Bill Kouélany

"Le mur est cet état de gestation après lequel s'ensuit une reconstruction"

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Parlons des murs puisque ce sont eux qui nous séparent du monde ou qui séparent le monde de nous. C’est ce que fait, à l’occasion de la dernière Dokumenta de Cassel, l’artiste congolaise Bill Kouélany, qui explique porter en elle les traces de la guerre comme la métaphore de « l’avant-mur ».

Faite de papier mâché, l’immense installation (sans titre) de Bill Kouélany se déploie de tout son long dans l’espace du Aue Pavillon aux côtés de « Vampire » de la peintre allemande Monika Baer, de « Recording 2006 chang’an street » de la dessinatrice chinoise Lu Hao et de quelques-unes des 1001 chaises de l’artiste chinois Ai Wei Wei. Le mur comme métaphore d’une communication ambiguë est la suite d’un long travail de recherche sur le mot et sa plasticité, le théâtre et son objet.
La jeune Bill est à l’image de son prénom. L’allure un brin masculine, la voix roque et le mot miel. Elle est âgée d’une trentaine d’années lorsqu’elle vient à la peinture « par hasard » dit-elle volontiers, au moment où la guerre éclate dans son pays. L’œuvre du poète Tchicaya U-Tam’si raisonne en elle comme un tambour de souffrance et l’amène à réaliser ses premières œuvres. De pliure en déchirure, la jeune femme au chapeau écossais flirte avec le milieu du théâtre comme on joue avec un amour d’enfance et signe sa première pièce « Cafard, cafarde » dans la fin des années 90.
Alors, au fil de ses voyages et expositions (Ateliers urbains de Doual’art en 2001, 5e Biennale de Dakar en 2002, Beautés d’Afrique au Lieu Unique de Nantes en 2004, 6e Biennale de Dakar en 2006) elle sème derrière elle ces murs aux parois écorchées, à l’air morne et taciturne. « Le mur me fascine car bien souvent il reste debout alors que la maison s’est effondrée. C’est pour moi l’alliance d’une double esthétique, douleur et beauté. L’écriture vient avant la peinture. Je peignais beaucoup les maisons mais dans l’écriture, je mêlais ma vie intime à la grande histoire. Le travail sur les journaux est une rencontre entre les mots et la matière plastique. Ce qui m’intéresse, c’est de noyer le mot, aller au-delà de lui pour faire naître l’image, dissoudre l’information grâce au papier mâché. Le mur est cet état de gestation après lequel s’ensuit une reconstruction« .
Ces ruines présentées lors de la dernière Biennale de Dakar et à l’occasion de la Dokumenta 12 ne naissent pas seulement du passé de l’artiste ou encore de ses mains, elles survivent comme les derniers pendants extatiques de l’Avant. Avant la guerre, avant l’écriture, avant les mots. Mais n’y en a-t-il jamais eu, d’avant ? Non, car l’artiste précise, « je suis congolaise, une femme née dans un pays en guerre, je la porte en moi « .
Sur l’interprétation de son œuvre, Bill Kouélany ne fait aucune concession et ne veut ni apposer de commentaire à ces surfaces grisâtres et moribondes dont la facture, pourtant, l’y oblige. Alors au fil des mots, la plasticienne retient sa verve, l’étouffe, elle qui est pourtant connue maintenant pour la richesse de ses textes, les uns les plus adjectivés que les autres. Ceux qui ont vu le mur de Cassel se souviennent sûrement de ce passage de la vidéo tiré d’ « Extraits d’actes de Naissance » (1) et également projeté sur une bâche au cours de la pièce « Peut-être » de Jean-Paul Delore : « Vous ! Avez-vous déjà observé les traits de votre visage quand vous éclatez de rire ? Froidement soutenu votre regard dans le miroir quand la chair vous fait ces aveux ? Un visage écartelé, tourmenté, distendu. Une architecture faite de croûte, de fissure, de cicatrice, d’écorchure, d’obscurité, de nœuds, toujours me fascine et me cause un malaise. Je ne peux m’empêcher de penser à un sexe béant et charcuté : le sexe d’une accouchée »
Finalement, à la question de savoir si toute cette œuvre s’assimile à un vaste autoportrait, à un perpétuel chantier de reconstruction de soi, l’artiste conseille d’ « éviter de tomber dans les pièges de sa propre histoire » même si tout peut-être lu comme une suite de coïncidences. Pourtant, les ombres de l’artiste s’échafaudent sur une architecture de cicatrices, nœuds, croûtes et débris dont le ciment raisonne en chacun comme une peau de chagrin. L’œuvre monumentale nous fait front et s’impose par sa plastique dramaturgie. Et encastrés dans la chair exsangue des vestiges du passé, les téléviseurs font apparaître le visage de l’artiste, puis le transforment en un autre. L’acte chirurgical est double. Les points de suture qui relient chaque morceau des parois font écho à la vidéo dans laquelle l’artiste soutient avec souffrance son propre reflet avant sa complète défiguration. Puis, des coupures de journaux comme des empreintes à jamais figées dans le marbre se succèdent, telles des lambeaux de misères. On peut lire notamment « sérieux doute sur l’essai nucléaire de la Corée du Nord« . « Le Japon revient à la mort par pendaison« . «  Les cambrioleurs mettent feu« . « En Chine, la police chinoise a réprimé dans le sang une manifestation de paysans« .
Le long de la muraille, un zigzag se transforme progressivement en un cardiogramme funeste. Pour sûr, Bill Kouélany n’en a pas fini d’exhumer les stigmates du passé et continue de chercher les formes d’une modernité toujours plus ravagées. La femme aux dreadlocks s’est tournée du côté du miroir où les sujets engloutis dans la course à la vie continuent d’exister dans un profond abîme d’inconscience. Elle se dit « fascinée par le chaos et la communication » qui l’inspirent depuis toujours. Avant d’ajouter « à partir des journaux internationaux que je lis, je crée mon langage plastique. Celui-ci s’enrichit de la violence et de la destruction qui émane des articles découpés et transpose ces malentendus qui créent l’évènement. J’ai donc voulu travailler autour du glissement de ces incompréhensions qui deviennent communication puis information. Mais en définitive, il s’agit d’aller au-delà et de ne pas rester au sujet. Il y a plusieurs lectures. J’ai envie que les gens voient l’avant mur, le mur et l’après mur. Le tout ne se lie pas comme un bloc mais se découvre sous différentes facettes« .
Sa participation à la Dokumenta 12, elle l’explique simplement. « Quand j’ai rencontré Roger M. Buergel et Ruth Noack, ils m’ont proposé de travailler in situ. Le mur en tant qu’objet les intéressait à plus d’un titre mais notamment parce qu’il faisait référence au passé historique de Cassel ». En définitive, les murs de cette artiste plasticienne, dramaturge, scénographe et vidéaste au devenir prometteur laissent donc bien ce goût aigre doux du souvenir commun et d’une réciprocité analogue, d’une peau universelle éprouvée par et dans la douleur en dépit de tout déterminisme culturel et identitaire.
Aujourd’hui, la success story la conduit de pays en projet et de projet en pays avec pour leitmotiv de conjuguer ce qui lui est cher, la lettre et la forme. Pour découvrir l’œuvre de celle qui, il y a quelque temps encore, se sentait inconnue parmi les siens, rendez-vous à la galerie Peter Hermann à Berlin (2), où elle expose jusqu’à mi-octobre avant une résidence de création au Théâtre du Cloître de Limoges, puis une résidence de trois mois aux Beaux-arts de Nantes et un séjour en Californie obtenu en 2006 à Dakar grâce au prix du Monthalvio Art Center.

1. Œuvre non publiée
2. Brunnenstr. 154 D-10115 Berlin www.galerie-herrman.com
///Article N° : 6984

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Les images de l'article
Bill Kouélany, Installation sans titre, 2005, Technique mixte (contre-plaqué, poésie brisée, papier mâché, couture, vidéo) © Jessica Oublié
Bill Kouélany, Installation sans titre, 2007, Technique mixte (contre-plaqué, poésie brisée, papier mâché, couture, vidéo) © Jessica Oublié
Bill Kouélany, Installation sans titre, 2007, Technique mixte (contre-plaqué, poésie brisée, papier mâché, couture, vidéo) © Jessica Oublié





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