En sortie France le 11 janvier 2023, Ceux de la nuit est le troisième long métrage de Sarah Leonor. Réflexion intime qui transcende la représentation, il tranche avec les nombreux films fait sur la migration.
Ceux de la nuit évitent le jour. Ce sont des résistants. Et parler de résistants pour qualifier les migrants est pertinent, eux qui bravent les frontières pour choisir leur destin.
Il y a pléthore de films sur le sujet : tant de souffrances à dénoncer, tant de courage à célébrer. Pourquoi dès lors en faire un nouveau ? Souffrance et courage : voici ces résistants traqués sur les chemins des montagnes qu’ils tentent de franchir, sur le Mont Genèvre maintenant que la voie des Alpes maritimes est coupée. Toujours plus haut, plus enneigé, plus froid. Il y a des morts, dans l’indifférence générale, en dehors de quelques habitants qui préfèrent suivre leur humanité. Scandalisés par l’inégalité entre les hommes, ils prennent le risque d’aider les migrants à passer.
Pourquoi un nouveau film ? Parce que personne ne sait vraiment comment en parler. Parce que tout change très vite dans ce pays qui se replie : les lois évoluent, l’ambiance délétère imposée par les fumeuses théories du grand remplacement pourrit le débat public. Mais aussi, parce qu’une migrante de 20 ans, Blessing Mathew, s’est noyée dans la Durance en tentant d’échapper à un contrôle policier, une affaire classée sans suite. Alors l’indignation monte, celle notamment de Sarah Leonor qui faisait du ski dans cette montagne lorsqu’elle était jeune.
Elle pour qui le cinéma est « passer la frontière » tant elle s’intéresse à l’altérité, décide d’en faire un film, autour de cette présence exilée qui s’inscrit dans la vie des gens. Un film très personnel, comme un cri poussé dans la montagne. Il risque d’être étouffé par le box-office mais tant pis : il existe pour ceux qui veulent l’entendre. Car il est puissant, ce cri qui sort des tripes, non comme un discours mais comme une méditation, à la mesure de la mort dont il tente de conjurer l’oubli.
Avec des rappels simples de solidarité, celui d’un homme qui trouve normal de rendre la pareille à des Africains qui l’ont aidé, celui d’une femme bouleversée après avoir accueilli Blessing… Des témoignages oraux portés par des comédiens (Solène Rigot, Damien Bonnard, Olivier Rabourdin). Touchants parce que directs, simples, personnels, mais aussi parce qu’ils sont ancrés dans les espaces où ils évoluent, que nous voyons à l’écran.
Le petit jeu de cache-cache et d’effacement des traces sent trop la mort pour faire sourire. Le secours en montagne est une tradition. En témoignent de vieux films, des récits anciens. « Mourir peut attendre », disait le film, mais le tragique a pris le dessus, et les identitaires sont aussi à l’affût. Le drame est aussi que la police n’applique pas les lois sur les demandes d’asile et opère toutes sortes de pressions sur les habitants.
Des fleurs pour Blessing : la solidarité permet de limiter les accidents. Mais que faire quand tout s’emballe ? Certainement pas du reportage. Le film se fait cascade, succession de gros plans, échappe au temps en s’y enfonçant : « dans des milliers d’années, nous ne serons plus qu’une couche de sédiments », dit la douce voix de Françoise Lebrun. Le temps qui fuit nous dépasse. C’est lorsque le film affirme ce formalisme sans frontière qu’il se fait le plus politique, connotant le scandale de celle à laquelle se heurtent ceux de la nuit.
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