Elle a failli ne pas avoir lieu, elle n’aura pas révélé de grandes uvres ni de nouveaux talents, la 8ème édition de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (du 9 mai au 9 juin 2008), seule manifestation pérenne dédiée à l’art contemporain sur le continent, ne doit pas être remise en cause mais doit retrouver un nouveau souffle.
Dans son introduction au catalogue du Dak’art 2008, son secrétaire général Ousseynou Wade cite d’emblée la biennale de 2010 précisant « sera t-il l’occasion d’évaluer avec lucidité et responsabilité le niveau de réalisation de nos promesses ? D’analyser les causes profondes de nos défaillances, de nos insuffisances, de nos faiblesses ? D’identifier sans démagogie nos réussites, nos atouts et le potentiel disponible pour relever les défis présents et à venir ? ». Avec le recul, cette ouverture sur la biennale de 2010 alors que celle de 2008 n’a pas encore ouvert ses portes, peut sembler étonnante, tant son secrétaire général semble déjà tourné vers la prochaine édition, semblant écarter l’édition qu’il est censé promouvoir. C’est un fait, le revers presque annoncé de la 8ème édition aura confirmé qu’elle est bien à mettre entre parenthèses. L’indépendance de la biennale, muselée par un ministère de la culture plus interventionniste que jamais, aura bien des fois été mise en cause au cours de sa 8ème édition. Si elle reste une manifestation institutionnelle soutenue par divers partenaires internationaux, une coopération respectueuse de la souveraineté de son comité d’organisation doit pouvoir s’exercer pleinement pour que la biennale retrouve toute son aura et puisse continuer à uvrer à la promotion essentielle de l’art contemporain du continent.
Le Dak’art 2008 aura principalement failli dans sa sélection qui semblait avoir misé sur des « valeurs sûres » dont les uvres, n’auront dans leur ensemble pas rayonné. Le thème retenu pour cette édition, Afrique : Miroir ? ; était suffisamment large pour que chaque uvre puisse y être ramené sans grand souci de pertinence pour autant. Rien de plus compréhensible quand les appels à candidature ont été lancés avant que le choix du thème n’ait été arrêté.
Dans une interview accordée au quotidien sénégalais Walfadjri en février 2008, Maguèye Kasse, le controversé commissaire général du Dak’art 2008, reconnaissait – et regrettait – que la thématique de la 8ème biennale de l’art africain contemporain n’avait pas été soumise aux artistes lors de l’ouverture de la sélection. Il précisait même : « nous avons retenu des uvres dans lesquelles apparaît, de façon relativement nette, la problématique du miroir » (1).
Ce serait donc principalement en fonction de ce thème sortit du chapeau après l’ouverture des sélections que les 36 artistes (auxquels s’ajoutent 12 designers) du Dak’art 2008 auraient été sélectionnés. Ce premier état de fait, non négligeable, laisse augurer des difficiles conditions d’organisation de cette édition et d’une donne presque faussée à la base, les artistes n’ayant pas été informés au préalable du thème retenu. Cet état de fait suffit-il à justifier que le Dak’art 2008 n’aura pas été à la hauteur de ce qu’avait laissé augurer la globale réussite de la précédente ? Plus que jamais, son jury aura été ouvertement contesté et c’est à regret qu’il a bien fallu se rendre à l’évidence, dès le premier jour de l’inauguration, que la sélection officielle n’était pas à la hauteur d’une manifestation d’envergure internationale, qui plus est, unique en son genre sur le continent africain. Elle aura laissé une impression globale de déjà-vu, un goût amer de talents non renouvelés. Beaucoup d’artistes qui ont su s’imposer au cours de cette dernière décennie semblent s’être enfermés dans leur propre système, proposant des uvres déclinées de leurs précédentes réalisations.
Malgré le nombre restreint des artistes sélectionnés, l’Afrique du Nord (Égypte, Maroc, Tunisie) était représentée ainsi que la plupart des régions de l’Afrique subsaharienne, exceptée l’Afrique de l’Est au sujet de laquelle Maguèye Kasse est même allé jusqu’à préciser « nous n’avons pas jugé nécessaire de faire des choix sur ces pays » (2).
Quant à la diaspora, elle était représentée par trois artistes, Gabriel Pacheco, Roberto Rico et Grace Ndiritu dont la performance vidéo Civilisations, convoquant la violence et la pauvreté de l’Afrique contemporaine juxtaposée à des images évoquant l’Égypte ancienne et la civilisation méso-américaine, aura confirmé la cohérence de son propos et de ses colères par rapport à l’oublieuse mémoire collective qui peut engendrer les pires atrocités.
Sur les 36 plasticiens sélectionnés, dix étaient originaires du Sénégal et ce sont deux Sénégalais qui se sont partagés le Grand Prix Léopold Sédar Senghor : Ndary Lo – déjà primé en 2002 – pour La muraille verte, installation de sculptures de fer symbolisant la lutte contre la désertification et Mansour Ciss avec Le laboratoire Deberlinisation, plus proche d’un programme conceptuel (initié depuis 2004) que d’une uvre en soit. À travers cette installation – amputée dans sa présentation au Musée de l’Ifan – Mansour Ciss prône le panafricanisme et la monnaie unique africaine comme base de solution aux maux de l’Afrique confrontée à l’exode de ses forces vitales vers l’Eldorado occidental.
Si le Sénégal, incontestable vivier de la création contemporaine de l’Afrique francophone, a vu naître des artistes tels que Iba Ndiaye, Ousmane Sow relayés par la jeune génération des Solly Cissé ou Ndary Lo – pour ne citer qu’eux – qui ont su s’imposer bien au-delà de leur frontière d’origine, la disproportion du nombre des artistes sénégalais par rapport aux autres artistes du continent en aura déconcerté plus d’un, au risque de desservir la crédibilité de la biennale dans son manque d’envergure.
Au-delà de la sélection et des récurrents problèmes d’organisation, on pourrait presque dire que ce qui a desservi l’édition 2008 de la biennale, c’est l’édition 2006 qui avait accompli un grand bond en avant par rapport aux éditions précédentes, tant dans la diversité et la qualité de sa sélection (87 artistes) que dans sa professionnalisation (avec la présence d’un commissaire général digne de ce nom – Yacouba Konaté – entouré d’un collectif de commissaires venus d’horizons divers). La globale réussite de l’édition 2006 avait laissé penser que Dak’art avait su tirer les leçons du passé. Avec l’édition 2008, le soufflet semblait être retombé et les attentes du public « boostées » par la biennale 2006 ne pouvaient être que déçues. Parce que la précédente avait été riche, de nombreux commissaires étrangers s’étaient donnés rendez-vous au Dak’art 2008, curieux de l’émulation qui pouvait en sortir. Beaucoup en sont repartis déçus, même si certaines rencontres ont eu lieu en marge des expositions officielles. Pour Olabisi Silva, commissaire d’exposition (notamment pour la région Afrique de l’Ouest au Dak’art 2006) et critique d’art : «
Il ne sert à rien de sélectionner une trentaine d’artistes alors qu’il n’y [en]a que deux ou trois qui sont à la hauteur. Si on paye 5000 dollars pour venir à Dakar, il faudrait que cela vaille vraiment le coup » (3).
Même si le discours officiel consistait à dire que le nombre d’artistes sélectionnés lors de la précédente édition avait été exceptionnel par rapport à toutes les autres, il va sans dire que s’est posée la question des problèmes de financement de cette édition dont, deux mois avant son ouverture, nul n’aurait pu dire si elle allait avoir lieu ou non, faute de déblocage des fonds nécessaires à son organisation. Le financement de cette édition (500 millions de F CFA) était assuré par l’État du Sénégal (un tiers), l’Union européenne (un tiers) et divers autres prestataires (L’Organisation internationale de la francophonie, Culturesfrance, la Fondation Prince-Claus, etc.). Des partenaires comme Africalia, jusqu’alors incontournables (Africalia avait largement soutenu le magazine Afrik’arts publié par la biennale), n’ont pas réitéré leur soutien à l’édition 2008 et c’est presque in extremis que le catalogue a pu être publié. L’argent a été débloqué deux mois à peine avant l’ouverture de la biennale. Dans ces conditions, comment s’étonner des couacs récurrents, inhérents à cette manifestation qui semblaient avoir alors atteint leur paroxysme ? Comment s’étonner du peu d’ambition d’une sélection effectuée uniquement sur dossier (contrairement à 2006 où les commissaires avaient pu visiter certains ateliers et proposer des artistes) ? Certains artistes allant jusqu’à supputer qu’une uvre légère avait plus de chance d’être présente à Dakar et également plus de chance de leur être restituée, le renvoi des uvres sélectionnées en 2006 ayant été retardé pour des raisons budgétaires. Selon Mauro Petroni, directeur du off de Dak’Art, « c’est presque un miracle, tellement les deux mois de préparation ont été courts pour mettre sur pied cette édition 2008. « Le budget étant plus petit, c’était plus difficile de faire voyager trop de monde. La sélection a été réfléchie, avec la présence de beaucoup de vidéos par exemple, parce qu’envoyer une vidéo c’est moins cher que d’envoyer une sculpture. » (4). Cet état de fait n’a pas empêché la présence de certaines uvres « lourdes » comme celle de Freddy Tsimba qui reconnaît que ses imposantes sculptures de fer et de douilles récupérées posent souvent des problèmes d’acheminement. Mais pour le sculpteur congolais : ce n’est pas parce que les organisateurs de manifestations préfèrent les uvres « légères » à transporter que je vais changer de médium. Mes sculptures ne naissent pas au hasard, elles répondent à une nécessité et prennent sens avec le matériau que je choisis. Un artiste ne peut pas changer de médium sous le seul prétexte que son uvre est lourde à transporter » ! Si ses sculptures ont bien été acheminées jusqu’à Dakar, le plan que l’artiste avait proposé pour les installer n’a pas été respecté et l’exiguïté de l’espace qui lui avait été dévolu ne lui a pas permis d’améliorer son installation.
Appréhender du mieux possible cette 8ème édition du Dak’art, c’est la prendre telle qu’elle est dans la réalité de son budget, de ses couacs organisationnels et des destructrices pressions politiques qui, d’édition en édition, semblent être plus pensantes. Cela ne signifie pas qu’il faille l’appréhender complaisamment comme c’est malheureusement souvent le cas pour les manifestations internationales organisées sur le continent africain. Il aura fallu forcer le regard pour tenter d’en saisir le sens et la portée. Il aura fallu s’asseoir sur la nécessité d’une proposition artistique originale et audacieuse, s’aventurant au-delà des sentiers battus et imposant dans toute son aura, la force d’une nouvelle écriture, d’une approche esthétique novatrice qui se suffirait à elle-même. Il aura fallu dépasser une déconcertante impression d’ensemble et fouiller la singularité de chaque uvre, peu valorisée par une scénographie désastreuse voire inexistante.
Si les vidéos ont investi au fil des années et en toute logique les espaces d’exposition du Dak’art, force est de constater que parmi les propositions pertinentes de l’édition 2008, un certain nombre passait par ce médium, les artistes qui ont su s’en emparer paraissant plus libres dans leur manière de l’appréhender et de se l’approprier.
La plupart ont en commun leurs préoccupations par rapport aux questions actuelles. Bien qu’émaillée de certaines longueurs qui atténuent sa portée, l’animation vidéo Yaatal Kaddou ou l’événement du plasticien sénégalais Kane Abdoulaye Armin, s’interroge sur l’urbanité et ses dégâts collatéraux en soulignant les délestages d’électricité, récurrents au Sénégal mais aussi dans bien d’autres pays. Sous couvert d’un film d’animation à la (fausse) naïveté affichée, l’artiste aborde la question de l’urbanité dans ce qu’elle peut avoir d’aliénant et de tentaculaire en terme d’aménagement du cadre de vie, de consommation effrénée, de l’incessant va-et-vient du trafic routier et de l’incommunicabilité, maux inhérents à la vie urbaine.
Dans un autre registre, la caméra du Camerounais Komguem Kamsu Achille (dit Achilleka) s’est focalisée sur un carrefour routier où se croisent motos, voitures, charrettes et piétons composant un ballet cacophonique et foisonnant, en filigrane duquel se lit le danger latent et la continuelle précarité inscrits dans le quotidien des pays pauvres. Par la répétition et la superposition des images, Achilleka dénonce la lancinante précarité d’un continent dont les peuples n’ont d’autres possibilités que d’improviser chaque jour des solutions de survie. Au pied de la vidéo, s’étend une longue rigole de papier, tapissée du rouge-sang de ceux que ces conditions mêmes tuent chaque jour.
S’emparant d’une icône nationale, le Sud-Africain Yoko Breeze interroge les héritiers de Biko dans The Children of Biko, documentaire expérimental de 14 mn. Sous le prisme de cette icône, le vidéaste arpente l’histoire contemporaine sud-africaine et ses retombées sur les consciences de la jeunesse sud-africaine dont il interviewe quelques représentants. Les interviews sont entrecoupées dans un rythme très maîtrisé par des images d’archives et par celles plus récentes de l’actualité sud-africaine. Comme un leitmotiv, la voix de Biko vient marteler le présent. « Être noir n’est pas une question de pigment, être noir est une réflexion sur l’attitude mentale », s’inscrivant presque en porte à faux avec le parti pris de l’artiste de n’interroger que des noirs, soulignant peut-être ainsi que les enfants de Biko ne peuvent être que légitimement noirs.
Loin des villes et des feux de la rampe, l’installation vidéo, Histoire d’eau, pose le regard de deux sahéliens sur le manque d’eau dans les campagnes et ses difficultés d’approvisionnement. « Les états construisent de nouvelles routes, modernisent leur pays pour maîtriser le temps mais ils cachent la misère », souligne Piniang. « Mes parents doivent parfois attendre deux ou trois jours pour avoir un sceau d’eau », renchérit Dicko. Au-delà de la dénonciation d’une situation cruellement banale dans les pays Sahéliens, c’est aussi le rapport au temps et les travers d’une société à deux vitesses que sonde cette uvre à quatre mains qui joue sur la répétition des gestes accomplis par les chercheurs d’eaux.
Doublement présent dans la sélection officielle, Piniang a délaissé la vidéo pour une autre proposition, choisissant la peinture et la technique mixte pour explorer la noire poésie des villes à l’apparente tranquillité. Présentée dans l’une des expositions Off de la biennale (5), son installation se compose de colonnes sombres portant en elles leur propre enfer. Au-dessus de ce miroir où se reflète n’importe quelle mégalopole du monde, plane l’ombre du 11 septembre 2001. Le drame c’est que cette installation où se lit le potentiel de l’artiste, avait été proposée pour le In, accompagnée de trois toiles intitulées Actualité en brève. Selon un parti pris de sélection aberrant, l’uvre aurait été disséquée, la sélection officielle ayant choisi de n’en retenir que les toiles. En conséquence, seules les trois toiles ont été présentées au Musée Théodore Monod, où, banalisées, vidées de leur substance, elles semblaient perdues, laissant, qui plus est, une impression de déjà-vu (6), discréditante pour l’artiste et accablante pour le comité de sélection.
Fidèle à son unique matériau de travail, l’Ivoirien Jems Robert Kokobi a choisi de sculpter la tragédie du Darfour. Taillés dans le bois brûlé, trois corps gorgés de souffrance livrent à la face du monde l’horreur dont ils sont victimes dans l’indifférence générale. En écho aux sculptures, une soie de 2m30 sur 1m50 dresse une fresque inaboutie, qui autopsie (c’est aussi son titre) le quotidien des peuples confrontés à la guerre, que l’artiste relie à la traite négrière. Également fil conducteur dans l’installation Work in progress « Manifest code Noir » et Who de l’artiste Béninoise Pelagie Gbaguidi, le trauma de la traite fait miroir au présent à travers des petits bateaux de papier, dérisoires embarcations de fortune, porteuses de tant de désolations et de vaines illusions. Si Gbaguidi s’en sort honorablement dans leur exploration des liens du passé avec le présent, d’autres s’embourbent dans la mémoire collective, faisant tourner leur uvre à vide dans un ressassement qui ne fait plus sens.
Bien qu’il se soit déployé sur 150 lieux d’expositions, le Off du Dak’art 2008 aura été un joyeux capharnaüm déployé aux quatre coins de la capitale sénégalaise et en régions, où, chacun y est allé de son exposition. Point de « Salon des refusés » pourtant plus nécessaire que jamais, mais beaucoup d’expositions sans grand intérêt comme celle organisée à l’hôtel Sofitel, pourtant sponsorisée par la National gallery of art du Nigeria (NGA). Même le directeur du off, Mauro Petroni s’interroge dans l’introduction de son programme officiel : « le Off se sclérose. Ce sont toujours les mêmes acteurs, sans surprises, sur l’ensemble des manifestations il y en a très peu qui sont valables, les visiteurs sont déçus et déroutés : ils se demandent à quoi sert cette vitrine de complaisance. D’autant plus que des artistes malins se présentent sur plusieurs sites pour plus de visibilité, évidemment avec une pléthore de travaux sans intérêt. On retrouve les mêmes noms, et il arrive que d’une édition à l’autre on retrouve les mêmes travaux. Rarement des jeunes, rarement un talent nouveau
».
Seuls les espaces d’expositions identifiés auront permis de sauver la mise non en tant que révélateur mais en tant que vitrine de talents déjà repérés antérieurement. Fidèle à ses artistes, la galerie Atiss présentait, entre autres, des uvres de Joël Mpah Dhoo, Camara Gueye et Jems Koko Bi. Là encore, rien de nouveau malgré la notoriété de ces artistes. Comme à chaque édition de la biennale, la société Eiffage (ancien Fougerolle) – dont le PDG Gérard Senac, collectionneur et l’un des plus grand entrepreneur du pays a été nommé président du comité d’orientation de la biennale – s’en est sorti honorablement, accueillant, sans prendre trop de risque, des artistes confirmés tels Solly Cissé, Cheikhou Bâ ou Tchâlé Figueira, l’un des lauréats du prix de la Fondation Blachère pour le Dak’art 2008.
La seule surprise réelle de ce off est venue de Ngoor, jeune peintre sénégalais – également primé par la Fondation Blachère – méconnu et solitaire, dont une toile était présentée au Musée Boribana et quelques autres dans le hall d’une société située dans le chic quartier des Almadies. D’un trait simplifié à l’extrême, Ngoor peint des visages qui sont pour lui le reflet absolu de l’univers. Il en scrute les béances dont il fait jaillir la lumière au prix d’un cheminement douloureux mais tendu vers le dépassement de soit.
Parmi les artistes repérés, Samba Fall aura sans doute été celui qui aura confirmé la cohérence de sa démarche avec le plus de pertinence. Passionné par la vidéo, il explore ce médium depuis ses débuts. Sa vidéo Consomania, présentée en sélection officielle, interroge nos attitudes de consommateurs agressifs et déshumanisés et dénonce la passivité des gens devant la consommation à outrance. Loin de vouloir s’enfermer dans « des problématiques africaines », Samba Fall (qui vit entre la Norvège et le Sénégal), revendique le penser global : « je me positionne en tant qu’artiste par rapport au monde dans lequel je vis. Je transforme ça en uvre en étant sincère avec tous les supports que j’utilise, animation, peinture, installation. Je ne cherche pas à séduire et ne travaille par pour un marché. Nous n’avons pas la possibilité de montrer nos uvres. A Dakar, neuf maisons sur dix ont la télévision allumée le matin. Il serait intéressant que la télévision sénégalaise diffuse les vidéos d’artistes pour que nous puissions enfin toucher notre public. Mais cela n’est pas possible car nous ne rapportons pas d’argent aux télévisions ». Bien qu’il soit très à l’aise avec la vidéo, ce sont ses dessins et toiles exposés dans l’atelier de Mauro Petroni qui ont percuté le regard. Approfondissant sa réflexion sur l’homme en tant qu’être social, l’artiste en scrute subtilement les revers et les dangers, invitant à réfléchir sur ce qui reste de l’individu annihilé dans le jeu sociétal.
Citons encore les portes ouvertes de l’atelier de Moustapha Dimé dans le cadre de Regards sur cours à Gorée où, le temps d’un week-end, les jardins et les cours de l’île se sont transformés en ateliers à ciel ouvert où les artistes de l’île et d’ailleurs présentaient leur travail. Ce fut l’occasion de pénétrer dans l’atelier de Moustapha Dimé, habité depuis sa mort par son ancien élève le sculpteur Gabriel Kemzo Malou, rejoint par son épouse Isabelle Blanche. Pénétrer dans l’atelier de Dimé, isolé sur les hauteurs de l’île, c’est entrer dans un univers habité par l’âme du sculpteur trop tôt disparu, mais aussi dans un espace de vie recréé par Gabriel Kemzo Malou et son épouse. Les élèves du cours de cinéma expérimental animé, avec les moyens du bord (une caméra pour une classe de 50 élèves), par Isabelle Blanche à l’école des Beaux-arts de Dakar y ont présenté leurs films réalisés dans le cadre de leur formation. Onze films diffusés en boucle montraient les premiers essais – prometteurs pour certains – des élèves confrontés pour la première fois à la caméra. Autour des sculptures de Dimé, les étudiants ont raconté leur première expérience cinématographique qui contribue à nourrir leur expérimentation plastique. « Quand on est dans l’art abstrait, on a l’impression d’être dans le cinéma expérimental. Si je pouvais isoler une séquence, j’en ferais un tableau » souligne Mamadou Amadou Sow, l’un des jeunes étudiants.
Lieu de vie mais aussi lieu de résidence d’artistes en partenariat avec la structure américaine FreeDimensional plattform, l’atelier de Moustapha Dimé résonnait ce jour-là de l’enthousiasme qui aura manqué aux manifestations officielles de la biennale.
Depuis que le Dak’art 2008 a refermé ses portes, les artistes ont repris leur chemin parfois tortueux. Certains ont poursuivi des résidences, d’autres ont suivi leurs uvres repérées à Dakar pour une exposition en Occident. C’est le cas de Samba Fall, Piniang, Dicko, Camara Gueye et Jems Koko Bi, sélectionnés pour la troisième édition de l’Homme est un Mystère – Art contemporain d’Afrique, qui a lieu tous les deux ans à St Brieux (7). C’est dans ses retombées que le Dak’art prend de l’amplitude. Pour Ousseynou Wade (8) : « chaque fois qu’à partir de la biennale de Dakar un artiste fait l’objet de distinction, d’exposition, de résidence, c’est au profit de la biennale, qu’on le dise ou non. Cela nous permet de justifier véritablement la pertinence de l’événement et de nous engager pour que cette biennale soit pérenne ».
Si la pérennité de la biennale de l’art africain contemporain passe par ses retombées et le respect de sa souveraineté, elle passe aussi par sa capacité à oser. Dak’art se doit d’être un laboratoire, un champ libre, ouvert au renouvellement des formes d’expressions et des approches esthétiques novatrices. La biennale se doit de révéler des uvres phares, libérées des tendances et des diktats. Elle devrait se positionner de façon à inviter les artistes à risquer la rupture, à déstructurer les codes dans lesquels certains se sont enfermés, prisonniers de leur propre univers ou trop conformes aux attentes d’un marché plus que restreint. Elle ne peut pas se contenter, comme elle l’a fait en 2008, d’être une simple vitrine où défileraient des uvres vues et revues ou « destinées » aux galeries. Dak’art est nécessaire. Dak’art n’a plus à se justifier. La biennale de Dakar a 18 ans. Gageons qu’elle aura attendue sa majorité – et ce que cela implique en terme d’indépendance – pour se réaliser pleinement et prendre son plein envol !
1. Interview publiée par le quotidien Walfadjri (cf. revue de presse des quotidiens sénégalais sur Dak’art 2008 : www.dakart.org/article.php3?id_article=110〈=fr)
2. Id.
3. Dak’art actu, N° 2 (10 et 11 mai 2008)
4. Cf. revue de presse des quotidiens sénégalais sur Dak’art 2008 : www.dakart.org/article.php3?id_article=110〈=fr
5. Librairie Aux quatre Vents dans le quartier Mermoz / Ouakam
inexploré
6. Piniang en ayant proposé une série en 2006 qui avait fait sensation à la Galerie Atiss
7. L’homme est un mystère 3 – Art contemporain d’Afrique, exposition organisée par l’Oddc (Office Départemental de Développement Culturel des Côtes d’Armor)
8. Dans son discours d’introduction à la remise du prix Zuloga le 12 mai 2008///Article N° : 8319