En sortie dans les salles françaises le 23 octobre 2024, ce documentaire du talentueux cinéaste congolais est situé à l’université d’Ibadan au Nigeria où il a vécu quatre ans. Les discussions des étudiants d’un ciné-club engagé et les incursions dans leurs luttes se répondent pour nous donner une image passionnante des enjeux actuels.
Le « Thursday Films Series » est le ciné-club qu’Alain Kassanda a créé avec un professeur, un doctorant et des étudiants à l’université d’Ibadan lorsque sa compagne anthropologue y enseignait. C’est donc le réalisateur qui génère le cadre de son film, un espace dédié, sans intention de départ et qui n’en fera un film que plus tard. Les débats en faisaient un lieu d’expression politique et c’est clairement ce qui intéressait Kassanda. C’est donc cette prise de parole et cette formation qui est ici documentée, qui va trouver sa mise en pratique dans les manifestations #EndSars d’octobre 2020 contre les violences policières et la mal gouvernance du pays[1].
Le ciné-club se réunit chaque semaine le jeudi. Il est autogéré et gratuit. Le cinéma est l’occasion de tous styles de débats. Toutes et tous peuvent y prendre la parole, parfois âprement. On y parle souvent avec ses tripes. Les travers de la société nigériane y sont dénoncés, notamment le patriarcat, le sexisme et l’homophobie. C’est le seul lieu à Ibadan où l’on peut voir des films d’Afrique, les salles locales ne passant que les commerciaux de Nollywood et les blockbusters américains.
La venue au ciné-club d’Obayomi Anthony, qui présente ses photos sur les conditions désastreuses de la vie étudiante est un grand moment : son regard sur les hébergements parle bien sûr aux participants qui y décèlent sa dimension politique. C’est une vision critique qui s’élabore, parfois poétique, préalable à l’action. Lorsque le film montre les manifestations, des images occasionnellement tournées en téléphone portable, ce qui était parole prend corps et s’inscrit dans la rue. C’est ce lien qui rend le film passionnant : nous vivons cette évolution de la parole au geste comme une nécessaire logique existentielle. La prise de parole cherche à être prise de pouvoir, une démarche malheureusement violemment réprimée.
Cette génération « smartphone » est souvent insultée, qualifiée de « coconut head » : elle aurait une noix de coco à la place de la tête. Les jeunes se sont appropriés l’expression, trouvant qu’il leur faut avoir la tête dure pour revendiquer un avenir meilleur face aux anciens qui accaparent le pouvoir. De fait, il n’est pas simple aujourd’hui, au Nigeria comme trop souvent ailleurs, de s’affirmer citoyens.
[1] Le mouvement #EndSARS appelait au démantèlement de l’unité de police SARS (Special Anti-Robery Squad), symbole de la généralisation des violences policières. La répression a été brutale, notamment au péage de Lekki où l’armée a tiré sur une foule désarmée.