Dagara Dakin :  » Il nous faut apprendre à composer avec notre passé « 

Exposition "Passés composés" # 1

Entretien de Marian Nur Goni avec Dagara Dakin
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Doctorant en histoire de l’art à l’université Paris I, Dagar Dakin a assuré le commissariat de l’exposition Passés composés qui s’est tenue en janvier 2010 à Paris (1) et a réuni les travaux de deux photographes-plasticiens portant sur les questions de la mémoire et de l’Histoire : Dimitri Fagbohoun et Yo-Yo Gonthier.

L’exposition Passés Composés a comme point de départ et d’interrogation la mémoire. Votre note d’intention sur l’exposition s’ouvre sur cette phrase, tirée du roman L’Apatrie de Jean Kehayan : « La mémoire ne sert à rien, sauf à se donner bonne conscience ». Pourtant, vous choisissez d’exposer deux artistes qui travaillent, en photographie, sur les vestiges de l’histoire et sur notre rapport à son égard. Pour Barthes, dans nos sociétés, la photographie a pris le rôle et la fonction qui étaient autrefois attribués aux monuments. Comment avez-vous conçu et construit cette exposition ?
Tout d’abord, je dois dire que cette exposition est avant tout le fruit d’une rencontre avec deux artistes, un photographe et un plasticien. Yo-Yo Gonthier et Dimitri Fagbohoun.
L’exposition a été conçue et construite comme un dialogue. Dans les deux salles de la galerie du 59, Rivoli les œuvres des deux artistes étaient disposées de manière à ce que l’univers de l’un, tout en gardant son unicité entre en résonance avec l’univers de l’autre. Au rez-de-chaussée de la galerie, il y avait une vidéo projetée de la série des plaques commémoratives de Yo-Yo Gonthier et ses photographies de la série  » Oui mon commandant !  » plus centrée sur les soldats coloniaux. Cette partie conduisait aux photographies de Dimitri Fagbohoun qui elles avaient pour sujet des monuments du Bénin dédiés soit à l’indépendance ou à d’autres événements de l’histoire du pays. À l’étage, se trouvait disposé au sol la série des Monuments de Yo-Yo Gonthier et au mur sa série Cartes postales qui figurait des propagandes en faveur des colonies. La partie consacrée à Dimitri Fagbohoun était dédiée à la série Historia, donc axée sur les monuments en relation avec la seconde Guerre Mondiale.
Pour ce qui est du fond, l’exposition confronte deux moments de l’histoire de France, l’une plus connue et célébrée, à savoir, la seconde guerre mondiale et l’autre qui fait débat dès lors qu’elle est évoquée, l’histoire coloniale. Sans doute parce qu’elle met notre pays face à ses errances passées. Il n’y a que récemment que cette histoire a commencé à émerger dans le discours public. Il était aussi important pour nous de participer à la connaissance de cette histoire.
Comment présenteriez-vous le travail des artistes que vous avez choisis d’exposer ?
L’aspect de l’œuvre de Yo-Yo, que nous avons présenté est celle qui interroge le rapport de la France à la mémoire coloniale et comment cette mémoire est matérialisée dans l’espace public et dans les institutions françaises tels que les musées. Le travail de Dimitri Fagbohoun est plus orienté vers les pays de l’ancien bloc soviétique notamment la Hongrie mais aussi le Bénin. Au départ, le travail de Dimitri est plus un travail esthétique voire esthétisant sur les monuments. Je trouvais intéressant de confronter les deux points de vue parce que si le travail de Yo-Yo est  » local  » et intellectuel celui de Dimitri ouvre sur l’extérieur et son approche du sujet me paraît moins intellectualisée. Il me semblait important que l’on respire sur cette question. Car le sujet en lui-même pouvait très vite devenir pesant et il n’était pas question d’étouffer le regardeur mais de l’amener à réfléchir, à participer à sa manière au dialogue que nous instaurions entre les deux artistes. Et là clairement, je me suis retrouvé face à deux approches singulières. S’il fallait définir ces deux approches, je dirais que Yo-Yo Gonthier à une approche très intimiste du sujet et dans le rendu cela se traduit par un travail qui fait de la photographie un objet. Dimitri Fagbohoun avec ses grands formats est dans un rapport beaucoup plus ouvert et dans le même temps son cadrage se fait sur des détails des monuments qu’il photographie. Une manière pour lui d’inviter le public à s’approcher des monuments et se les approprier peut-être ?
La question de la mémoire et de l’Histoire nous ramène à celle de l’oubli auquel vous faisiez allusion concernant la période coloniale…
L’exposition part d’un constat tout simple qui est que la mémoire est une construction et qu’il appartient à tout un chacun de participer de cette construction. En réactivant cette part de l’histoire de France que l’on peine à voir prendre pleinement sa place, à savoir la question coloniale, je pense que cette exposition va dans ce sens. D’où, d’ailleurs son titre  » Passés composés « . Qui sous-entend qu’il nous faut apprendre à composer avec notre passé. Je pense que si nous avons, aujourd’hui, un pseudo-débat sur l’identité nationale c’est en partie parce que certains voudraient rejeter cette histoire aux oubliettes et continuer à se bercer d’illusion. Mais on ne pourra pas nier indéfiniment le passé, il est ce qu’il a été, il faut faire avec. Sans quoi, le risque est de voir ressurgir l’Immonde.
Le lien entre histoire et mémoire est clair. Les sujets figurant sur les images exposées, ne laissent aucun doute là-dessus. Il n’est pas question de mémoire intime mais bien d’une mémoire collective. L’histoire, s’inscrit dans ce registre-là. C’est la mise en commun des mémoires. C’est en tout cas la conclusion que le regardeur peut tirer de cette exposition. Bref, un point de vue qui s’éloigne de l’idée qu’une certaine France se fait de son histoire. En définitive comme dit Kundera dans le Livre du rire et de l’oubli :  » La lutte de l’homme contre le pouvoir, c’est la lutte de la mémoire contre l’oubli « .

1. L’exposition Passés Composés s’est tenue du 6 au 17 janvier 2010 à la Galerie 59 rue de Rivoli, Paris 1Mars 2010///Article N° : 9396


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