

Il ressort de ces deux films bien maîtrisés et montés une mélancolie face à la réalité mais aussi une volonté de s’en sortir qui réjouit.

Tranches de vie

Des films s’imposent par leur regard documentaire, leur ancrage dans le réel comme contexte où l’on essaye de vivre, et comme cette réalité résiste et force à s’accommoder.

Dans Derrière le mur, de Karima Zoubir (Maroc, 18′), une mère cherche à protéger sa fille de cinq ans des dangers et saletés du bidonville où ils habitent. Elle demande ainsi au père de l’accompagner pour son premier jour d’école sans passer par le trou ménagé dans le mur qui entoure les baraques, dangereux raccourci donnant sur la voix ferrée. Cela lui prend deux bonnes heures de marche et il risque de perdre son travail. Un parallèle s’établit ainsi entre le manque criant d’infrastructures dans les quartiers populaires dont on cache la misère aux autorités et les tensions au sein du couple, sans que cela passe par de longues diatribes : c’est par la durée des plans, un récit simple parsemé de détails signifiants, le point de vue de l’enfant et non des adultes que le film touche son public.

Dans le contexte nigérian où les longs métrages s’enchaînent sans que de grands films en émergent, Still Water Runs Deep (Ivie Omo Me), d’Abbesi Akhamie (Nigeria, 15′) fait figure d’heureuse exception. Un père autoritaire se met à la recherche de son fils disparu depuis quelques jours, suit des pistes sans issue et finit par se résigner tout en disant à son fils plus jeune qu’il faut assurer dans la vie si l’on veut conduire une famille. Le suspens entretenu, les pointes d’humour, l’apparente banalité des lieux concourent à rendre crédible et emblématique cette édifiante histoire.

Dans un tout autre contexte, celui de la bourgeoisie blanche sud-africaine, Vlees van my vlees (Flesh of my Flesh), de Matthys Boshoff (Afrique du Sud, 2016, 25′, compétition internationale) dépasse la louange idéaliste pour se confronter au réel. Cela donne un film poignant, taillé au scalpel, sur la relation d’un couple après un accident qui a rendu la femme tétraplégique. Douze ans après, ils célèbrent leur vingtième anniversaire de mariage mais finissent pas se dire leurs quatre vérités et doivent se confronter à la fragilité de leur amour.

Faut-il y croire ?

« Je sais bien mais quand même ». Jean-Louis Comolli a montré combien cette célèbre phrase de Mannoni pour décrire le rapport au masque (on sait parfaitement qu’il s’agit d’un masque mais qu’on se plaît à le percevoir comme sacré) s’applique au rapport du spectateur au film de cinéma. Le régime de croyance est inséparable de la connaissance du leurre qui s’y rattache. Terminons donc sur Pran Nesans, de Daniella Bastien (Maurice, 14′), magnifique incursion dans l’univers du « marke », une pratique, un rituel, une tradition, dont la transmission devient nécessaire, au risque de voir disparaître tout un pan de la culture mauricienne. Vous avez une douleur qui vous tiraille ? Une femme passe une aiguille autour, puis plante cette aiguille dans le tronc d’un bananier où elle rouillera. Votre mal est passé dans l’aiguille et sera ainsi éliminé. Ou bien un homme passe de l’eau sur l’endroit qui vous fait mal. Ou bien une femme y applique les mains. Et voilà que ça va mieux. Pas de médicaments modernes, mais une médecine traditionnelle, des thérapies élaborées au fil des temps par celles et ceux qui avaient le souci de leurs proches, qui s’entourent de prières, d’invocations aux dieux, de rituels. Un vieil homme dénie pourtant à ces « bondieuseries » ou ces « diableries » tout pouvoir. Il dit même que sa mère faisait semblant de prier pour faire croire, mais qu’elle pratiquait en fait une technique. Une autre guérisseuse invoque pour sa part le don, que seul Dieu décide… Alors, faut-il y croire ? Un don ne se transmet pas… En mêlant ainsi les messages, Daniella Bastien installe un paradoxe, et donc une dynamique, renforcée par un montage en boucle qui mêle les voix des tradipraticiens et l’utilisation ponctuelle des flous dans l’image.

Dans son désir de documenter l’héritage immatériel des cultures créoles, objet de ses recherches universitaires, Daniella Bastien restaure avec une grande honnêteté l’hybridité historique que l’on retrouve si fortement en Ile Maurice, marquée par la complexité de son Histoire. Car c’est bien de marque culturelle qu’il s’agit, qui fait que pour que le corps réponde, le soin convoque le mystère et fait référence à la croyance. Daniella Bastien est consciente de la nécessaire entreprise de toute communauté de valoriser ses origines pour mieux trouver sa place dans le monde, mais elle sait aussi que faire croire n’est pas faire penser, qu’il faut en somme restaurer les contradictions à l’œuvre, qui sont le fruit des mixités humaines et donc culturelles, toujours présentes lorsque les hommes vivent ensemble et qui font leur richesse.

Ainsi, plutôt que d’essentialiser l’apport créole, elle rend compte d’une métaphysique sans frontière, sans nullement dévaluer l’apport de chacun, à commencer par ces thérapies élaborées au fil des temps par celles et ceux qui avaient le souci de leurs proches. Cette universitaire qui fait sa thèse sur la langue créole et s’engage pour sa reconnaissance officielle et pour le développement de son apprentissage livre dans ce premier film une belle leçon d’ouverture dans un pays travaillé par les crispations identitaires. (lire une analyse plus poussée du film et de son contexte dans notre compte-rendu du festival Iles Courts 2017 à Maurice).

 

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