Depuis plus de dix ans, l’association Deci-Delà collecte des contes à travers le monde et les met sur internet dans leur langue d’origine et en français, explorant ainsi les possibilités qu’offre la curieuse alliance des nouvelles technologies et de la tradition orale du conte.
Il était une fois une enseignante qui découvrit le multimédia… l’histoire pourrait commencer ainsi. Après avoir enseigné l’histoire-géographie pendant 30 ans, Josette Naiman, présidente de l’association Deci-Delà, plonge la tête la première dans les nouvelles technologies, qu’elle voit comme un merveilleux moyen « de traverser le monde « . Elle quitte l’Education nationale et au début des années 2000, elle monte le projet Conte-moi.
Depuis, une centaine de contes du patrimoine oral du Mali, de Mauritanie, d’Haïti, du Sénégal, du Maroc, d’Algérie, de Guyane française,… ont été enregistrés et peuvent être écoutés en ligne ou téléchargés en mp3, accompagnés de fiches pédagogiques réalisées par des enseignants des pays dont sont originaires les contes.
Pour Josette Naiman, « la force et l’originalité de ce travail vient du fait que nous avons enregistré les contes sur place et surtout dans la langue de leur patrimoine « . Un studio d’enregistrement a moine même été créé à cet effet à Dakar. Des conteurs locaux sont systématiquement associés au projet. Pour l’Afrique de l’Ouest, Lilyan Kesteloot, qui fut missionnée par Senghor pour ouvrir au sein de l’institut fondamental de l’Afrique noire de Dakar, un département chargé d’assurer la collecte des traditions orales de l’Ouest africain, a été sollicitée.
« L’objet premier était l’apprentissage du français en partant des langues vernaculaires » explique Josette Naiman. Les premières collectes furent financées par le Fonds francophone des inforoutes. L’Education nationale s’est impliquée dans les collectes plus récentes de contes français, roms et guyanais.
En Guyane où la collecte s’est achevée en 2015, les enfants sont scolarisés en langue française et suivent dans ce département français d’Amérique latine le programme scolaire national, mais pour beaucoup d’entre eux la langue maternelle n’est pas le français. « Le français en est la langue officielle, mais ses locuteurs natifs ne représentent que 10% de la population« , écrivent Odile Renault-Lescure et Bettina Migge dans l’article « Langues et école en Guyane »(1).
« Au-delà de la culture véhiculée par le conte lui-même, notre objectif est donc de valoriser la diversité française, ainsi que les cultures et langues de Guyane, à travers des outils numériques » explique Jennifer Roodnejad, chargée des projets pédagogiques de l’association et de la collecte des contes guyanais. « Valoriser la culture guyanaise et les langues locales par le biais des contes permet d’associer littératures orale et écrite et constitue donc une passerelle vers la culture de l’écrit « .
Josette Naiman reconnaît manquer de visibilité sur les usages qui sont faits des ressources gratuitement accessibles en ligne. En classe, il s’agit plus d’ « initiatives d’enseignants que de l’éducation nationale elle-même« , précise-t-elle. Quant aux usages même dans la sphère privée, ils sont difficiles à définir. L’association, basée à paris, souhaite développer les ateliers, comme elle en a déjà organisés, à Bagnolet (93) par exemple, autour de contes en bambara. Un partenariat avec l’association Bibliothèques sans frontières est en cours. L’histoire n’est donc pas terminée.
« L’enfant est amené pieds et poings liés. Son cou doit être tranché dans les minutes qui suivent. il prend alors la parole pour être son propre avocat :
– Ecoutez, bonnes gens, je ne suis ni un sourd-muet, ni un assassin, je suis simplement un amoureux de la sagesse. Je suis à la recherche de la sagesse et j’ai vu ceci : un oiseau mourir pour avoir parlé. Depuis, j’ai opté pour le mutisme. Comme je constate que le silence peut aussi conduire à la mort, je vais donc tout vous dire ».
Tout vous dire, mais dans quelle langue ? Le conte malien, dont est extrait ce passage, peut être écouté en français et en bambara, sa langue d’origine. Des contes sont disponibles en arabe, sérère, wolof, créoles haïtien et guyanais, langues amérindiennes et créoles des peuples marrons de Guyane, en romani et en français.
conte-moi.net
1. Odile Renault-Lescure, Bettina Migge, Langues et Ecole en Guyane. Fillol V. & J. Vernaudon. Vers une école plurilingue dans les collectivités françaises d’Océanie et de Guyane, l’Harmattan, 2009, Cahier du Pacifique Sud Contemporain.///Article N° : 13750