André Magnin, Sindika Dokolo, leur combat pour l’art contemporain africain

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Le curateur français André Magnin et le collectionneur congolais Sindika Dokolo sont à l’honneur, à Paris, dans deux expositions majeures d’art contemporain qui ont choisi de mettre en avant des oeuvres d’artistes du continent africain : Afriques Capitales(1) pour Sindika Dokolo et Art / Afrique pour André Magnin. L’occasion de croiser leurs regards sur ce « Printemps africain ».

Ce sont deux générations, deux visions de l’art bien distinctes « mais non adversaires », tiennent-ils à préciser. L’un défend l’art contemporain africain en France et l’autre sa plus grande visibilité sur le continent. Le Français André Magnin et le Congolais (RDC) Sindika Dokolo se sont engagés en parallèle pour l’art contemporain africain. Sindika Dokolo, 45 ans, vit à Luanda en Angola où il a bâti, en 1999, une fondation d’art contemporain qui porte son nom. La collection privée du gendre du président angolais José Eduardo Dos Santos, composée de 5000 oeuvres, est l’une des plus importantes du continent. Il est l’un des mécènes de l’exposition Afriques capitales(1) à la Villette, placée sous le commissariat de Simon Njami. Plusieurs oeuvres ont été co-produites avec sa fondation, notamment celles de l’artiste égyptien Youssef Limoud, du Kényan Ato Malinda ou encore du photographe congolais Sammy Baloji.
De son côté, André Magnin, né en 1954 à Madagascar, a sillonné l’Afrique depuis 1987 à la recherche de pièces, d’abord pour l’exposition Les magiciens de la Terre(2) puis pour le compte du collectionneur Jean Pigozzi. Jusqu’au 28 août une quinzaine d’artistes de la collection de cet entrepreneur sont exposés à la Fondation Vuitton, sous l’intitulé Art / Afrique, Les Initiés. Du plasticien béninois Romuald Hazoumé en passant par les dessins de l’ivoirien Frédéric Bruly Bouabré et les sculptures du sierra-léonais John Goba, Art / Afrique est dans le sillage de l’exposition Beauté Congo 1926-2015 à la Fondation Cartier dont André Magnin était le commissaire. « Elle a été déterminante en montrant qu’il y a cent ans d’art moderne en Afrique. Ce qui était largement ignoré en Europe. »

Un effet de mode?

Aujourd’hui en France de multiples expositions mettent en avant les artistes africains du continent sous le label « géographique ». Mais qu’en est-il du regard posé et des représentations véhiculées ? Dans un premier temps Sindika Donkolo s’enthousiasme de cette effervescence : « Tout ne correspond pas forcément à mon goût. Mais cette vivacité montre une certaine Afrique qui produit de la pensée, de l’art, du beau, qui a un rapport avec elle-même et l’autre, et est en pleine mutation. Cet échange culturel est positif. » Toutefois, il s’interroge sur les débouchés concrets du phénomène : « J’espère que ce ne sera pas un feu de paille et que derrière ça, il y aura un vrai marché et un intérêt plus profond. Que plus d’artistes africains prendront une position immanquable sur le marché ». Car leur présence reste minoritaire et restreinte comme le rappelle André Magnin : « Sur un continent d’un milliard d’habitants, de 54 pays, moins de 50 artistes circulent dans les évènements internationaux »(3).

Mart Engelen – André Magnin

Le curateur se réjouit tout de même que « l’art africain trouve, tout d’un coup, une visibilité. Depuis trente ans je ne comprenais pas pourquoi on ne voyait toujours pas ces artistes sur le marché. » Pour lui la collection Pigozzi, pour laquelle il travaille, a permis de « faire connaître une trentaine d’artistes africains dans les musées du monde entier ». Et de revenir sur la détermination même « d’art africain » : « On dit qu’il n’y a pas d’art africain. Mais bien sûr qu’il y a un art africain qui s’internationalise de plus en plus ! De la même manière que Anselm Kiefer est allemand et mondial, Gilbert et George sont anglais et mondiaux, Bouabré est ivoirien et mondial, Chéri Samba et Bodys Isek Kingelez sont congolais et mondiaux… » là où Sindika Donkolo questionne : « Les artistes africains doivent transcender la mode actuelle, la marque de fabrique « made in Africa » ils doivent continuer à s’affranchir de l’approche occidentale de l’art » (4).

Changer le regard

Pour autant est-on sorti d’un certain regard condescendant sur l’art africain ? Et qui détermine, actuellement, ce qu’est l’art contemporain et la place des oeuvres sur les marchés internationaux ? André Magnin l’affirme : « Pendant longtemps l’Occident a écrit l’histoire de l’art avec une arrogance absolue en éliminant l’Asie et l’Afrique de cette carte ». Ce temps est-il révolu ? En partie, pour le curateur français : « les Occidentaux commencent à porter un regard qui n’est plus tout à fait le même que celui qu’ils portaient depuis la décolonisation. Il y a de plus en plus d’événements occidentaux : la foire 1:54 à Londres et à New York, la foire AKAA (Foire d’art contemporain et de design d’Afrique) à Paris. Cette année l’Art Paris Art Fair était dédiée à l’Afrique…» mais selon un article véhément du magazine Something We Africans got les choses ne sont pas si évidentes: « Ce qu’on appelle actuellement l’art contemporain africain est bel et bien ce rapport entre des mécènes (des anciens colonisateurs) et d’anciens colonisés »(5). C’est de cette relation inégale qu’entend sortir Sindika Donkolo, connu pour son combat pour la restitution d’oeuvres volées par les collectionneurs et musées publics occidentaux, à certains musées africains : « J’ai tout de suite saisi l’importance d’avoir une collection d’art africain classique basée en Afrique. Les Africains ayant été complètement absents du travail de muséologie autour de ces objets il y a toujours, qu’on le veuille ou non, une dimension exotique. Les opérateurs culturels africains doivent plancher sur ce sujet : Comment montrer l’art classique africain dans sa dimension artistique, son contexte historique ? Les projets curatoriaux existants sont dépassés. en créant l’an prochain mon nouveau musée d’art classique à Luanda mon objectif est de trouver une meilleure manière de faire. »  Il entend également permettre aux Africains d’avoir un meilleur accès aux oeuvres :

DR -Sindika Dokolo

« J’ai mis un point d’honneur à mettre ma collection à disposition gratuitement de tous les musées intéressés. Je finance le déplacement des artistes. Je commissionne des oeuvres pour certaines expositions. en contrepartie je demande à ces institutions d’organiser la même exposition dans le pays africain de leur choix. Que ce soit dans un centre d’art contemporain à Johannesburg ou sur un terrain de basket à Mogadiscio, l’important c’est que sur ce continent en pleine détermination de ses valeurs et de son identité, la production culturelle soit visible par le public africain. »

L’Afrique du futur?

Même s’il y a encore peu, en Afrique, de collectionneurs de l’envergure de Sindika Dokolo, André Magnin se veut optimiste : « La fondation Alliances de l’entreprise Lazrak au Maroc constitue une collection d’art africain considérable. Une nouvelle bourgeoisie kényane, nigériane, sudafricaine achète de l’art contemporain. La famille Zinsou au Bénin transmet des savoirs. Les musées occidentaux commencent à acheter de l’art contemporain africain. Le mouvement d’appréciation est de plus en plus grand. » Quant à Sindika Donkolo il compte bien être un moteur du changement : « Le chemin est long mais l’intérêt est vraiment là. Beaucoup d’Africains ont eu des réactions très fortes quand la France refusait de rendre les objets royaux au Bénin. À travers mon exemple d’autres africains auront une vocation. Des classes moyennes apparaissent avec une demande culturelle. Et en même temps des hommes d’affaires qui pourraient devenir de grands sponsors de musées et collectionneurs. « 

1.Exposition présentée à la Villette à Paris jusqu’au 28 mai. Lire Afriscope n°50, mars / avril
2.Exposition au Centre Pompidou et à la Villette à Paris en 1989
3.Extrait de l’interview du 7 juillet 2015 publiée sur africultures.com
4.Extrait de la revue Something we Africans got.

 

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