Originaire du Congo-Kinshasa, Alix Fuilu a créé « Afro-bulles »en 2002, une association spécialisée dans l’édition et la promotion de la bande dessinée africaine. S’il reste très investi dans cette structure qui contribue à la promotion de la BD africaine, il se revendique avant tout comme un artiste.
Comment peut-on vous situer, en tant qu’éditeur ou auteur ?
En réalité, je suis bien plus dessinateur qu’éditeur. J’ai fait l’école des Beaux-arts de Kinshasa après la génération de Serge Diantantu, mais avant celle d’Alain Kojelé, Fifi Mukuna, Al’Mata et autres Hallain Paluku. J’étais de la même génération que Jean Claude Kimona et Dominique Mwankumi. J’y ai fait la peinture et le dessin avant d’intégrer la garde civile durant trois ans. J’étais de la première promotion. Je me considère donc comme un auteur et un artiste à part entière.
À partir de là, quel parcours avez-vous suivi jusqu’à la BD ?
En 1988, je suis venu en France où j’ai poursuivi mes études à l’École des Beaux-arts de Tourcoing (appelée l’ERSEP – École Régionale Supérieure d’Expressions Plastiques) où j’ai appris le graphisme et la perspective. Puis en 1992 j’ai fait un stage de bande dessinée à l’Académie Internationale d’art de Libramont en Belgique. Ensuite j’ai fait l’École des Beaux-Arts de Saint-Gilles (Bruxelles) en section bande dessinée mais malgré ce parcours académique, j’ai également appris beaucoup de choses tout seul.
Comment vous êtes-vous lancé dans l’aventure éditoriale ?
Je n’en avais aucune notion. Je le suis devenu par un concours de circonstances. A mon arrivée en France, j’ai présenté des projets de mes dessins aux éditeurs : Casterman (A suivre), Hélyodes etc. Les réponses étaient toujours les mêmes : « Il n’y a pas de lectorat pour ce type de BD africaine ». Je me suis découragé, j’ai cessé mes démarches et je n’ai plus montré mes travaux. Un jour, à la bibliothèque de Tourcoing où je faisais des croquis de documents pour préparer un projet personnel de BD, j’ai été abordé par un groupe de jeunes, fascinés par mes dessins. Ils m’ont demandé de leur apprendre à dessiner. J’en ai parlé à un ami qui m’a conseillé de créer une association. Ce que j’ai fait en fondant l’Atelier de BD de Tourcoing en 1993, qui était le premier atelier du genre dans la région. J’ai eu par la suite plein de jeunes de la région Nord-Pas-de-Calais qui venaient suivre mes cours. La presse régionale en a parlé et c’est comme ça que les pouvoirs publics et autres organismes m’ont découvert et ont commencé à me commander des travaux pédagogiques sur la prévention du sida (DDASS du Nord-Pas-de-Calais), des drogues (Conseil général du Nord), sur la sécurité routière (Préfecture du Nord), etc. Dans toutes ces commandes j’intégrais les travaux de mes jeunes et je constituais un collectif à chaque fois et comme je m’occupais de la conception et de la fabrication de tous ces collectifs, cette expérience acquise pendant cinq ans m’a permis d’avoir des contacts avec des partenaires, notamment des imprimeurs.
Vous avez aussi un parcours associatif
Oui, par la suite, j’ai eu l’idée de créer l’association « Afro-bulles » et de lancer le collectif du même nom dont le but est de faire découvrir en Europe la BD africaine, mais également de promouvoir les auteurs africains qui font de la bande dessinée car à l’époque en Europe on ne pensait qu’à Barly Baruti quand on parlait de BD africaine. Je voulais montrer par la création d' »Afro-bulles » qu’il y avait d’autres dessinateurs talentueux en Afrique : Serge Diantantu, Kalonji qui est en Suisse, bien sûr Barly et moi-même. À l’époque je pensais que nous n’étions pas plus de cinq ou six auteurs africains de BD en Europe. Créer la revue et l’association « Afro-bulles », c’était une façon pour moi de prouver en Europe qu’il y avait des auteurs de BD en Afrique. Je l’ai fait par défi par rapport aux éditeurs qui m’avaient dit qu’il n’y avait pas de lectorat pour la BD africaine C’est comme ça que je suis devenu « éditeur ». Mais ce n’est pas vraiment mon métier, et je préfère qu’on me considère comme un artiste car c’est de ça que j’essaie de vivre notamment par des commandes de dessins, des ateliers que j’anime depuis plus de 15 ans.
Votre activité d’éditeur ne vous fait pas vivre ?
Non. Je ne vis pas de l’Association « Afro-bulles ». C’est juste une passion. D’ailleurs quand je vends des BD, l’argent est réinvesti sur les prochaines publications et il m’arrive d’y investir mes propres sous car le but est de pérenniser l’association et continuer à faire parler de la BD africaine. Je n’ai pas créé « Afro-bulles » pour moi, car dans ma région, je commençais à être connu et j’aurais pu y créer une structure commerciale et sortir mes propres BD. L’énergie et le temps que j’y consacre depuis 2001, m’auraient sans doute permis aujourd’hui de compter sept ou huit albums à mon actif. La BD africaine commence à prendre ses marques en Europe et cela grâce aussi à des structures qui sont arrivées par la suite comme l’Afrique dessinée, Africa e mediterraneo, Mandala BD, ainsi que d’autres initiatives qui commencent à se multiplier, en particulier avec des expositions de BD africaine, notamment dans le cadre du Festival de la BD d’Angoulême en 2006, le Centre Belge de la BD, le festival Yambi en 2007 Mon initiative n’est peut-être qu’une goutte d’eau dans l’océan mais quand je regarde d’où je suis parti avec ce projet, je me dis que ce n’est pas trop mal et j’en suis très fier. On a donné un élan !
En terme de ventes, quel est le bilan d' »Afro-bulles » ?
Pour les ventes, il y a quelques BD qui marchent bien et d’autres qui traînent mais par la faute du diffuseur-distributeur qui ne fait pas toujours bien son travail. J’en vends plus dans des salons et festivals qu’en diffusion-distribution. Pour Vies volées et Corne et Ivoire, les deux derniers albums sortis en 2008, on a atteint les 60 % du tirage de 15000 exemplaires chacun et j’espère faire encore des festivals pour pouvoir en vendre encore. Les ventes me permettront de sortir les deux prochaines BD dont une, celle de Ström, est en attente de publication et l’autre, la mienne, est en cours de réalisation.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces deux projets ?
Dans La galère du Roi, Ström fait vivre l’ambiance de la jungle au moment de l’élection du nouveau roi car le lion a été désavoué par tous les animaux y compris ses épouses lionnes. Tous les animaux s’en donnent à cur joie pour poser leur candidature et accéder au trône. Mais, abandonné de tous, le lion va sauver les animaux de la présence des braconniers et cet acte pourra jouer en sa faveur. Mon album, Le chemin des dames, parle de l’épopée de Demba Diop et de ses compagnons tirailleurs sénégalais pendant la première guerre mondiale depuis leur recrutement en Afrique jusqu’à la bataille du chemin des dames dans l’Aisne. Je travaillais avec un jeune scénariste français qui connaissait un peu le Sénégal, mais nous avons cessé notre collaboration. Ström va reprendre l’histoire. Ces deux ouvrages devraient pouvoir sortir pour les fêtes à la fin de l’année (fin 2009).
Comment expliquez-vous le manque de visibilité de la BD africaine au Nord ?
Le manque de structures éditoriales spécialisées empêche la BD de se faire une place dans le (petit monde) de l’édition en Afrique. La BD en soi est marginalisée – peut-être de façon inconsciente – par les acteurs du monde de l’édition. Dans un système de diffusion peu établi, il manque un réseau bien structuré, spécialisé dans la BD. Enfin, puisqu’il faut faire notre autocritique, dans le domaine de la BD africaine, c’est un peu chacun pour soi, les professionnels ne sont pas assez fédérés. C’est ce qui m’a incité à créer « Afro-bulles ». Vu que j’introduisais quelque chose de nouveau dans le marché de la BD en Europe – je parle de la BD africaine faite par des Africains et non des auteurs européens qui dessinaient l’Afrique – je me suis dit que si je le faisais tout seul je risquais de me retrouver comme Barly Baruti qui, à la même époque, dessinait l’Afrique mais le faisait seul. Quand je présente « Afro-bulles » je précise toujours que je ne suis pas seul mais que plein d’autres dessinateurs créent en Afrique et même en Europe. J’ai tendance à penser que les collègues en Afrique – et cela n’engage que moi – se focalisent plus sur le côté financier que sur la promotion de la BD africaine. C’est pour ça que je dis toujours qu' »Afro-bulles » ne travaille pas comme certaines autres structures pour lesquelles l’intérêt des artistes africains et de la BD africaine n’est peut-être pas si prioritaire. Ce qui doit nous motiver que ce soit pour nous en Europe ou pour ceux qui sont en Afrique, c’est l’envie de faire connaître la BD africaine. À partir de là, on avancera ensemble vers plus de reconnaissance.
Depuis juin 2009 :
Afro-bulles sort un album collectif en mars 2011 avec Alix Fuilu, Willy Zekid et Alain Kojélé, Sur les berges du fleuve congo.///Article N° : 10189