Blood Diamond fait un pari difficile : traiter d’un sujet extrêmement sérieux, complexe et dramatique avec un produit Hollywood pur jus. Alors disons-le tout de suite, le pari est gagné, même si toutes les questions éthiques ne sont pas résolues.
Leonardo DiCaprio ajoute encore une performance irréprochable à son CV déjà impressionnant. Après avoir pratiqué l’accent irlandais dans Gangs of New York et Les Infiltrés, il se délecte ici des différents créoles africains qu’il adopte selon ses interlocuteurs. Danny Archer est profondément ancré dans la culture politique africaine et refuse par exemple de parler du Zimbabwe pour nommer sa Rhodésie natale dont il a été expulsé à l’âge de 9 ans. Fidèle à la formule hollywoodienne, le film repose sur les épaules de l’acteur-héros entraîné à survivre, exceptionnel par sa résistance physique et morale, son sens de la repartie et en fin de compte, sa profondeur psychologique sous ses apparences de tête brûlée.
Blood Diamond est donc un film de stars, où DiCaprio est épaulé de Jennifer Connelly (Dark Water, Un Homme d’exception, Requiem for a Dream) pour l’histoire d’amour et de Djimon Hounsou (Amistad, Beauty Shop, The Island) pour la relation interraciale d’abord conflictuelle puis indéfectible.
Chaque personnage est motivé par une quête absolue : un diamant qui permettra à Danny Archer de quitter l’Afrique violente dont il a été victime, un fils pour Salomon Vandy que les rebelles du Front Révolutionnaire ont capturé et endoctriné, un article et un procès pour Maddy Bowen, journaliste accro aux dangers de l’enquête de terrain.
Les relations sont commandées par des conventions narratives éculées. L’homme noir est marié et fidèle, bien qu’immédiatement séparé de sa famille pour éviter toute démonstration intempestive de sexualité. L’homme blanc est célibataire et coureur. La femme blanche ne peut donc pas se tromper, même si à nouveau, la sexualité est sublimée afin d’éviter toute censure limitant le public autorisé à voir le film.
La violence, en revanche, est fort explicite dès les premières scènes de massacre, elle atteint son apogée psychologique avec les scènes d’initiation des enfants soldats. Blood Diamond est un film d’émotion et d’action, les scènes de fuite et de poursuite permettant aux personnages principaux de se rendre mutuellement indispensables. Cette dimension structure le film : les massacres sont si nombreux qu’il faut constamment rappeler que la mort des personnages principaux serait tragique, étant donné le nombre de figurants qui sont liquidés.
Parce qu’ils écoutent du rap, qu’ils vivent dans un monde de violence, qu’ils ont des armes, qu’ils recrutent des adolescents et qu’ils cherchent des diamants, les voyous du Front Révolutionnaire Uni ne manqueront pas de faire penser aux « gangsters » noirs des quartiers pauvres américains, petits soldats du trafic de drogue. Le parallèle est parfaitement convaincant et fort probablement véridique. Cependant, s’apitoyer sur les petits sans compassion pour les grands, en laissant aux pères absents le poids de la responsabilité, revient à commettre la même erreur d’un continent à l’autre : les raisons économiques qu’on imagine ne suffisent pas à expliquer la barbarie. Inversement, la violence de Danny Archer, tout aussi condamnable, est acceptée parce que le personnage est développé. On apprend ses motivations et ses souffrances. C’est par centaines que les soldats du FRU et leurs recrues sont sacrifiés à l’autel du réalisme, au même titre que leurs victimes anonymes ; seuls les héros échappent aux pluies de balles.
Mais le réel exploit de Blood Diamond, c’est d’arriver avec un pur produit marketing, une grosse machine hollywoodienne régie par les lois du marché, où les héros se doivent de boire du whisky de marque et de conduire des véhicules estampillés alors même qu’ils s’attaquent à la gigantesque industrie du diamant accusée de financer l’achat d’armes mises entre les mains d’enfants soldats. Le message au consommateur est merveilleusement ambigu : seuls 15% des diamants disponibles sur le marché seraient issus des zones de conflits et donc suspectés de financer le trafic d’armes et les soutiens politiques. Toute l’industrie n’est donc pas à condamner, ni surtout à boycotter. Cependant, une fois les certificats forgés, les diamants dits » de sang » sont impossibles à différencier des autres. Seule solution logique, qui n’est jamais explicitée : ne plus acheter de diamants.
Alors comment ce film, financé par des studios hollywoodiens qui partagent les intérêts économiques d’un pays receveur des deux tiers de la production mondiale de diamants, peut-il néanmoins faire l’objet d’une campagne de promotion internationale ? Peut-être parce que l’on sait bien qu’il n’existe pas de mauvaise publicité et que finalement, si l’on est écuré par la violence qu’entraîne la recherche des diamants, on est encore plus touché par les extrêmes auxquels les personnages sont prêts à se rendre pour les obtenir, leur conférant une valeur toujours plus grande, confirmée par les sommes d’argent faramineuses que les diamantaires suisses sont prêts à débourser pour les entreposer dans des coffres où leur valeur s’appréciera encore.
Ne se dit-on pas finalement, comme le héros Danny Archer, que » c’est l’Afrique » comme on dit » c’est la vie « , que la violence et l’esclavage sont liés à l’Afrique comme le savoir et l’art à l’Europe, la liberté et l’initiative capitaliste à l’Amérique ? Danny Archer répondrait certainement par la positive, Maddy Bowen par la négative. Non qu’elle y croie vraiment, son idéalisme militant se dévoilant fragile, mais selon une pragmatique tout américaine : parce que sinon, on n’entreprend plus rien. Blood Diamond a le mérite de dénoncer l’horreur et de proposer un peu de bonne volonté dans ce monde de brutes. Ce que le film ne propose jamais, c’est la réponse de Salomon Vandy. Le film se termine alors qu’il va témoigner à la cour. De même que Salomon n’avait pas traduit à Danny les paroles du vieux villageois qui avait peur qu’on trouve du pétrole et que les choses empirent encore, le scénario ne nous livre pas la vision africaine du conflit : le témoignage est coupé, il n’y a plus qu’à lire le générique.
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