Du Mali au Mississipi

De Martin Scorsese

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L’écran est noir et la voix pénétrante de Scorsese introduit le film :  » Je ne peux imaginer ma vie sans musique ; c’est comme une lumière dans la pénombre « . Il note par ailleurs dans le dossier de presse que s’il avait été capable de vraiment jouer de la guitare, il n’aurait pas été cinéaste… Voici donc avec une forte charge émotionnelle son opus personnel de la série de sept films qu’il a initiée sur le blues. Il complètera plus tard les raisons de cet engagement en citant John Lee Hocker :  » le blues est un guérisseur « . Inscrivant comme Wenders dans The Soul of a man le blues dans son cadre social, il en évoque la force de résistance dans les plantations du Delta : chanter une femme tyrannique permettait de parler du patron sans en avoir l’air…
Scorsese pose ainsi le triptyque selon lequel pour lui le blues est essentiel : une communicative nécessité vitale, un instrument de résistance et de mémoire, un outil thérapeutique pour l’homme comme pour la société. Pourtant, si on ne la documente pas, cette musique risque de s’effacer. Il importe d’en connaître les origines, mais comme le dit un proverbe africain :  » Les racines n’ont pas d’ombre « . Après avoir écouté la flûte de canne d’Otha Turner accompagnée par un tambour, évocation sans équivoque de sons originaires, il décide de faire le voyage et d’aller rechercher en Afrique ces racines du blues. Fasciné par le gigantesque travail accompli pour la bibliothèque du Congrès américain par John et Alan Lomax, qui ont enregistré et transcrit les musiques et chansons populaires un peu partout dans le monde, Scorsese s’adjoint Corey Harris, jeune bluesman passionné, pour un périple au Mali. Ils y rencontrent Salif Keïta, Habib Koïté, Ali Farka Touré…
Mais Scorsese n’est pas Lomax : il n’en a ni le temps ni la compétence. Et c’est là que ça se gâte : les rencontres avec les musiciens maliens restent terriblement superficielles, voire débouchent sur des approximations a-historiques comme un Ali Farka Touré déclarant :  » Il n’y a pas d’Américains noirs, il y a des Noirs en Amérique « . Plus encore, le lien unique établi dans le film avec le Mali fait écho au cliché qui ramène toute l’Afrique à l’Afrique de l’Ouest dans l’imaginaire américain, au mépris des musiques d’Afrique centrale, alors même que les esclaves convoyés aux Etats-Unis et qui portaient avec eux leur culture musicale étaient notamment originaires d’Angola et du Congo.
Certes, en découvrant la musique noire américaine à travers les disques de John Lee Hocker (dont son premier disque, Farka, est très marqué), Ali Farka Touré a tenté de retrouver les racines maliennes du blues, mais elles sont loin d’être uniques. La généalogie malienne du blues apparu à la fin du XIXème siècle dans la basse vallée du Mississipi est  » difficile à tracer  » rappelle le spécialiste Gérard Herzhaft et c’est au Mozambique que Scorsese va chercher des images de joueurs de flûtes et de tambours.
En centrant ainsi son film sur une généalogie superficielle, Scorsese le rend moins prégnant que les autres de la série, centrés le vécu américain du blues. Mais en adoptant un ton personnel et une certaine simplicité d’approche, il sait communiquer sa fascination pour une musique pénétrée de souffrance et d’amour, issue des tripes de l’expérience noire.

///Article N° : 3330

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