Un regard de Valérie John, plasticienne, sur la Martinique, son espace de vie et de création. Elle nous propose de tirer le fil de ce qu’elle nomme les « hors lieux », qui seraient définies par trois parties : La mémoire, l’échouage, l’histoire de l’art du lieu, L’Atelier-mémoire-plastique et L’Atelier de l’artiste le lieu de la matière transformée. Ci-joint le deuxième opus : L’Atelier-mémoire-plastique.
« Je suis né dans une île amoureuse du vent
où l’air à des odeurs de sucre et de vanille… » Daniel Thaly
« Adieu Foulards »
« Nous ne chanterons plus ces défuntes romances
que soupiraient jadis les doudous de miel…. » Guy Tirolien
» Toutes cultures humaines ont connu un classicisme, une aire de certitude dogmatique, qu’elles devront désormais dépasser ensemble. Et toutes les cultures, à un moment ou à un autre de leur développement, ont ménagé contre cette certitude des dérèglements baroques par lesquels, à chaque fois, ce dépassement fut prophétisé en même temps que rendu possible » Edouard Glissant
Comment passer de cette mémoire collective qui fait de nous ce que nous sommes, à cette mémoire plastique ?
Ce patrimoine qui habite notre identité de créateur et que nous percevons dans notre propre travail. Chaque artiste a conscience de quelque chose qui le distingue de ses pères. Pour certains, le cercle est grand et pour d’autres il est petit. Il existe de fait pour tous. « Peut-être l’art, n’est que l’univers vu à travers toute l’étendu d’un homme « . Cette » étendue » nous donne la limite de notre étendue. L’identité artistique est dans ce que l’on peut pouvoir faire, s’expulser de l’étendue de son propre corps. Il faut trouver l’Un dans cette multiplicité. Elle est certes productive, mais soumise à la tentation schizophrénique.
» Aucune synthèse ne s’effectua mais une sorte d’incertain métissage, toujours conflictuel, toujours chaotique, porteur de densités anthropologiques aux frontières vaporeuses, baignant dans un espace créole quasiment amniotique. Dans la culture créole, chaque Moi contient une part ouverte des Autres, et au bordage de chaque Moi se maintient frissonnante la part d’opacité irréductible des Autres « .
Devant une telle hétérogénéité l’artiste se donne pour tâche de séparer pour mieux joindre, de réunir pour mieux dissocier. En fait, il est impossible d’isoler un élément sans considérer le tout, il est aussi utopique de clore l’unité en faisant fi des différences qui la compose. Il faut tisser à la croisée de la matière et de ses errances, des liens ambivalents qui se forment par l’empiètement, la superposition des parties, fragment de l’uvre à faire. C’est l’édification d’une trame qui permet de construire le corps de l’uvre. C’est le lieu ou l’artiste pourra se construire une identité singulière. Pour l’artiste cette identité est très importante. Elle lui permet de charger sa pratique de ce qu’il est. Un individu qui veut que sa pratique donne à voir ce qu’il charrie de plus personnel. L’artiste, cet arpenteur, est à la recherche de quelque chose mais, parle de lui indirectement.
Il est celui qui veut le voyage jusqu’à l’errance.
Il veut être errant.
Seul la pratique le territorialise et le déterritorialise à la fois.
C’est un territoire ouvert.
C’est un territoire fluctuant.
C’est un territoire en déplacement.
C’est un territoire surprenant.
C’est un territoire protecteur.
Et c’est là où je veux échouer.
Le lieu est celui de la pratique plus qu’un laboratoire des constituants de l’uvre.
C’est le lieu qui finit par faire oeuvre
C’est le territoire, parler du territoire, dans l’archipel des Antilles est en soi une gageure. L’archipel est le lieu où le métissage se porte en parure de corps. Le lieu où il peut être assimilé à la » blesse « . Une maladie spécifiquement créole, déclenchée par un coup violent ou un effort trop grand. On la dit imaginaire. Serait-on atteint de cette » blesse » ou plutôt aimons nous vivre avec elle ?
Me revient ces quelques vers :
» J’habite une blessure sacrée
J’habite des ancêtres imaginaires
J’habite un vouloir obscur
J’habite un long silence
J’habite une soif irrémédiable
J’habite un voyage de mille ans
J’habite de temps en temps une de mes plaies
la pression atmosphérique ou plutôt historique agrandit démesurément mes maux « .
L’important est qu’il faut en guérir
La pratique serait-elle pour l’artiste sa médecine
L’atelier serait le lieu de cette médecine. Il serait l’origine et à l’origine.
C’est le lieu de la comparution, le lieu refuge, le lieu des mémoires, où le passé et le présent fusionnent pour laisser émerger cette uvre à faire, le lieu de la révolte jamais achevée.
Il est la forge. Tout est mis à l’épreuve. Il est le lieu où l’uvre se construit et se consume…
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