Animalia, de Sofia Alaoui

Eloge du doute

Print Friendly, PDF & Email

En sortie sur les écrans français le 9 août 2023, le premier long métrage de Sofia Alaoui fascine et interroge tout en jetant le doute sur des croyances bien ancrées.

 

Que Dios vela por los pobres ? / Dieu veille-t-il sur les pauvres ?
Tal vez si, y tal vez no / Peut-être que oui, peut-être que non.
Pero es seguro que almuerza / Mais il est sûr qu’il déjeune
en la mesa del patron / à la table du patron.

Atahualpa Yupanqui, Preguntitas sobre Dios / Petites questions sur Dieu

« Ton Dieu, c’est l’argent », dit Fouad à Itto. Fouad est le tenancier d’un petit hôtel d’Imilchil, Itto la femme du fils d’un Caïd, dont la demeure est un vrai château. Les meubles et pièces en sont égrenés durant le générique. Alors que toute la famille est partie à la fête du gouverneur, Itto se retrouve seule face aux éléments qui se déchaînent : un orage, un ciel qui se déchire traversé de lumières vertes, des phénomènes surnaturels, les animaux qui se regroupent, les chiens qui semblent déroutés… Dans ses efforts pour rejoindre son mari à Khouribga, elle se retrouve hébergée par Fouad qui va tenter de l’y amener avec son triporteur.

« Seuls les vrais croyants seront sauvés lors du jugement dernier » : Itto croit à la valeur de la prière, comme tant d’autres qui se rassemblent dans les mosquées et les églises devant la montée du péril un peu partout sur la planète. Serait-ce la fin du monde ?

Un berger se joint à Fouad et Itto et dit en souriant à celle-ci : « Tu parles de Dieu comme si c’était une personne. Celui-ci est plus subtil qu’une fourmi noire sur une pierre noire par une nuit sombre ! » Voici donc le sujet de ce film énigmatique : questionner nos croyances, remplacer nos certitudes par l’injonction de Socrate : « connais-toi toi-même ».

Itto est enceinte : cette fin du monde n’en est pas une. Elle est au contraire une renaissance si nous acceptons de nous relier à la nature, aux animaux, à l’univers et entre nous pour une vie différente. Les extraterrestres sont déjà là, « parmi nous » (titre de travail pour le film), dans les êtres qui nous entourent, humains et non-humains, qui nous calment et nous protègent.

Interprétée avec intensité par Oumaïma Barid, Itto vient d’un milieu défavorisé, ce qui lui permet de parler le tamazight du Haut-Atlas. On voit ainsi combien une langue marginalisée soutient la dimension universelle du film. Itto devra renoncer à son désir d’arrivage social dans les bras d’Amine, le fils d’un Caïd qui sait comment faire de l’argent. Il fallait pour cela la remise en cause par Fouad puis cette expérience de dioptrie du regard, proprement figurée à l’écran, pour sortir de l’égoïsme. Il fallait ce bouleversement généralisé pour remettre en cause ses certitudes.

Sofia Alaoui approfondit là le vertigineux Qu’importe si les bêtes meurent, César du meilleur court métrage en 2021, où des bergers isolés, père et fils, étaient confrontés à des phénomènes surnaturels qui remettaient en cause leur place dans l’univers.

Animalia est fascinant car il tire les ficelles du fantastique avec la distance et l’intelligence nécessaires pour en faire des interrogations métaphysiques aussi bien que politiques et sociales. L’ample musique d’Amine Bouhafa, qui sait se faire riche et subtile pour épouser les ressentis des personnages, contribue à ménager des équilibres dans le chaos pour que la progression vers le dénuement que le film orchestre peu à peu s’impose comme un devenir souhaitable, concentré sur l’essentiel. Filmée en scope, la grandeur des paysages de l’Atlas, qui accompagne le déchaînement des éléments, rappelle la fragilité des existences face à l’univers et combien dérisoires sont nos rêves de possession et de puissance.

Le remède est le doute qui envahit peu à peu Itto malgré elle, et qui ne va pas sans humilité. « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », disait encore Socrate : c’est dans cette sagesse que l’on peut voir ce qu’on ne voulait pas voir et que l’on peut attribuer une valeur à tout ce qui nous entoure. Le film le dit sans forcer l’emphase mais en conscience de l’urgence : il ne s’agit pas de retrouver un paradis perdu mais d’ouvrir un regard pour être à même de changer notre monde au sein de l’univers.

  • 53
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire