Dak’Art vaut mieux que 2000

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Du 5 Mai au 5 Juin 2000, la Biennale de l’Art africain contemporain Dak’Art a tenu sa cinquième édition à Dakar. La particularité de ce Dak’Art se situe à un triple niveau : le contexte politique au Sénégal, le contenu des oeuvres présentées et la durée de la biennale.
Si les éditions antérieures se ressemblaient par la routine dans la préparation, Dak’Art 2000 était suspendue dans une zone d’incertitude. En effet, nul ne pouvait dire au 1er avril 2000, quand le Nouveau Président du Sénégal prêtait serment, si la Biennale aurait lieu ou pas. Le Sénégal venait de voter pour l’Alternance, et les regards étaient tournés sur les choix des nouveaux dirigeants. Le suspense était d’autant plus justifié que la nouvelle équipe aux commandes n’a cessé près de quarante ans durant de critiquer les « options néocoloniales » et « rétrogrades » du défunt régime. Mais le Président Wade a non seulement maintenu le calendrier de la Biennale mais s’est proclamé « Défenseur des arts et des artistes » à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de Dak’Art. Le contexte de l’Alternance consolide ainsi Dak’Art comme « événement majeur de la politique culturelle du Sénégal », comme « instrument de l’intégration africaine dans la perpective d’un marché commun culturel africain »,et comme « plate-forme d’accès des artistes plasticiens au marché international de l’art. » Pour dire que l’ambiance officielle ne s’est jamais démentie durant les manifestations. Le Premier ministre inaugura le Marché des Arts à la Maison de la Culture Douta Seck, le ministre de la Culture fréquenta les divers sites, avec le même empressement couvert d’encouragements pour les organisateurs. D’autres ministres n’ont pas hésité à répondre aux multiples vernissages, cocktails et autres cérémonials suscités par l’événement.
A côté de cette particularité de contexte, Dak’Art 2000 s’est distinguée des autres éditions par la trop grande place accordée aux Installations au détriment de la peinture ou de la sculpture classique. Sur plus de 350 dossiers d’artistes africains soumis au jury international, seuls vingt ont été choisis avec la particularité d’être tous des œuvres d’Installateurs. Ce qui n’a pas manqué bien sûr de susciter des interrogations sur la composition du jury, sur l’avenir de Dak’Art, sur les critères de sélection. De l’avis de nombreux observateurs, le jury de Dak’Art 2000 cherche à faire de cette rencontre en terre africaine, une simple copie de ce qui se passe à Venise, Sao Paolo, Londres ou Montréal. Il est difficile de ne pas s’accorder avec une telle vision des choses quand on a fait une visite attentive du Salon international, et qu’on s’arrête sur un peu d’esthétique comparée avec ce que Dak’Art a déjà réalisé et ce qu’il ambitionne de faire. Et l’on est bien fondé à se demander l’utilité du qualificatif « africain » pour une Biennale de l’art qu’un jury veut faire passer comme toutes les autres.
L’oeuvre primée, celle de la Tunisienne M’Seddi Charif, qui vit en Suisse, est une parfaite illustration d’un art dit africain en voie accélérée d’occidentalisation. De grâce, qu’on ne nous parle surtout pas de « mondialisation de l’art », de la « notion large et imprécise d’africanité », de la liberté de l’artiste de faire ce qu’il veut et d’autres clichés de ce genre. Ce serait couver la paresse à développer la personnalité propre d’une manifestation qui n’a aucunement besoin des épaules des grands frères et petits cousins de Nantes ou Liverpool, Tokyo ou Amsterdam, pour ETRE. La lauréate donc a produit une installation intitulée Numismatique, en plexiglas, métal et papier de soie. Des personnages noirs rappelant des insectes sont couverts avec un tissu en soie blanche. Il faudra chercher des années lumières encore pour découvrir le cachet tunisien de l’oeuvre et sa saveur africaine contemporaine. Tant pis pour ceux qui seront impatients.
Dans les dix-neuf autres oeuvres installées, le souci de faire mode semble bousculer une utilisation tatillonne de la vidéo, ou des exploitations peu inspirées des ressources de la photographie. Hormis Waaxi Maam de Mamady Seydi, lauréat du prix de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie pour les jeunes talents, l’identité originelle de l’art (savoir communiquer) est perdue de vue. Tout s’est passé comme si pour le jury, art contemporain rimait avec n’importe quoi. Aucune volonté de libéraliser la créativité, ou de donner naissance à des clones de Marcel Duchamp, ne saurait occulter qu’une oeuvre de l’esprit destinée à l’appréciation d’autres hommes, a toujours une charge communicative. Or, il n’y a pas de communication sans langage, c’est-à-dire sans supports permettant à l’autre de recevoir les signes de l’artiste. Pourvu que l’artiste lui-même comprenne que la forme d’expression qu’il choisit est moyen de communication.
La Galerie nationale d’Art et la Salle de Conférences Alioune Diop ont abrité les expositions individuelles correspondant à cette même tendance d’innovations refusant la peinture ou la sculpture et situant l’art contemporain dans des horizons niant la communication. De Kofi Setordji du Ghana à Anna Pachéco du Brésil, en passant par Mohamed Oumouh d’Algérie ; de  Bili Bidjocka du Cameroun à Marc Latamie de Martinique en passant par Christine Chetty des Seychelles et Hassan Kay d’Afrique du Sud, les questions sur l’identité du jury ont beaucoup plus préoccupé que l’insolite des oeuvres. Non pas qu’il faille imposer un Beau absolu et refuser à l’artiste son droit à la provocation, mais les visiteurs voulaient communier avec les oeuvres, participer à la Fête. Si le jury voulait donner l’impression aux visiteurs qu’ils sont encore analphabètes en art contemporain, il est à craindre que ce soit l’effet contraire qui a été obtenu. Certains se sont gaussés face à l’Atelier de réparation de lunettes offert par Kay Hassan ou se sont carrément énervés d’apprendre que l’art contemporain au Cameroun est représenté par un Bili Bidjocka plantant çà et là dans Dakar une dizaine de drapeaux comme oeuvre d’art africain contemporain. Il faut rappeler qu’à chaque édition, des artistes sont sélectionnés (hors de la compétition générale) par des Commissaires chargés de présenter pour chaque zone culturelle en Afrique, l’artiste le plus représentatif de ce qui se fait de mieux. Est-ce à dire qu’en Afrique du Sud, l’art est une récupération installation ? Qu’au Cameroun, tout est affaire de savoir planter des drapeaux ? Soyons sérieux, Dak’Art vaut mieux que ce que l’édition 2000 lui a livré.
Heureusement qu’il y a eu d’autres manifestations : le Salon du sous-verre à la place de l’Obélisque principalement, réalisé par des Sénégalais : divers styles révélant des expériences différentes d’apprivoisement de la transparence du verre. Les visiteurs en redemandaient encore et reprenaient leur souffle après avoir fait le Musée Soweto abritant l’Expo internationale ou la Galerie nationale. Il y a eu aussi le Salon du Design et de la Création textile à l’espace Vema. Des audaces révélant qu’en art l’environnement culturel et les repères socio-historiques de l’artiste contribuent à l’affirmation de personnalités esthétiques à nulle autre pareille. Ainsi, Bounama Salla Ndiaye a démontré par sa toile tissée sur du bronze une technique non encore enseignée dans les Ecoles d’art, mais aussi une fidélité aux plus belles traditions de tissage sur argent ou bronze des Maures et Berbères de la vallée du Fleuve Sénégal. Il faut citer aussi le Salon de la jeune création plastique sénégalaise au Centre culturel Blaise Senghor : des artistes en herbe qui ne sont pas encore attirés par les volontés de galeristes de Paris, New York ou Bruxelles. La fraîcheur des talents découverts donne des motifs d’espérer que l’art contemporain africain ne sera pas pâle réplique des « merveilles » d’Occident.
Le Colloque sur les « Tendances, styles et créativités dans l’art africain à l’aube du 3ème millénaire » a constitué un temps fort de débats théoriques sur l’art. Dommage que les commissaires et les membres du jury international n’aient pas jugé utile de venir participer à ces échanges. Ils auraient entendu les réflexions des observateurs, des critiques sur leurs choix. Malheureusement, hormis quelques brèves minutes pour « présenter » leurs artistes, ils se sont tous éclipsés, engloutis par des obligations autrement plus exaltantes. L’auteur de ses lignes est bien à l’aise pour le dire, pour avoir présidé cette manifestation de Dak’Art depuis 1996 : le public n’a pas caché sa déception face au travail bâclé des Commissaires, et devant leur manque d’égard à un public qui voulait simplement entendre et partager des arguments esthétiques. Espérons que Dak’Art saura tirer toutes les conclusions qui s’imposent pour que la prochaine édition fasse oublier de tels errements.
Le troisième aspect est la longueur. Au lieu de la semaine habituelle, Dak’Art 2000 a duré 30 jours avec des temps forts dans la première semaine. Le public a eu le temps de voir et de revoir les oeuvres. Mais, il faut le reconnaître, l’ambiance de début n’a pas été maintenue. La presse locale n’en a plus parlé après la semaine classique. Il faudrait sans doute revoir la formule d’autant que les principaux animateurs des Commissions techniques arrêtent le travail dès la fin de la première semaine pour des raisons budgétaires évidentes. Malgré le fait que Dak’Art constitue un Rendez-vous international, la Biennale doit être maintenue non pas en bonnes intentions mais en revoyant avec davantage de rigueur les conditions de sélection des membres du jury. La longueur du C. V . ne suffit pas toujours comme argument technique pour lire l’art africain et savoir le faire lire. 

///Article N° : 1510

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Les images de l'article
Mamady Seydi, Oeuvres regroupées (Waxi maam), Paroles des Anciens, 2000, 43 x 27 cm, fer, bois, collage © DR
Kay Hassan, Installation, sans titre © DR





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