D’Arusha à Arusha

De Christophe Gargot

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Documentaire sur le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) mis en place en 1994 à Arusha et dont le mandat doit expirer en décembre 2009, ce film de Christophe Gargot joue par son titre semblable au célèbre film de Frédéric Rossif, De Nüremberg à Nüremberg (1989), sur le dangereux parallèle avec le génocide des Juifs par les Nazis. Ce parallèle est d’ailleurs évoqué dans le film par le premier ministre rwandais après le génocide, Faustin Twagiramungu, pour mieux le dénier en faisant la différence entre préparation et planification, revendiquant à juste titre l’irréductible spécificité du génocide rwandais face à la Shoah. (1) Ce titre un peu trop vendeur a cependant le mérite de situer les problématiques qui vont être abordées et le contexte dans lequel s’est ouvert ce tribunal que l’on avait qualifié de nouveau Nüremberg car il se donnait pour but de juger les têtes du génocide de 1994. En quinze longues années, le TPIR a prononcé 47 jugements et 26 affaires sont encore en cours.
Arusha n’est pas Clearstream : dans les procès internationaux, les caméras sont présentes et les archives disponibles (30 000 heures !). Sans ajouter le moindre commentaire, le film puise ainsi abondamment dans les interrogatoires et plaidoiries. On sait que les procès d’Arusha ont donné lieu à d’épouvantables témoignages des horreurs perpétrées, lisibles sur internet. Ils sont absents du film qui privilégie une approche politique, indiquant comme ressource bibliographique le livre Le Tribunal des vaincus, (2) expression faisant allusion au fait utilisé par la défense que ne sont jugés que des Hutus. Comme le livre, le film fait le constat du blocage politique du tribunal qui ne put prendre en compte les accusations portées contre le FPR, qu’il s’agisse de la responsabilité dans l’attentat contre l’avion présidentiel, déclencheur du génocide, ou des crimes de guerre commis par les vainqueurs. La procureur Carla Del Ponte indique ainsi n’avoir pas été autorisée à enquêter au Rwanda. De même, la faillite de la communauté internationale à intervenir est absente. Les images des locaux vides qui ponctuent le film soulignent ces limites et restaurent une distance favorable à la réflexion. Mais elles ont aussi une autre fonction : filmant les dispositifs de caméras accrochées aux plafonds, Gargot documente la production des images du tribunal qu’il utilise, le plus souvent en plongée sur le sujet, sans gros plans. Il appelle ainsi un point de vue qui soit plus à hauteur des yeux, à hauteur des hommes.
Elles introduisent ainsi aux témoins rwandais qu’il rencontre. Le génocide était-il planifié dans toute son ampleur ? Qu’est-ce qui a permis sa foudroyante extension à tout le pays ? Ceux qui ont exécuté les ordres sont-ils coupables ou responsables ? Alors que le tribunal s’empêtre dans ces questions sans réponses, Christophe Gargot les cherche ailleurs, sur le terrain, loin d’un TPIR vécu comme très distant par les Rwandais, lesquels ont développé leur propre justice, les gacacas, tribunaux populaires évoqués en fin de film sans gommer leurs imperfections. A ces quelques témoins, il montre sur son ordinateur portable les dépositions au TPIR, pour une ouverture de la parole.
Cet éclairage, forcément partiel et partial mais qui s’assume en tant que tel, élève considérablement le niveau du débat : alors qu’au TPIR se confrontent des certitudes forcées par l’enjeu des condamnations, ces témoins livrent leurs errements dans leur tentative de comprendre les mécanismes à l’œuvre. Un homme hutu a participé au génocide alors que sa femme est tutsie, celle-ci ne le savait pas, un théologien évoque à partir du retournement d’un bourgmestre le rapport au pouvoir dans le pays… Des extraits d’émissions hargneuses de la Radio-Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) complètent le contexte.
Ces mises en perspective sont passionnantes et l’on est scotché durant les deux heures que dure ce film. Car au-delà des réthoriques diplomatiques qu’il met remarquablement à jour, c’est toute la question d’une justice internationale qui est posée, dont la réponse ne peut résider que dans la très imparfaite conscience qu’en partagent les hommes.

1. cf. à ce propos notre dossier Rwanda 2000 : mémoires d’avenir, Africultures n°30.
2. Le Tribunal des vaincus – un Nüremberg pour le Rwanda, de Thierry Cruvellier (Calmann Lévy, 2006)
///Article N° : 8971

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