Africains d’Inde : Les cavaliers africains du Nizam d’Hyderabad

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Sidi : c’est le nom porté par les 70 000 Indiens d’origine africaine, une diaspora peu connue et très diverse. Une diversité ancrée dans le nom même de Sidi, dont l’origine étymologique est incertaine. Il pourrait venir de l’arabe sayyidi signifiant seigneur, ou de saydi prisonniers de guerre. Deux sens aux antipodes, à l’image des Sidis indiens dont les communautés actuelles sont le fruit de différents processus historiques, avec pour seul lien cette origine africaine commune. Dans cette série Africultures choisit de faire un focus sur quatre d’entre elles, les plus significatives en termes de nombre de personnes qui s’en réclament. Après les Sidis de Janjira, cette semaine, les cavaliers africains du Nizam d’Hyderabad.

Le quartier de l’AC Guards se trouve sur une hauteur de la ville indienne d’Hyderabad. « D’ici, la vue est dégagée. Cela permettait de suivre les mouvements du Nizam et d’avoir une bonne visibilité sur les environs » , explique Mebhouk Bin Fada. Si cet homme aux cheveux blancs n’a pas eu à veiller personnellement sur le Nizam, ce fut le cas de son père. L’AC Guards, un acronyme pour African Cavalry Guards, était la zone où vivait un bataillon d’élite du Nizam, le roi du vaste royaume d’Hyderabad. Comme le nom du quartier le laisse deviner la spécificité de ce régiment de 300 hommes était de n’être composée que de soldats d’origine africaine. Les Sidis, Indiens d’origine africaine, sont environ 70 000 répartis dans différentes régions de l’Inde. Dans l’Andhra Pradesh, un État du Sud du pays dont la capitale est Hyderabad, l’histoire des Sidis se lie à l’histoire militaire de la ville. Jusqu’à l’indépendance indienne en 1947, la ville d’Hyderabad était la capitale du plus vaste État princier de l’Empire des Indes. À sa tête, la richissime dynastie des Nizam d’Hyderabad. Ces princes musulmans régnèrent sur la principauté de la fin du XVIIIe siècle à 1950. La présence des Sidis, elle, est attestée depuis le temps du Nizam Mahboob Ali Khan, qui régna entre 1869 et 1911. Si les détails de leur arrivée restent flous, le but de leur installation à Hyderabad ne fait aucun doute : servir dans l’armée du Nizam. « L’histoire des Gardes de la Cavalerie Africaine est mal connue. Certaines des informations disponibles dans la littérature ne sont pas basées sur des recherches académiques, mais sur des suppositions personnelles. Les Sidis eux-mêmes savent peu de chose sur l’histoire de l’armée dont ils faisaient partie », explique l’anthropologue Abadu Minda Yimene, qui a consacré un ouvrage aux Sidis d’Hyderabad, An African Indian Community in Hyderabad. « On ne peut qu’être dépendants des récits oraux des personnes elles-mêmes pour apprendre sur la venue d’Africains à Hyderabad. Toutefois, leurs descriptions orales semblent relativement fiables car elles sont validées par les maigres informations documentaires disponibles » écrit-il dans un article publié dans la revue African and Asian Studies qui a consacré en 2007 un numéro aux « Africains invisibles, communautés cachées d’Asie ». Une initiative pionnière tant les connaissances sur les Africains en Asie sont restreintes. Le premier à installer une communauté de soldats africains dans la région d’Hyderabad serait le Raja de Wanaparthy, un seigneur local vassal du Nizam. Le Raja aurait réuni des Africains présents dans la région en deux régiments, un de gardes du corps et une cavalerie. Il aurait par la suite offert ces soldats au Nizam, formant ainsi l’African Cavalry d’Hyderabad, durant la seconde moitié du XIXe siècle. D’autres Africains auraient été amenés par la suite directement d’Afrique. « L’arrivée de certains Africains à Hyderabad a à voir avec les relations politiques et économiques de l’Andhra Pradesh [l’État dont Hyderabad est la capitale] avec des pays du Moyen-Orient. Par exemple, Maculla, qui est située sur la côte entre Aden et Muscat, avait de fortes relations de commerce avec l’État d’Hyderabad » écrit l’anthropologue. Venant de l’Est de l’Afrique – certains Sidis évoquent des origines zanzibaries ou somaliennes – ils auraient transité par l’Arabie. L’immense majorité de ces Africains venus servir le Nizam était des hommes. En Inde, ils s’unirent avec des femmes indiennes, mais conservèrent cette origine africaine comme un élément fondamental de leur identité. Une identité d’ailleurs assez complexe, comme le souligne Abadu Minda Yimene qui parle de l’ « ambivalence et/ou élasticité de l’identité side », relatant des entretiens où un interlocuteur sidi répondait être à la fois Sidi, Africain, Indien, Somalien, Habshi [un autre terme pour désigner les Indiens d’origine africaine], Arabe, Noir, Yéménite. Le transit, plus ou moins long, par des ports d’Arabie, imprégnait ces hommes de la culture arabe. C’est aujourd’hui une part de l’identité que revendiquent leurs descendants, musulmans sunnites, en plus des composantes indiennes et africaines. L’attrait pour ces soldats africains s’explique par les qualités de force physique et de loyauté qui leur étaient communément associées dans l’imaginaire indien. Les Sidis entretenaient avec le Nizam une relation de grande confiance. Une des tâches principales des gardes du corps africains du Nizam étaient de prendre soin du trésor royal. Le Nizam offrit à sa troupe d’élite un quartier, où les soldats s’installèrent avec leurs familles. Les lieux portent toujours le nom de l’African Cavalry Guards. Logés, bien rémunérés, les Sidis jouissaient d’une situation sociale prestigieuse, bien au-dessus des conditions de vie de la majorité des Indiens. À l’indépendance de l’Inde en 1947, les États princiers rejoignirent l’Union indienne. Les armées de ces royaumes furent dissoutes pour laisser place à une force nationale, l’Armée de l’Union indienne. La Cavalerie africaine du Nizam disparut elle aussi. Ses membres ont été mis à la retraite, ils reçurent une pension, certains des terres supplémentaires. Quelques-uns purent rejoindre l’Armée indienne ou les forces de police, mais ils furent peu nombreux. Venus en Inde pour servir le Nizam, les Sidis étaient mal préparés pour trouver d’autres emplois. D’une situation de privilégiés, ils connurent un processus d’appauvrissement suite à l’indépendance indienne. Il plane aujourd’hui sur le quartier de l’AC Guards un sentiment de frustration, mêlée à la nostalgie des temps anciens, où le bataillon des soldats africains était le plus prestigieux de l’armée du Nizam. Chômage, manque de moyens, abandon par les pouvoirs publics sont sur toutes les lèvres. Il ne leur reste plus que ce quartier donné par le Nizam à ses soldats et qui appartient toujours à leurs descendants. Mais nombreux sont ceux qui ont vendu ou loue ces habitations pour en tirer une source de revenus. Et à l’AC Guards, les Sidis se font de plus en plus rares. Ils seraient 500 à 600 à y vivre, d’après un habitant du quartier. Mais, selon A. M. Yimene les lieux restent pour toutes les « sections divergentes de la communauté » l’endroit « qui les relie aux traditions de leurs ancêtres africains ».

///Article N° : 12228

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© Kenneth Robbins





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