Le 72e festival de Cannes (14-25 mai) offre cette année de nombreux films d’Afrique ou d’Afro-descendants. Exploration pré-festival, avant de découvrir les films !
Compétition pour la palme d’or
L’événement est de taille : Mati Diop sera la première femme africaine à avoir son film en compétition pour la palme d’or au prestigieux festival de Cannes (Fad’jal et Mossane de Safi Faye étaient à Un certain regard en 1979 et 1996), de plus avec un premier long métrage. Cette réflexion est parfaitement ethnocentrique, mais elle correspond au monde du cinéma, des arts en général : la validation artistique, la visibilité et la reconnaissance passent encore par les festivals du Nord. Tant que le Fespaco et consorts n’auront pas atteint à ce niveau un pied d’égalité, nous serons encore à nous réjouir de la sorte.
Mati Diop avait en 2010 réalisé un court métrage intitulé Atlantiques ou Serigne, un jeune dakarois âgé d’une vingtaine d’années, raconte à ses amis sur un mode halluciné son odyssée clandestine pour traverser l’Atlantique et se rendre en Europe. D’abord appelé d’après James Baldwin « La prochaine fois, le feu« , son premier long métrage reprend finalement le titre du court : Atlantique. Mais sans le s du pluriel. Alors que le court évoquait la multitude des histoires de migrations, le long en est une en soi. Des ouvriers du chantier d’une tour futuriste dans une banlieue populaire de Dakar ne sont pas payés depuis des mois. Ils décident de traverser l’océan pour un avenir meilleur, et notamment Souleiman, l’amant d’Ada, promise à un autre. Après leur départ, un incendie dévaste la fête de mariage de la jeune femme et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier. Ada est loin de se douter que Souleiman est revenu…
C’est la solitude des femmes face au départ des hommes qu’a choisi de traiter la fille de Wasis Diop, nièce de Djibril Diop Mambety (dont le film Hyènes avait été sélectionné en compétition à Cannes en 1992). Egalement actrice, Mati Diop a marqué par l’originalité de ses courts métrages et de son moyen métrage Mille soleils où elle retrouve les acteurs du célèbre Touki bouki, film culte réalisé par son oncle.
C’est également le développement d’un court métrage, Les Misérables, que propose sous le même titre l’autre réalisateur noir de la compétition, Ladj Ly. Né au Mali, il est arrivé en France à l’âge de trois ans et n’a plus quitté sa cité des Bosquets, un des quartiers « chauds » du 93, la Seine St Denis qui jouxte Paris au Nord. Autodidacte, il s’est pris de passion pour la caméra et a systématiquement filmé son quartier, et notamment ses révoltes, par exemple lors des émeutes de 2005 après la mort de deux jeunes, Zyed et Bouna. Le harcèlement policier est à l’origine des Misérables. La référence à Victor Hugo n’est pas anodine, dont le roman se déroulait en partie à Montfermeil : c’est là qu’a grandi Ladj Ly un bon siècle plus tard. En 2008, dix ans avant le court métrage qui fut nominé aux Césars, il avait filmé une bavure policière. Son film permit de faire condamner les policiers.
Dans le long métrage, Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’avec ses collègues ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes…
Le réalisateur d’origine tunisienne Abdellatif Kechiche avait eu la palme d’or pour La Vie d’Adèle en 2013, à l’unanimité du jury présidé par Steven Spielberg. Quatre mois plus tard, ses deux actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, tout en louant les qualités du film, s’étaient plaintes de la violence et de la durée du tournage (750 h de rushs !). Cela n’empêchera pas le film de faire plus d’un million d’entrées en France. Kechiche revient en compétition avec l’été d’un adolescent de quinze ans dans les années 80 : Mektoub my love : Intermezzo. Alors que La Vie d’Adèle durait trois heures sans qu’on s’ennuie un seul moment, celui-ci en dure quatre. C’est la suite de Mektoub my love : Canto uno (2016), une libre adaptation du roman de François Bégaudeau La Blessure tourné à Sète. Romanesque et réaliste, son cinéma préfère la vie quotidienne pour capter le langage et les comportements des jeunes.
Mati Diop est née à Paris, Ladj Ly est arrivé en France à 3 ans, Abdellatif Kechiche à 6 ans : ces cinéastes ont grandi en France. Cela ne remet aucunement en cause leur part africaine – là n’est pas la question. C’est par contre le signe d’une hybridité progressive de la production artistique française et de la lente reconnaissance de leur apport. Elle est le résultat d’une lutte, vu que les préjugés coloniaux restent profondément ancrés dans la société et que le repli sur soi s’ancre dans le discours politique.
Signalons également en compétition officielle Le Jeune Ahmed de Luc et Jean-Pierre Dardenne, des habitués de la sélection. En Belgique, aujourd’hui, le destin du Jeune Ahmed, 13 ans, pris entre les idéaux de pureté de son imam et les appels de la vie.
Cette année encore dans la vingtaine de films en compétition, une alchimie destinée à renouveler l’attrait du festival dans sa capacité de découvertes : de jeunes cinéastes avec des premiers films qui côtoieront de grands noms du cinéma comme Jim Jarmusch, Pedro Almodovar, Marco Bellocchio, Arnaud Desplechin, Xavier Dolan, Ken Loach, Terrence Malick, Céline Sciamma ou Elia Suleiman.
Sélection officielle « Un certain regard »
Cette section qui regroupe des œuvres « originales et différentes » a été créée par Gilles Jacob en 1978, officiellement pour encourager les jeunes talents qui font rupture avec le cinéma traditionnel. En fait, elle regroupait les sections parallèles non-compétitives et est devenue compétitive en 1998. Elle répondait aussi à la pression de la Semaine de la critique (depuis 1961) et de la Quinzaine des réalisateurs, créée après les événements de mai 1968, pour ne pas les laisser capter en sections parallèles les films de qualité. Signe des temps, alors qu’il était composé uniquement de critiques de cinéma au départ, le jury d’Un certain regard n’en comporte plus aucun depuis 2013…
Fait notable, le Maghreb y est cette année représenté par des réalisatrices et en nombre.
Papicha de Mounia Meddour se déroule en Algérie dans les années 1990, donc durant la guerre civile algérienne. Nedjma, une étudiante de 18 ans passionnée de stylisme, refuse de laisser les événements l’empêcher de mener une vie normale et de sortir la nuit avec son amie Wassila. Alors que le climat devient de plus en plus conservateur, elle rejette les nouvelles interdictions imposées par les radicaux et décide de se battre pour sa liberté et son indépendance en organisant un défilé de mode.
Premier long métrage de la Québecoise de père tunisien Monia Chokri, La Femme de mon frère se déroule à Montréal. Sophia, jeune et brillante diplômée sans emploi, vit chez son frère Karim. Leur relation fusionnelle est mise à l’épreuve lorsque Karim, dragueur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Eloïse, la gynécologue de Sophia…
La Marocaine Maryam Touzani, épouse du réalisateur Nabil Ayouch, est notamment connue pour son court métrage Aya va à la plage et sa participation au scénario de Much Loved, précédée par son documentaire sur les prostituées Sous ma vieille peau. Adam campe une mère célibataire enceinte qui cherche à faire adopter son enfant. Sa rencontre avec une femme plus âgée va lui permettre d’envisager la vie autrement.
Quant à Bull d’Annie Silverstein (dont le film Skunk était à la Cinéfondation à Cannes en 2014), il est situé aux Etats-Unis en périphérie de Houston et met en scène la confrontation et la relation entre une jeune énervée paumée de 14 ans et un Noir ancien monteur de taureau qui gagne sa vie en travaillant sur les circuits de rodéo.
Semaine de la Critique
Une fois n’est pas coutume, l’Afrique est très présente à la Semaine. En compétition, le premier film du Marocain Alaa Eddine Aljem, Le Miracle du Saint Inconnu. Sur le monde burlesque, un voleur revient chercher dix ans plus tard son butin enterré sur une colline autrefois désertique et maintenant lieu de pèlerinage…
Egalement en compétition, Abou Leila, premier film de l’Algérien Amin Sidi-Boumédiène, est situé en Algérie en 1994, donc également durant la guerre civile. Deux amis d’enfance traversent le désert pour retrouver un terroriste en fuite. L’un des deux a la santé mentale vacillante…
En séance spéciale, Tu mérites un amour, le premier long métrage de l’actrice Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le mulet. Entourée de ses proches, elle y incarne une femme en quête d’amour, déstabilisée, qui s’égare…
Dans les courts métrages de la Semaine de la critique, on relève Fakh de l’Egyptienne Nada Riyadh sur les aléas d’une relation hors mariage. Dans Invisível Herói de la Portugaise Cristèle Alves Meira, un aveugle est seul à voir une minorité invisible, celle des Capverdiens. Naptha de l’anglais Moin Hussain, traite de l’immigration et de la transmission : Malik, le père vieillissant de Faraz, se met à lui parler dans sa langue et insiste pour rentrer chez lui… Quant à The Manila Lover de la Norvégienne Johanna Pyykkö, il campe un Norvégien aux solides préjugés confronté au refus d’une femme philippine de faire sa vie avec lui.
Quinzaine des réalisateurs
Le Tunisien Ala Eddine Slim avait marqué par son documentaire collectif Babylon sur les camps de réfugiés dans le Sud tunisien et son premier long métrage The Last of us, où un émigré débouchait dans une forêt sans plus jamais en ressortir. Le voici à Cannes avec Tlamess où un soldat ne reviendra jamais du désert et des années plus tard, une riche femme enceinte ne reviendra jamais d’une balade en forêt…
Sélection ACID
Kongo, de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav est un documentaire sur un guérisseur à Brazzaville. Il croit dur comme fer en ses pouvoirs mais sa vie bascule lorsqu’on l’accuse de pratiquer la magie noire.
Jean-Christophe Folly interprète par ailleurs le rôle principal dans L’Angle mort, de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic : il y a le pouvoir de se rendre invisible sans vraiment s’en servir, mais sa vie est bouleversée quand il en a besoin. Un film sur l’invisibilité des Noirs ?
Un commentaire
L’Afrique est partout depuis les époques coloniales , moyenne d’âge très jeune aujourd’hui et très investis
dans les nouvelles technologies etc etc !