Dak’art aux portes de la maturité

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Dak’Art 2002 était attendu par le monde des arts : elle célébrait les dix ans d’une manifestation qui s’est imposée dans l’agenda artistique et culturel mondial, et elle ouvrait le nouveau siècle avec la charge de porter ou d’annoncer les marques de l’identité artistique nouvelle du continent noir.

Le programme des activités dénote les progrès accomplis : tant au niveau des participations officielles (le In) qu’à celui de l’influence de Dak’Art 2002 sur les manifestations d’environnement (le Off), cette édition a été un plus par rapport aux précédentes. L’exposition internationale a ainsi présenté plusieurs disciplines : peinture, sculpture, design, photographie, installations diverses. Même diversité dans le Off, avec 100 manifestations contre seulement 50 en 2000, ce qui amena certains observateurs à dire que le Off était plus important que le In, reconnaissant de fait l’impact grandissant de Dak’Art à son dixième anniversaire. Nombre d’espaces de la capitale sénégalaise s’étaient transformés en salles d’exposition : halls des hôtels, des restaurants, des théâtres, de la Cathédrale, coins aménagés dans des services publics, à l’université, dans des écoles, marchés, rues, essenceries, galeries, village des arts, etc… L’intérieur du Sénégal fut également concerné à travers d’autres expos à Mbour, Rufisque, Bargny, Gorée, Thiès, Ziguinchor…
Des concerts ont été organisés sur l’esplanade du Centre International d’Echanges qui abritait l’essentiel des manifestations In, en vue d’élargir le public visiteur. Il faut seulement regretter que, malgré tous ces efforts, l’écho au niveau des populations reste à être constaté. Pour prendre le seul cas du Centre International d’Echanges, il est bien dommage que l’organisation de la Biennale n’ait pas jugé prioritaire d’assurer un service de transport régulier pour minimiser la situation excentrée de ce site. Ainsi, au total, la présence des populations locales n’a guère dépassé celle très timide des éditions précédentes.
Bien sûr, toutes les manifestations que ce soit en In ou Off n’ont pas eu le même bonheur. Par exemple si l’expo internationale a suscité des avis partagés, du sourire agacé de certains à la boutade du sculpteur Ousmane Sow : « un morceau de sucre dans une assiette n’est pas de l’art », le travail de Bruno Cora dans la Salle des pas perdus du Palais de justice continue de justifier le rejet de certains de tout ce qui est art. « On se moque de nous », « c’est de la paresse », ont pu dire quelques visiteurs.
Le Commissaire Cora a présenté un « Sans titre » de Jannis Kounellis composé de sacs contenant des céréales. L’erreur de Cora est de croire que de tels choix chez Kounellis qui ont eu un succès de scandale il y a plus de 30 ans peuvent toujours produire les mêmes effets. Si ce n’est pas de la facilité et un manque de rigueur chez Cora, cela y ressemble, lorsque l’art demande beaucoup plus de renouvellement, de créativité chez l’artiste et chez le critique.
Sur un autre plan, le Forum des arts numériques qui se voulait l’occasion d’attirer l’attention des artistes et du public sur les nouveaux outils et supports pour la création contemporaine n’a pas été bien visité, bien qu’il s’agisse d’une initiative opportune. Il faut regretter simplement qu’il n’ait pas été suffisamment élaboré et se soit le plus souvent limité à des informations sur le web et à la présentation de sites.
D’autre part le Salon du Design fut loin de la fête de la créativité à laquelle on était en droit de s’attendre. Tout porte à croire que pour beaucoup de designers de Dak’Art 2002, la chaise, la table et l’abat-jour sont les seules formes possibles. Et parfois, ils semblent oublier l’aspect fonctionnalité, marque fondamentale dans l’esthétique designer.
Quelques constats donc qui autorisent à parler de Dak’Art 2002 comme une annonce du ton de l’identité artistique africaine dans les années à venir. Déjà, les « Rencontres et Echanges » ont posé la problématique de la « création contemporaine et des nouvelles identités » – un débat qui a permis de noter que quand certains continuent de se vautrer dans des clichés sempiternels, « il n’y a pas d’art africain ». Alors que certains déclarent : « je ne suis pas un africain mais un homme du monde » ou « l’identité est un piège, car elle n’existe pas », d’autres posent pour principe qu’il n’y a pas d’art sans identité, qu’il n’y a pas de créativité sans conscience de soi.
Bien sûr, l’objet n’était pas de clore un tel débat, mais d’ouvrir une confrontation de certitudes et surtout de favoriser un regard en profondeur sur la production africaine contemporaine. C’est pourquoi, à la lumière des idées exprimées et des styles et contenus des œuvres présentées, il me semble possible de retenir trois directions dans lesquelles la création africaine contemporaine s’engage :
– celle qui révèle une fidélité aux canons esthétiques classiques. Cela donne des œuvres en peinture sur toile, en sculpture, en photographie. L’hommage à Gora Mbengue admirablement accroché par Serigne Ndiaye est un éloquent témoignage sur l’actualité du goût en peinture sous verre
– celle qui prend résolument le parti du postmodernisme occidental avec ses provocations, ses dénis de l’art dans lesquels à côté des audaces créatrices se cachent toutes les paresses et toutes les tricheries. Le « sans titre » de Faissal Ben Kiran, une installation composée de bouts de grillage et « La longue marche » de Félicité Codjo présentant un personnage avec ses frocs dans un no man’s land ne sont pas des modèles de créativité, pour ne pas dire autre chose. En fait, le problème ici n’est pas tant dans la « facilité » des artistes, que dans la « complice facilité » du jury. Et là, bien des choses restent à dire et à corriger pour que les modes de sélection ne souffrent d’aucun consensus à tout prix !
– celle qui prend sa voie dans une appropriation des techniques et technologies contemporaines tout en affirmant la personnalité des cultures d’Afrique. C’est le cas de « La longue marche du changement » de Ndary Lo, lauréat de cette édition.
Ces trois directions ne sont qu’indicatives. Car, il est bien possible que d’autres existent déjà ou que d’autres encore voient le jour et s’imposent au fil des années et de l’évolution des repères identitaires des artistes d’Afrique, du public et des critiques.
Les critiques justement, car le débat des « Rencontres et Echanges » a montré que leur place et leur rôle restent à s’affirmer. En effet, certains participants se sont encore interrogés sur l’existence de critiques d’art africains, sur l’absence de textes sur l’art en Afrique. Ils prouvaient ainsi que les rares discours existants ne sont pas bien diffusés et demeurent peu connus voire inconnus.
En tout cas, de vastes chantiers sont ouverts pour une vie toujours palpitante des arts, des artistes et de la critique en Afrique et pour leur autorité consolidée. Si c’était là la seule conclusion possible au soir de Dak’Art 2002, il faudrait alors saluer le fait que cette biennale ait permis de la tirer et qu’elle ait placé ses organisateurs et ses différents participants aux portes de la maturité. Que Dak’Art 2004 corrige certaines insuffisances ici notées et renforce les acquis organisationnels certains pour une Biennale de l’art africain contemporain, foyer de maturité créatrice et d’échanges !

///Article N° : 2416

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Les images de l'article
Ousmane Ndiaye Dago (Sénégal), Lecture 11 septembre © Olivier Barlet
Exposition galerie Atiss, Camara Gueye, La Dakaroise © Olivier Barlet





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