Et si demain n’existe pas,
Ou plutôt et si demain n’existait plus,
Il est de plus en difficile de se faire à l’idée d’un possible lendemain,
Je ne sais pas si demain arrivera,
Je ne sais pas si demain je pourrai à nouveau revoir ma mère, mon père, mon meilleur ami, mon boulanger du coin,
Je ne sais peut-être pas si demain je pourrai voir mes enfants grandir, finir leurs études, se marier et être heureux, je ne sais pas !
Oui dites-moi, et si demain n’existait plus !
Plus rien ne me certifie que demain je pourrais à nouveau croiser ce vieil homme à la descente de ma station de métro me demandant une malheureuse pièce de monnaie.
Je ne sais pas !
Rien ne me garanti pour l’instant que je pourrai à nouveau écouter le son de la dame du métro m indiquant la fermeture de la station Berri Uqam, la congestion du trafic à cause d’une personne malade qui aurait tiré l’alarme dans le wagon. Tout ça, plus rien ni personne ne peut me l’indiquer pour l’instant
Et si demain n’existe pas
Ou plutôt si demain n’existait plus,
Nous voici condamné à revivre un présent perpétuel, les mêmes gestes, les mêmes mots, les mêmes regards.
Comme des chiens en faïence nous voici tournoyant dans nos cages de maisons, en train de tenter de nous réapproprier nos vies, nos moments et peut être nos avenirs.
A rideau tiré ou ouvert chacun essaie de projeter une certaine vie possible à nouveau,
Les gestes les plus simples d’un quotidien souvent agaçant et angoissant nous manque, on est tous en manque de l’humanité dans cette existence,
Certes nous existons chacun dans son coin, recroquevillé derrière sa petite personne, mais aujourd’hui cela s’avère insuffisant, cela s’avère insignifiant.
Le mot vient de tomber vanité, Eh oui tout nous parait VAIN sans l’autre,
Tout nous parait insensé sans l’interaction de l’autre.
L’humain est un animal social, je suis un phacochère de la vie, un gnou à la traversée de la rivière, souvent sans raison valable mais par besoin viable je traverse avec les autres.
Rester chez soi pour demeurer en vie, pour sauver les autres,
Sauver la vie tel est le nouveau credo de ceux qui ne savent même pas avec certitude si demain ils seront encore de nôtres.
Il nous faut à chacun puiser dans nos réserves des forces pour résister, faire jaillir au plus profond de chaque être la capacité de tenir, faire bouillir ses méninges, réinviter ses souvenirs les plus enfouis d’endurance parfois dans les pages plus sombres de notre histoire, ré-ouvrir les plaies les plus saignantes.
Tiens bon me disais-je ce matin au dixième jour de mon confinement, admirant sur ma fenêtre de salon, ce beau climat, ce soleil tant attendu après un hiver rude, rigoureux et gourmand, qui n’a épargné personne, me voici en admirateur passif d’une belle journée printanière.je la contemple au lieu de la vivre
Tiens bon ! de toutes les façons tu as connu pire, souviens toi de l’avancé de troupes rebelles de l’AFDL* en 1997 au moment de la chute du maréchal Mobutu, souviens toi de ces journées remplies d’incertitude et de peur, oui comme un reportage d’un match de football entre deux équipes rivales, nous suivions l’avancée de ces escadrons de la mort ou de la libération ça dépend! Minute par minutes.
Chaque jour il nous fallait nous inventer une raison de vivre, fabriquer une espérance. Il fallait s’accrocher à quelque chose, la foi en Dieu, la foi en l’avenir, le sourire d’un enfant, l’amour d’une mère, l’attachement à une passion, la mienne le théâtre. L’amour de l’amour, l’amour de la vie.
Comme plusieurs, il me fallait m’établir en maillon d’espoir, aller fouiller au-delà de l’instant et du palpable une brèche d’appui, il fallait grimper plus haut dans l’imaginaire, dans l’invisible, au fin fond du monde du tout possible et ensuite frayer un chemin, une esquisse de fuite d’un fiole d’espérance, dire à soi et aux autres que demain existe, et qu’il sera meilleur.
Aussi maintenant plus tard, fort de cette expérience de peine, il me faut à nouveau fabriquer de l’espoir, construire une beauté possible de l’instant et du lendemain non plus pour moi, mais pour mes enfants, maintenant que je suis père, mari et époux, artiste et citoyen du monde. Une petite voix audible une petite parole écoutable.
Il me faut inventer un lendemain, traverser cet étrange désert de confinement sans assurance certaine d’une échéance finale. Les chiffres de morts journaliers dans les médias tombent comme des obus de mortiers et de bombes venant de la guerre du Congo Brazzaville, traversant le fleuve et détruisant aveuglement des demeures à Kinshasa la capitale.
Ces morts en chapelet me renvoient à la triste réalité de mon pays, à la triste vie de mes compatriotes de la ville de Beni dans la province de l’Ituri à l’Est de la république démocratique du Congo. On y meurt déchiquetés par machettes et par centaines, à la seule malheureuse différence du covid-19, ils sont moins médiatisés. Ceux-ci par contre meurent entier, après avoir été tenté d’être sauvés par un personnel médical dévoué et débordé, respect à eux. Les morts que l’on voit à la télé en tout cas sont inhumés de manière isolée certes mais solennelle, des cercueils dignes et des corbillards respectables qui vous conduisent à votre dernière demeure. A Beni on y meurt en gibier et on est enterré en pâture. Sans digne inhumation ni obsèques respectables.
Qu’est-ce que cette génération, j’ai l’impression de voir plus de morts que des vivants, j’ai la sensation de me battre plus pour la survie que pour la vie.
Franchement je me sens épuisé et pas seulement moi d’ailleurs, lorsque je regarde à mes côtés, j’ai cette même sensation de on en peux plus, cette phrase inédite qui bave sur les lèvres de tous, « Mais qu’est ce qui se passe bon sang! qu’est ce qui ne vas pas avec nous ! »
Et si demain n’existe pas,
Ou plutôt et si demain n’existait plus,
Et s’il nous fallait tout reprendre, tout recommencer, par quel bout devrions-nous débuter
Quelle serait la priorité ! l’humain ou le pain,
La paix ou l’épée
L’effort ou le confort
La vie ou la fortune
La culture et la censure
L’école et le pétrole
Les âmes ou les armes
La poésie ou la politique
La philo ou la techno
L’écologie ou l’économie
Comme à la ferme, du temps des patriarches, je fais confiance à Noé et j embarque dans l’arche, pour 40 jours ou peut-être plus, de confinement, de retraite, de réclusion, de réflexion, de prévention, de refonte, de repentance et d’impatience
En silence j’invoque la guérison, j’évite la contagion sans tomber dans la dépression
Je m’insurge contre la propagation sans flécher dans les hallucinations.
Je milite contre toute conspiration et refuse toute manipulation
Parce que jamais l’humanité n’aura était autant suspendue sur un fil du néant,
Il nous faut alors nous accrocher sur une branche molle de l’espérance.
Réinventer la possible vie,
Et si demain n’existe pas
Ou plutôt s il n’existait plus
Il nous faut alors cultiver cette part qui nous reste de fragilité et de beauté,
Celle du possible au-delà de tout,
Écrire une nouvelle poésie folle de rage et de vie
Depuis ce matin, les aigles sont descendus de leurs cimes
L’air retrouve sa pureté
Le fleuve reprend son lit
Le mal se vit dans l’invisible, il circule par l illisible et s’installe grâce à l’incrédule
Aujourd’hui le soleil brille à nouveau
L’homme a péché
L’humain a empêché
L’humanité doit se dépêcher
Aujourd’hui l’homme doit se repentir
L’humain doit se de départir
L’humanité doit repartir
Et si demain n’existait plus
Le présent doit réinventer l’homme
De la vie ne devra naître que des vies
Et si demain n’existait plus,
On le réinventera par la simplicité
L’humilité fabriquera de nouvelles tanières des fraîches existences
La beauté bâtira des murs de fragilités
Et la générosité quand a elle limitera les frontières des égoïsmes et des gourmandises
Si demain n’existe plus, nous l’inventerons, nous n’avons plus le choix.
Papy Maurice Mbwiti . Montréal / Avril 2020/ Canada
AFDL : Alliances des forces démocratiques pour la libération du Congo/Zaïre / : Mouvements rebelles qui a renversé le Marechal Mobutu
Mobutu : Président de la Rdc alors République du Zaïre de 1965-1997
Un commentaire
Un bel article. Avec cette pandémie rien n’est plus sûr. mais l’humain s’est toujours relevé après de grandes catastrophes que ça soit la guerre ou d’autres choses. Celles-ci nous renforcent mais surtout nous remettent en question sur le but de notre existence.