Art Outsider et Folk Art des collections de Chicago

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Si la musique noire américaine – blues, jazz, gospel – est universellement reconnue, le Folk Art et l’art Outsider – mouvements artistiques ou les Noirs sont largement représentés – sont souvent méconnus en Europe, malgré l’exposition de Lausanne sur l’art brut américain en 1993, et le fait que cette forme d’expression soit une des tendances en vogue de l’art en Amérique aujourd’hui.
C’est pourquoi l’exposition Outsider Art et Folk Art que présente la Halle St Pierre de Paris – lieu culturel au pied de la butte Montmartre spécialisé dans l’art naïf, l’art brut, l’art populaire et l’art singulier – vient à point pour combler une lacune en nous faisant découvrir une cinquantaine d’artistes et quelque 350 oeuvres des collections de Chicago.
Panorama tout à fait passionnant dans sa diversité, même s’il n’est point exhaustif et qu’il demande pour être mieux apprécié quelques explications.
Un peu d’histoire
En France, la distinction entre art naïf, art brut et art populaire est assez stricte, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis où il existe d’autres clivages et d’autres caractéristiques. L’évolution des dénominations est, à ce titre, tout à fait significative. Le terme même de Folk Art désignant l’art populaire issu des traditions artisanales des XVIIIe et XIXe siècles n’apparaît qu’en 1921, bientôt suivi par celui de Black Folk Art, aujourd’hui remplacé par celui d’African American Art, plus politiquement correct.
Quant à la notion d’art brut, elle n’existait pas et c’est pour en trouver un équivalent que l’historien d’art anglais Robert Cardinal proposa en 1972 le terme d’Art Outsider pour parler de cette expression purement individuelle ne se rattachant à aucune tradition. On parle aussi du Visionnary Art, art visionnaire ou intuitif des artistes-prédicateurs, tels Sister Gertrude Morgan ou Howard Finster, si typique de l’Amérique du Nord. Toutefois, l’expression la plus générique est sans doute celle de Self Taught Art, art autodidacte, proposée par Sidney Janis dans son ouvrage They Taught Themselves, car s’il est un point commun à toutes ces formes d’expressions, c’est bien celui-là et il semble bien prévaloir aujourd’hui, comme en témoigne la grande exposition itinérante Self Taught Artists of the 20th Century : une anthologie américaine, qui va se déplacer à travers l’Amérique durant toute l’année 99.
En fait, depuis la rétrospective Jean Dubuffet en 1951 à Chicago, de très nombreux musées se sont créés : à Santa Fé (Museum of International Folk Art), à New York (American Folk Art Museum, dirigé par H. Waide Hemphill Jr.), à Chicago (Intuit, centre d’art intuitif et outsider), à Harlem (Studio Museum), à Washington (un département du Smithsonian qui a acquis et reçu en donation près de 400 oeuvres de la collection H. Waide Hemphill Jr.) ainsi que de nombreuses associations comme Spaces ou la KGAA (Kansas Grassroots Art Association) et des revues telles que le Clarion publié par l’American Folkart Museum, le Folk Art Finder ou la revue internationale Raw Vision créée à Londres en 1989.
Enfin, des centaines d’expositions ont eu lieu. Retenons celle de la Corcoran Gallery of Art de Washington en 1982, Black Folk Art in America, 1930-1980, tout à fait fondamentale puisqu’elle permit de découvrir la plupart des artistes noirs.
L’expression d’une autre Amérique
Art des minorités, des pauvres, des délinquants, des vieux, des prédicateurs de rue, des purs et des gens sans culture, cet art des  » autodidactes  » est formidable de vitalité et de fraîcheur. On est souvent émerveillé de voir avec quelle force, quelle créativité, quelle liberté s’exprime toute cette Amérique marginale (même si elle est aujourd’hui artistiquement reconnue), majoritairement noire, qui ne s’embarrasse de rien et tire parti de tout – de planches, de vieilles tôles, de bouts de carton, de dos de réclame, de capsules de bouteilles… pour construire des trônes (Mr Imagination) et surtout exprimer un imaginaire créatif à l’état pur plein de force et de poésie, d’humour et de foi, et d’une forme d’enfance préservée, tout à la fois témoignage d’un monde dur et difficile et espérance en un monde meilleur.
Parmi ces hommes et ces femmes originaires de toutes les régions des Etats-Unis, du Sud profond ou des zones rurales traditionnelles bien sûr, comme si la géographie de l’art brut reconnaissait celle du blues et de la musique country, mais aussi de Chicago et des grandes zones urbaines, quelques personnalités se dégagent : celle de Bill Traylor, cet ancien esclave qui en 85, installé dans la rue, produisit en trois ans plus de 2000 dessins retraçant la vie de son quartier avec un mouvement et un sens de l’observation étonnants ; comme San Doyle ou Mose Tolliver, si représentatifs du Black Folk Art des Etats du Sud ; comme Sister Gertrude Morgan pour qui l’art n’était qu’un moyen de témoigner de sa foi ou comme Mister Imagination, maître de l’art du Bottlecap
Il faudrait tous les citer, mais le mieux est d’aller les découvrir.

Halle St Pierre, 2 rue Ronsard 75018 Paris
NB : une certaine convergence peut être recherchée avec les oeuvres d’Alaye Atö, dessinateur dogon, présentées en janvier par l’ADEIAO et le Centre d’Etudes Africaines de l’EHESS à la Maison des Sciences de l’Homme. Mutilé dans une cérémonie, il se sent persécuté par les génies. Une main arrachée, il se convertit en dessinateur et exprime ses malheurs en dessins au crayon feutre. Illetré, n’ayant jamais quitté le pays dogon, il fait appel à ses visions intérieures. Représenter des démons qui le hantent lui a permis de les exorciser. Réinventant Jérôme Bosch, il exprime le désarroi d’une victime du sort et la confusion d’un homme écartelé entre la culture dogon, les influences islamiques et le monde moderne.
Jacques Binet///Article N° : 682

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Les images de l'article
Bill Traylor, Man Reading in ArtOutsider, Art Outsider © Halle St-PierreCourtesy Judy Saslow Gallery





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