Débats-forum Fespaco 2025 / 4 : Myriam Birara parle de « The Bride » (La Mariée)

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La Semaine de la critique, initiative du Fespaco 2025, était organisée en collaboration avec les journalistes de l’Association des critiques de cinéma du Burkina Faso (ASCRIC-B). Elle a hébergé les traditionnels débats-forums du Fespaco, sur des films de la Semaine, de la section Burkina et de quelques films en compétition longs métrages, notamment « The Bride » (La Mariée) de Myriam Birara. Le débat était animé par Annick Kandolo et Madina Diallo. Myriam Birara s’est exprimée en anglais.

Annick Kandolo : Myriam Umiragiye Birara est rwandaise. Elle a à son actif deux courts-métrages et ce long métrage de fiction en compétition officielle The Bride (La Mariée), qui nous plonge en 1997, avec l’aventure dramatique d’une jeune femme, Eva. Elle a été kidnappée et violée par un étranger, Silas, et se retrouve prise dans un mariage forcé. Le rapt est une pratique qui a cours au Rwanda, mais aussi dans beaucoup d’autres pays d’Afrique comme le Burkina Faso. Cette pratique passe inaperçue et plonge de nombreuses femmes dans des souffrances inimaginables. C’est cette souffrance que Myriam a voulu mettre en images pour rendre hommage à toutes ces femmes. Pourquoi avoir choisi de placer cette histoire au sortir du génocide de 1994 ?

Myriam Umiragiye Birara : De nombreux hommes et femmes de ma communauté, des familles entières, ont été massacrés lors du génocide. Techniquement, cela voulait dire que beaucoup de gens, comme le personnage de Silas qui se saisit d’Eva, ressentaient le besoin de reconstituer leur famille. J’ai voulu situer l’histoire en 1997, car peu après, cette pratique du rapt a été interdite. A cette période, il était de toute façon inévitable d’évoquer le génocide. J’ai longtemps pensé que je ne ferais jamais de film sur le génocide, mais il est presque impossible de réaliser un film dans ce contexte sans en parler. Je me suis donc demandé comment les gens vivaient leur quotidien après cela ? Que restait-il de la vie quotidienne ? Mais j’ai voulu l’évoquer sans que cela soit trop frontal ou trop bruyant.

Madina Diallo : Pour faire le film, avez-vous rencontré des victimes de rapt? Et comment avez-vous élaboré votre scénario ?

Oui, j’ai rencontré beaucoup de personnes. J’en ai dans ma propre famille. Des proches ont vu leur famille se former de cette manière. Je connais en fait de nombreuses femmes dans ma famille qui ont eu des enfants de cette façon et qui vivent encore aujourd’hui avec leurs ravisseurs, devenus leurs maris. En rencontrant ces tantes, je me suis toujours demandé comment elles pouvaient vivre cela. Cela me hantait… A la fin des années 90, enfant, j’entendais dire qu’une fille n’était plus là car elle avait été enlevée. Et c’était tout. Je me demandais si c’était pour toujours. Mais il y avait la question de la virginité : une fois qu’elle était prise, la femme était coincée avec son ravisseur. J’ai donc rencontré beaucoup de gens, j’ai parlé à ma grand-mère. C’était une tradition qui existait depuis longtemps, elle faisait partie de la culture. Certaines personnes m’ont dit que ce n’était pas si terrible, que des filles savaient qu’elles allaient être enlevées. Oui, dans certains cas, elles savaient. Mais dans d’autres, elles ne savaient pas du tout. C’était donc un sujet controversé. J’ai aussi entendu des histoires très marquantes. Oui, j’avais assez de matière à traiter avant de me lancer.

Madina Diallo : Avez-vous rencontré des réticences, des gens qui ne voulaient pas briser le mur du silence ou qui ne voulaient pas voir ce sujet abordé au cinéma ?

The Bride a été fait d’une manière discrète. Personne ne savait sur quoi je travaillais, seulement quelques collègues, car c’était une production indépendante. Après l’avoir fait, j’ai eu droit à quelques commentaires du style : « Ah, c’était le bon temps ! Pas besoin de passer par des rendez-vous, etc. » Il y a encore du chemin avant que les gens comprennent le mal qui a été fait et continue d’être fait aux femmes. J’utilise ma voix de cinéaste pour m’exprimer et pour essayer de mettre cela sur la table.

Questions de la salle : Vous n’utilisez pas de mouvements de caméra : tout est en plan fixe. Quelle est la raison de ce choix technique?

C’est un choix artistique. Je suis issue de la peinture. Cela fait sens pour moi. Ce n’est pas systématique : cela dépend du rythme du film. The Bride est un peu lent. Il faut situer le film : 1997, c’est l’après-midi du génocide. Les gens étaient dévastés, traumatisés. Dans le film, la cousine de Silas a des saignements de nez dès qu’elle parle de sa famille.

Le film tend parfois vers le documentaire mais vous ne montrez pas le sang de près.

Si le film ressemble à un documentaire, c’est pour moi un compliment. Je voulais faire un film qui ressemble à mes souvenirs de la fin des années 90. Je ne me souviens pas des détails mais je me rappelle que la vie était lente. Les gens semblaient un peu éteints. En grandissant, j’ai compris qu’ils étaient en réalité profondément tristes. Mais ils n’en parlaient pas beaucoup. On confondait parfois la guerre et le génocide. Je voulais apporter cela sans l’exposer de manière trop frontale. La cousine de Silas ne comprend pas pourquoi elle saigne du nez. Cela arrive souvent, et c’est seulement après qu’on réalise ce qui s’est réellement passé.

Je n’ai pas choisi d’aller vers des plans rapprochés, donc vous ne voyez pas de sang, parce que, personnellement, je n’aime pas trop être confrontée au sang ! Peut-être que cela changera à l’avenir, mais pour moi, c’est quelque chose d’effrayant. Je voulais aussi l’aborder avec ma propre sensibilité, mais à distance, pour que l’on comprenne que quelque chose se passe et que cela revienne ensuite. La répétition m’intéresse. J’aime quand une chose revient, parce que dans la vie quotidienne, il y a cette répétition. J’aime la banalité du quotidien, ce que l’on fait aujourd’hui, demain, puis encore un autre jour.

Avez-vous travaillé avec des comédiens professionnels ?

Certains sont professionnels. Quelques-uns ne le sont pas… Par exemple, Eva est jouée par ma petite sœur. C’était sa première fois. J’ai eu du mal à trouver quelqu’un qui corresponde au personnage que j’écrivais, mais je pense qu’elle s’en rapprochait le plus. J’essaie encore de m’habituer au fait que c’est elle qui incarne ce rôle ! Sinon, Aline Amike, dans le rôle de la cousine de Silas, est une actrice professionnelle. C’était la troisième fois qu’elle jouait dans mes films. Quant à Daniel Gaga, qui joue le rôle de Silas, c’est un acteur très connu. Il est vraiment talentueux. C’est également le cas de la mère d’Eva, Justine Musabyeyezu, ou bien la tante d’Eva, Beata Mukakamanzi. Ce sont des actrices très célèbres et très talentueuses.

Que font les tantes d’Eva lorsqu’elles lui demandent d’écarter les jambes ? Est-ce traditionnel ?

Ce qu’elles font s’appelle l’étirement des lèvres, on allonge la peau. On pense que cela maximise le plaisir sexuel. Je crois que ça existe aussi en Afrique du Sud. C’est différent de la mutilation. Il s’agit d’un allongement, mais c’est aussi douloureux. Si j’ai choisi de l’intégrer dans le film, c’est que les femmes en viennent ainsi à mieux se comprendre elles-mêmes et à découvrir leur propre plaisir. C’est cet aspect qui m’a intéressée, car j’ai entendu des récits où, même il y a longtemps, les filles rwandaises pratiquaient l’étirement des lèvres et découvraient ainsi qu’elles pouvaient ressentir du plaisir à travers cette pratique. Elles le faisaient entre elles, entre filles. Et lorsque l’on parle avec des Rwandais, ils ne réalisent même pas que cela peut être une forme d’homosexualité. Non, cela se produisait simplement, et elles apprenaient à se comprendre elles-mêmes.

Mais les femmes plus âgées voulaient le faire à Eva pour augmenter le plaisir de son mari. Ce que je voulais dire, c’est que ce que j’aime surtout, c’est que les filles apprennent à se comprendre elles-mêmes. Mais pour d’autres, c’est uniquement pour le mari.

Je ne définirais pas cela comme de l’homosexualité – ce qui, en soi, ne poserait pas de problème – mais pour moi, c’est avant tout une question de connaissance de soi. Et cela soulève aussi d’autres interrogations : elles passent du temps ensemble, l’une aide sa cousine, son amie. Pour moi, cette scène représente avant tout la découverte de soi, la solidarité, mais c’est aussi un moment de légèreté dans le film, car la majeure partie du récit est marquée par la douleur.

Mon film comporte de nombreuses histoires et sous-intrigues, et je ne voulais pas me concentrer uniquement sur le rapt. L’enlèvement est l’élément déclencheur, mais ensuite, Eva développe cette relation avec sa cousine. C’est un récit sur l’amitié, le traumatisme, toutes ces sous-histoires qui s’entremêlent.

Je ne voulais pas non plus faire de Silas un antagoniste. Je ne voulais pas le diaboliser. Car dans ma société, les gens n’y voient pas de mal. On vit avec ces réalités troublantes, mais on se dit quand même : « Que pouvons-nous y faire ? Ce sont nos hommes. » J’ai voulu l’aborder sous cet angle-là aussi.

Fatoumata Sagnane, présidente de la Fédération africaine de la critique cinématographique : Je viens de Guinée et le film m’évoque la violence de nos traditions, et notamment l’excision, cette pratique ancestrale qui perdure encore chez nous. Autrefois, on cousait aussi la femme, et on la décousait au mariage. Douleur sur douleur. Comment le film a-t-il été reçu ?

La partie la plus difficile dans la réalisation de The Bride, c’est que cela s’est fait avant que nous ayons un fonds gouvernemental pour le cinéma et les créateurs. C’est donc un film très minimaliste, et nous n’avons pas vraiment localement une culture de cinéma. Nous avons seulement quatre salles, et la plupart du temps, ce sont des productions américaines. J’espère que nous pourrons amener le film aux spectateurs, leur permettre d’interagir avec lui et de poser des questions. Si on le voit dans une grande salle, les gens ont peur de s’exprimer. Je pense que c’est à nous, les cinéastes, de créer cet espace. Mais c’est énormément de travail de porter un film vers le public quand on est aussi la personne qui l’a réalisé.

L’industrie n’est pas encore bien structurée. Je ne peux pas dire qu’il y ait beaucoup de discussions autour des films. Mais pour moi, il était essentiel qu’il soit montré chez moi, car cela n’aurait pas eu de sens autrement. Après la première mondiale, j’ai ramené le film au pays. J’ai participé à trois festivals, et les gens me demandaient : Comment le film a-t-il été reçu chez vous ? Mais il n’avait pas encore été projeté au pays. Du coup, j’ai arrangé des projections au cinéma Canal Olympia. Il a été projeté quatre fois, c’était très désorganisé, mais je suis heureuse que ma famille, ma mère, mes amis, mes collègues et quelques autres personnes aient pu le voir. Mais nous n’avons pas encore vraiment cette culture du cinéma local.

Quelle a été la durée du tournage ?

Le film a été tourné en une semaine, huit jours. Et avec une équipe très réduite, parce que nous n’avions tout simplement pas beaucoup de moyens. Nous avons tourné en dehors de Kigali, à trois heures de route, dans le nord-ouest du Rwanda. Je voulais un lieu qui ressemble aux années 90, pas trop peuplé. La réalisation du film s’est faite de manière très directe, un peu comme un projet de type « guérilla ».

Une équipe locale ?

Oui locale, même la postproduction.

Est-ce qu’une femme enlevée perd le lien avec sa famille ?

Non, tu vois dans le film que ses tantes viennent lui rendre visite. Mais dans notre culture, une fois mariée, ton père et ta mère ne peuvent pas venir chez toi, à moins que ton mari ne leur rende d’abord hommage. Or, dans le film, il n’a pas payé la dot et n’a pas demandé le consentement des parents, il devait officialiser les choses. Certaines personnes peuvent venir lui rendre visite, mais la mère, elle, ne peut pas. Je n’ai pas mentionné le père dans l’histoire, mais je voulais montrer la douleur de la mère. Sa fille était encore à l’école, presque prête à aller à l’université… J’ai essayé d’imaginer ce que pourrait ressentir une mère dans cette situation. En théorie, la famille pourrait venir voir la fille, ou peut-être pas, cela dépend de l’homme. Mais aussi, quand une femme quitte son mariage, ce n’est pas qu’on l’empêche de partir. Non, elle ne part pas parce qu’elle en est empêchée, mais parce qu’elle a peur de retourner dans la société et de faire face au regard des autres. Elle a l’impression qu’elle va être perçue comme une femme « abîmée » ou indésirable. Dans la majorité des cas, les femmes ne partent pas. La plupart se résignent : « C’est ma vie maintenant. »

Si une femme quitte son mari, peut-elle vraiment reconstruire sa vie ailleurs ?

Même aujourd’hui, au Rwanda, la question des droits des femmes est complexe. Oui, nous avons 60 % de femmes au Parlement, et le gouvernement fait des efforts, mais pendant longtemps, les femmes ont été conditionnées à suivre des règles strictes. Aujourd’hui encore, certaines ont du mal à exercer leurs droits ou à faire entendre leur voix. Si une femme quitte son mari, personne ne l’empêchera physiquement. Mais ce qui la ronge, c’est cette idée qu’elle n’est plus vierge. Personne ne va vérifier, mais c’est une croyance profondément ancrée.

Même maintenant, je connais beaucoup de femmes qui ne peuvent pas divorcer, car le divorce est perçu comme une chose terrible. Une femme divorcée est souvent vue comme une personne « difficile à gérer ». C’est un préjugé qui remonte à très loin.

Nous n’avons jamais eu un vrai mouvement féministe ou un combat ouvert pour l’autonomie des femmes. Ce que nous avons aujourd’hui, c’est en quelque sorte un « héritage » des mouvements venus d’ailleurs. Les femmes entendent qu’elles ont des droits, mais dans la réalité, elles hésitent encore à prendre certaines décisions, parce que ce n’est pas ancré dans leur culture. Cela ne veut pas dire que les femmes sont directement opprimées comme dans certains pays, mais c’est surtout une question d’éducation dès le plus jeune âge. Personne ne leur interdit de faire des choix, mais on leur a appris toute leur vie à suivre une certaine voie.

Le fait d’être une artiste-peintre a-t-il influé sur votre choix des couleurs ?

En fait, je ne pensais pas traiter directement le sujet de la discrimination, mais plutôt de manière indirecte. Certains éléments sont en arrière-plan, pas forcément mis en avant. Les couleurs ne sont donc pas nécessairement liées à la violence ou à d’autres thèmes de ce genre, mais plutôt à une ambiance, à l’époque et au cadre où se déroule le film. Je sais que certaines couleurs sont souvent interprétées avec des significations spécifiques, mais pour moi, je vais parfois au-delà de ces conventions et je choisis ce qui fait sens, ce qui me parle. Je joue avec les couleurs en fonction du ressenti que je veux créer. L’image du film est froide, par exemple, parce qu’il se déroule dans une période d’après-guerre, mais je ne voulais pas non plus que ce soit un film trop déprimant. C’est pourquoi j’ai choisi un personnage comme Eva, qui est très vive et joueuse. Elle donne presque l’impression que c’est un film joyeux. Elle ralentit lorsqu’elle est avec cet homme, elle devient plus silencieuse, mais sa personnalité reste pétillante.

Donc, certaines couleurs correspondent aux moments du film. Par exemple, dans la scène où ils vont prendre des photos, ils sont heureux, et cela se reflète dans la continuité des couleurs. Mais je ne suis pas forcément des règles précises sur quelles couleurs utiliser pour tel ou tel sujet. C’est avant tout une question de ressenti, et j’aime voir comment les spectateurs perçoivent ces choix.

Juste un dernier mot : avec pour titre The Bride, on croit que c’est un film joyeux. C’est ce que m’ont dit des gens à la Berlinale. C’était intentionnel. Le film semble heureux, et le personnage principal paraît l’être aussi. Elle a une personnalité vive parce qu’elle n’a pas grandi au Rwanda pendant le génocide. Elle est innocente et naïve, et c’est ce que je voulais montrer. Puis, quand on creuse, on réalise que c’est en réalité une histoire triste. Je voulais explorer l’idée que même une personne en souffrance peut avoir des moments où elle sourit. Je voulais dépasser cette idée que les films sur le Rwanda doivent toujours tourner autour du génocide. Je comprends l’importance d’en parler, mais c’est déjà un sujet largement abordé. Je voulais explorer d’autres thématiques tout en laissant des moments de légèreté, où les personnages peuvent sourire.


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