En sortie le 19 avril 2017 dans les salles françaises, Cessez-le-feu est une élégante évocation de l’après-guerre de 1914. Quand le feu s’arrête, comment réparer les vivants ?
L’enfer de la première guerre mondiale date d’une centaine d’années. On mesure mal aujourd’hui le traumatisme des tranchées, d’une génération sacrifiée et du désarroi des survivants. Si pour son premier long métrage, Emmanuel Courcol, le scénariste de Welcome, revient sur cette période, c’est que la maison de son enfance vibrait à travers récits et photos des souvenir de ses grands parents. Comment se reconstruire ? Alors que la France plonge dans le déchaînement des « années folles », la détente et la reconstruction, avec ce qu’elles ont d’insouciance et de corruption des profiteurs, Georges (Romain Duris) est partagé entre ce monde auquel il ne peut adhérer après son expérience de l’horreur et cet autre monde où il est allé se réfugier, l’Afrique. Avec Diofo (Wabinlé Nabié), un personnage inspiré par le Wangrin d’Amadou Hampâté Bâ, ils ont parcouru les pistes de la Haute-Volta et rejoué dans les villages la guerre et ses histoires de chasseurs, dévoilant de fascinants accessoires ramenés du champ de bataille.
Tandis que Georges est un Rimbaud solitaire qui troque et traficote, Diofo est un interprète dans les deux sens du terme : il traduit en arrangeant pour franchir le mur culturel et incarne théâtralement le tirailleur en plein combat. Mais la violence n’est pas qu’européenne et les rattrape, y compris celle que Georges provoque à son insu, tant il la porte en lui. De retour en France, il pense savoir ce qui est bon pour son frère Marcel (Grégory Gadebois) à qui la guerre a pris l’audition et la parole, mais il ne fait qu’appliquer ses recettes d’officier et de patron. Lumineuses, des femmes lui ouvriront l’esprit. Il se heurtera à Madeleine (Julie-Marie Parmentier) qui tente d’apprendre à Marcel, son ancien fiancé, le langage des signes. Quant à l’infirmière Hélène (Céline Sallette), qui porte elle aussi les stigmates intérieures de la guerre, elle est libre, moderne, indépendante : elle dérange Georges et le fascine. Un amour naît de ce trouble mais sauront-ils en trouver la durée ? Madeleine tente de réparer Marcel, Hélène pourra-t-elle réparer Georges ? « Personne sait, personne peut savoir » dit Georges en évoquant les tranchées. Dans ce monde de gueules cassées, comment réparer ce que l’Histoire a brisé ? Malgré une fin positive, Courcol ne tombe pas dans l’angélisme. Le monde qui se reconstruit reste colonial et violent. Il porte déjà le bégaiement qui suivra.
Evocation sans heurts, le film est ainsi empreint d’une mélancolie que renforce une image en clair-obscur, sans que la mise en scène vienne non plus soulever des vagues. Dans chaque scène, ombres et lumières se superposent, se répondent et s’annulent, ouvrant à l’ambivalence des sentiments. Seules, les couleurs de l’Afrique rompent avec l’ambiance crépusculaire des champs de bataille et des intérieurs où Marcel se débat avec son traumatisme. L’Afrique n’est pas qu’un refuge ou une fuite, elle est une voix que l’on peine à écouter, que l’on enferme dans ses paysages et ses fétiches, surtout avec les préjugés de cette époque et malgré l’apport des tirailleurs. Il reste que Courcol n’est pas Eastwood même s’il travaille avec un de ses chefs opérateurs : les élégants contrastes lumineux peinent à porter la tension que le très professionnel Romain Duris s’emploie valeureusement à insérer dans un récit qui garde l’émotion à distance.