Au rythme de promenades pédestres dans une douzaine de villes méditerranéennes, Abdelwahab Meddeb entraîne son lecteur dans un périple poétique en compagnie d’Aya, la femme aimée. Une randonnée puisant dans l’architecture, dans le mysticisme et dans l’histoire.
Mais cette Aya qui ressemble fort à une femme mythique, est-elle bien réelle ? L’auteur lui-même la place dans la » tradition littéraire du féminin sublimé « , derrière Laura de Pétrarque et Elsa d’Aragon, tout en précisant que la toute première figure de la série fut arabe : Rabia, la femme aimée et sublimée par le théosophe arabo-espagnol Ibn Arabi. Il y a aussi ce nom-symbole : Aya, qui signifie en arabe » le signe, et le verset coranique qui prend valeur de signe » et en japonais » le travail sur la trame « .
Une constante frappante du roman est la dualité, présente surtout dans l’héritage culturel et vécue sans contradictions par le narrateur. Meddeb parle de » dualité des références « , vue par les anciennes générations comme » une division de l’être « , mais qui s’avère être un bonheur pour l’auteur lui-même : » Comme par hasard, les textes qui m’intéressent le plus sont des textes qui ne sont pensés que dans l’interstice entre les cultures et les langues « , confie-t-il en faisant allusion à Segalen ou Ezra Pound.
Cette dualité prend place dans une narration très scandée, souvent absente de ponctuation. L’auteur qui se nomme » écrivain-marcheur » y voit une certaine » égalité du flux » : » C’est un corps qui traverse un espace dans un temps déterminé et qui capte des sensations. La trame dramaturgique devient égale à la capture de ces sensations. C’est une volonté de ne pas hiérarchiser ces deux éléments. » Mais : » Il s’agit de même d’imaginer comment déclamer ce que vous avez sous vos yeux, de donner dans le graphe la virtualité d’une voix. »
Ainsi se trouvent mêlées aux sensations physiques du marcheur ses réflexions sur le monde, sur l’architecture, sur les écrits de philosophes arabes. L’auteur ne nie pas le rapport entre écriture et érudition : » Mon rêve est de retrouver la figure de l’homme savant des temps anciens, de sortir de cette calamité que nous impose l’époque, c’est-à-dire l’archi-spécialisation. «
Aya dans les villes, d’Abdelwahab Meddeb. Fata Morgana, 1999, 136 p.///Article N° : 1363