La griotte parisienne venue du Mali signe un album plein de grâce en famille. Sorti sous label parisien (Buda Musique), A l’ombre du grand baobab a été enregistré en compagnie du jazzman Jean-Jacques Avenel.
Il est clair que Mah Damba aurait pu décrocher depuis septembre 2009. Cesser de chanter à jamais. A la disparition de Mamaye Kouyaté. Elle se serait ainsi tue par amour. Complice dévoué sur la scène, Mamaye était le premier des hommes pour elle. Celui à qui elle confiait le lourd et patient décompte des mauvais jours. Le meilleur qu’elle ait pu trouver. Avec qui elle vécut heureuse dans le mariage jusqu’à ce jour fatidique où le destin se fit cruel, perturbant le cours d’une vie et déviant la courbe des espérances. Mamaye, emporté par la maladie ! Une sale maladie qui vous cloue un homme au pied du baobab, dans l’attente de ceux qui viennent vous rendre un dernier hommage. Mais la mort d’un proche ne signifiant pas la mort de tous, Mah Damba a su reprendre le chemin du studio.
Elle n’est surtout pas une femme à se plier sans grâce face au destin. Ce qu’elle nous prouve avec une élégance certaine, en signant ce bel album à l’énergie retrouvée. Un album nécessairement dédié à la mémoire de cet homme, qui lui a tant donné. « Mamaye Kouyaté était un excellent joueur de ngoni et de guitare. Il était également reconnu par ses pairs, enregistrant par exemple avec le grand artiste disparu, Ali Farka Touré. Il participait à tous les concerts et enregistrements de Mah et a eu, sans aucun doute, une grande influence sur le développement de son style » explique Henri Lecomte, producteur du projet pour le compte du label parisien Buda Musique. L’empreinte du fabuleux duo, fondé au début des années 1980, ne va donc pas s’effacer de sitôt sur la scène franco-malienne. Avec A l’ombre du grand baobab, Mah Damba arrive à garder intact ce qui, au-delà du génie et de la bonté, faisait la force de leurs joutes musicales : l’esprit de famille.
« La famille est un facteur extrêmement important en Afrique, particulièrement chez les griots que l’on sait faire partie de cette caste, à la seule audition de leur patronyme. On ne peut cependant pas parler de famille retrouvée, car Mah a toujours vécu puis travaillé avec ses enfants, dès qu’ils ont été en âge de le faire. Je me souviens notamment d’un documentaire que j’avais tourné, il y a une bonne dizaine d’années, dans lequel Mah chantait dans un foyer, en compagnie de Mamaye et de Sira, âgée à l’époque d’une dizaine d’années. Les deux filles et le garçon qui ont choisi la voie de la musique jouent également avec plusieurs vedettes de la musique malienne » raconte Lecomte. La fille Sira est donc là, présente sur l’album aux côtés de sa mère. Elle tient les churs avec Worido, sa sur, pendant que Guimba, le frère, assure en guitare. Une affaire de famille qui roule ou presque
« Tout ce que je peux dire est que Mah paraît décidée à repartir d’un nouveau pas, après avoir fait son deuil. Ses enfants sont talentueux et dynamiques et je suis convaincu que les choses vont bien se passer, en faisant un peu évoluer la musique, comme cette dernière l’a toujours fait au cours de l’histoire et, en même temps, en restant fidèle aux valeurs traditionnelles, dont la famille est une des composantes majeures » confie Henri Lecomte. Cet opus signale sans doute une nouvelle page à tourner pour la carrière de Mah. Ce qui n’empêche pas les autres musiciens figurant sur l’album de faire eux aussi partie de la famille. Makan Tounkara au ngoni n’en est pas à son premier enregistrement avec la griotte malienne. Silima Sakoné, Mamadou Diabaté, Mado Sacko, Yacouba Sissoko, tous l’ont déjà accompagnée sur scène avec brio et esprit d’ouverture. Seule pouvait paraître inattendue l’arrivée de Jean-Jacques Avenel dans ce cercle des proches élargi. Et encore
Jazzman consacré, Jean-Jacques Avenel navigue [ici]en terrain connu. Il joue avec les artistes du Mandé depuis près de vingt ans. « Je pensais qu’il pouvait apporter pour certains morceaux une couleur différente de celle du premier CD enregistré pour Buda, il y a une dizaine d’années, et où Mamaye tenait une place prépondérante. J’avais également fait écouter à Mah un CD de Jean-Jacques en compagnie de musiciens mandingues exilés à Paris, dans lequel il jouait de la contrebasse et de la kora. La rencontre s’est très bien passée, puisqu’au départ il était prévu trois titres avec la contrebasse et qu’il y en a cinq à l’arrivée » estime Lecomte. Les rencontres du troisième type étant ce qu’elles sont, une affaire de cur et de savoir être ensemble, Avenel s’est faufilé dans l’univers de Mah comme s’il y avait toujours vécu. Une occasion de rappeler que la musique traverse toujours les frontières sans la nécessité d’une biométrie de passeport. Reste quand même cette interrogation sur le parcours discret de Mah Damba sur la scène parisienne
Le public des foyers maliens lui est acquis. Ses rares enregistrements sont d’une grande qualité. Quant aux quelques créations, annoncées ici ou là, en festival ou à l’affiche d’un lieu tel que la Maison des Métallos, elles sont saluées par la profession. Mah Damba continue pourtant à ne pas être une habituée des foules bouffeuses de sonorités mondiales. Une énigme, lorsqu’on sait qu’elle bat le bitume parisien depuis trois décennies, avec ses magnifiques impros de griotte inspirée. « Je ne suis malheureusement pas capable de répondre à cette question. Peut-être a-t-elle manqué d’un bon manager. Elle travaille depuis quelque temps avec Assane N’Doye. Espérons que celui-ci contribuera à faire évoluer la situation » avance Lecomte. Pour ceux qui la connaissent, Mah Damba est une des voix marquantes de sa génération. Un fait indiscutable. Née Djelimousso, elle est fille de Djeli Baba Sissoko, illustre griot, « grand conteur du Mali », à qui elle rend aussi hommage sur un titre, et nièce de Fanta Damba, « l’une des plus grandes voix bambara du XXème« .
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