« Du statut de l’artiste contemporain africain en France »

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L’actuelle banalisation du terme  » art contemporain africain  » se lit en filigrane des expositions du même nom qui durant ces vingt dernières années en France ont jalonné l’histoire des expositions dites postmodernes. De Magiciens de la Terre, en passant par Partage d’exotismes, Les Afriques à Lille, jusqu’à Africa Remix l’extension territoriale de la carte de l’art à celle du monde, bien que révélatrice d’une certaine acceptation de l’Autre, n’est pas sans créer de débat. La circonscription des territoires de l’art en des aires culturelles n’admet-elle pas une classification hiérarchique des artistes en fonction de leurs origines (1) ? Que problématise la notion d’art contemporain africain sinon les conditions principales d’apparition des œuvres comme la singularité de l’artiste mises en branle par les techniques d’exposition ? Si une cristallisation de l’identité culturelle s’opère autour de la notion  » Afrique « , c’est qu’elle-même est sujette à une logique d’extraversion au profit d’une plus value marchande et institutionnelle.

L’Afrique artistique mise en scène dans une version touristique
Mai 2005, l’exposition Africa Remix s’ouvre au Centre Georges Pompidou. La scénographie, dangereusement chaotique, peut-être trop proche d’une esthétique du bazar et du hasard, fait que l’exposition se révèle dans un souk bigarré de couleurs bleu pour la section « Identité et Histoire », jaune pour « Ville et Terre » et rouge pour « Corps et esprit ». La présentation de ces artistes se fait au sein d’une institution culturelle de prestige dont le sixième étage a été transformé pour l’occasion en une friche, lieu de régénérescence ou de reconnaissance caractérisée par « son hybridité créative ». Mais « si la friche fascine c’est parce qu’elle est à la fois rebut et promesse de renouvellement ». La rencontre esthétique se fait dans un patchwork de salles, les unes parfois trop étroites pour les œuvres contenues et les autres bien trop grandes pour ce qu’elles ont à « dire ». Il semble même que la question esthétique des œuvres s’est transformée en une question quantitative. L’abondance des productions confère au tout une ambiance proche du pittoresque et de la paupérisation. Et tout comme sur le marché de Sandaga à Dakar, le souk de Marrakech ou d’Agadir, ou à la Medina en période de festivités, des voix et des sonorités surgissent de tous les recoins et construisent un discours général inintelligible. En cela, l’Afrique ou l’Afriche est ici présentée comme un « réservoir d’altérité pour l’art et la culture occidentaux et comme antidote à la vitrification du monde ». L’Afrique, dans toute sa splendeur (telle qu’elle est fantasmée en Occident), a donc été recréée au Centre Pompidou et l’expérience esthétique est transformée en une expérience touristique. Le visiteur ou le touriste cherche ici à rencontrer une identité différente de la sienne pour faire l’expérience de l’autre, de l’étranger, et de l’étrange.
Mais Africa Remix, dans une présentation artistico-touristique, a quelque chose de pertinemment contemporain puisque son trop plein de marchandisation répond à la logique consumériste de l’art international. L’exposition, dans son déploiement dispositionnel, communique avec plus de facilité sur le concept « Afrique » que sur de réelles individualités. Impossible dans ces conditions qu’une œuvre soit réellement vue. La mise en scène des œuvres dans une contiguïté appositionnelle, implique la responsabilité d’un sens global aux dépens du singulier. Le but étant d’admettre, en définitive, que la production artistique contemporaine africaine est diverse et qu’elle fait partie toute entière d’un discours global sur la création contemporaine. Mais la responsabilité assumée d’une initiative aussi périlleuse qu’urgente, oblitère plus qu’elle n’ouvre vraiment sur l’occurrence des œuvres et de leur créateur car « l’œuvre d’art posée comme vestige ou trace précipite toujours le présent dans l’urgence ». L’œuvre n’est plus visible pour ce qu’elle est. Elle devient la monstration d’un palliatif à un manque que l’on tente d’interroger. Et ce présent investi par l’urgence, par la circulation d’Africa Remix dans différents pays, réinvestira somme toute la durée nécessaire à son évaluation.
Pour sûr, un des mérites incontestés de cette exposition-proposition est d’avoir orienté les projecteurs sur le travail d’artistes dont la notoriété n’était plus à faire et qui pourtant était jusqu’alors absents ou très peu visibles sur la scène artistique française.
Bruce Clarke : une africanité contrariée
Les débats relatifs à un art contemporain évoluent de façon disparate en des lieux géographiquement opposés. En 2002, le Sénégal inaugure sa cinquième biennale d’art contemporain africain, le Dak’Art. Cette manifestation se veut le lieu de réunion des artistes du continent noir, la célébration biannuelle de leur créativité et la reconnaissance internationale de leur potentialité. Car plus qu’une biennale, le Dak’Art est le banquet officiel de l’agenda international de l’art contemporain africain. Mais une question qui prédomine à la notion même de biennale d’art contemporain africain est a fortiori le critère de sélection artistique. Faut-il attester d’un passeport africain pour être éligible par cette biennale ? Un lien parental avec l’Afrique est-il suffisant ? Un occidental vivant en Afrique peut-il déposer sa candidature ? En soi, l’identité culturelle est-elle le facteur nécessaire et suffisant à l’admission d’un artiste au sein de cette puissance d’élection de l’art contemporain made in Africa ?
A cette époque, la question est d’autant plus cruciale que le comité de sélection se voit partagé par la candidature de Bruce Clarke. Ce plasticien a effectué des études aux Beaux-arts de l’Université de Leeds en Angleterre où il a eu pour professeurs des représentants du mouvement artistique Art & Language. Son travail est une critique incisive des masses médias et de l’histoire. Dans son œuvre, l’image et le texte se chevauchent ou plutôt se débauchent. L’un étant la connotation de ce que dénote l’autre. Mais si l’opacification des messages peints par l’artiste est évidente, son africanité semble parfois soulever quelques interrogations. En effet, né à Londres en 1959 de parents sud africains, l’artiste vit en France et est connu de tous les milieux de l’intelligentsia africaine pour son militantisme contre l’Apartheid et le génocide rwandais sans pour autant être reconnu comme un artiste africain. À cet égard, l’artiste explique «  mon identité ne doit pas expliquer mes choix professionnels. Je pense vraiment qu’il faut s’émanciper du choix de l’Histoire. La peinture d’une manière indirecte m’aide dans mes propos. Mais aujourd’hui, une partie de la guerre se fait contre les images elles-mêmes. Tout le monde produit des images. Il faut être vigilant par rapport au type d’images que l’on génère. Soit l’artiste contribue à cette masse d’images mystificatrices, soit il essaie de faire des images démystifiées afin de contrôler leur sens. Ce sont des sortes de contre-images. La peinture est pour moi une arme dans cette guerre, tout en reconnaissant la faiblesse de cette arme  » (2) Alors que sa candidature est retenue par Ousseynou Wade, secrétaire général de la biennale de Dakar, le conseil d’administration refuse la participation de cet artiste à l’évènement. Que signifie donc être Africain ? Que sous-entend ou mal-entend cette crise administrative de l’africanité ? L’Afrique est réduite à une carte d’identité et un acte de naissance qui ne sont pas en bonne et due forme pour Clarke. Nonobstant, ses combats méritoires pour l’Afrique lui valent les faveurs du comité de sélection qui décide d’ouvrir sa sélection à des artistes n’appartenant pas à l’Afrique et à sa diaspora. 2002, le Dak’Art invite finalement Bruce Clarke à exposer son africanité en terre sainte…
Exposer son œuvre sous un drapeau blanc : limites et possibilités
Que signifie l’art contemporain africain du point de vue de l’analyse stylistique et formelle des œuvres? Bien que le terme unifie, il dissout surtout dans son imperméabilité la diversité des sources, des pratiques, des conditions de production et de diffusion des artistes plasticiens africains. Anne Cauquelin précise que les critères de la contemporanéité  » ne peuvent pas être cherchés dans le seul contenu des œuvres, leur forme, leur composition, l’emploi de tel ou tel matériau, ni non plus leur appartenance à tel mouvement dit ou non d’avant-garde  » (3). La tentative de définition du contemporain s’avère alors d’autant plus périlleuse que les experts (4) eux-mêmes ne s’accordent pas sur son sens et que le fait contemporain diffère d’une culture à une autre. Peut-être cela peut-il expliquer que l’apparition des arts non occidentaux sur la scène internationale se soit accompagnée de déterminants ou suffixes culturels classificatoires comme le montre la notion d’art contemporain africain ?
Mais n’a-t-on pas affaire à une instrumentalisation des productions artistiques ou à un instrumentalisme conceptuel des artistes africains? Faut-il voir en ces artistes les victimes ou les complices rusés du marché de l’art occidental ? Les plasticiens africains à travers les expositions, sont-ils sujets à une oscillation entre présentation et représentation ? Dans quel cas et dans quelle mesure, l’identité culturelle de ces artistes peut-elle conduire à exclure ou inclure leur  » je  » du jeu de l’art ? Pour répondre à ces questions, il existe un artiste souvent critiqué pour ce qu’il a de politiquement incorrect et qui dans sa peinture et dans ses textes interrogent la place de l’artiste africain sur la scène artistique internationale.
Né au Soudan en 1951, Hassan Musa étudie aux Beaux-Arts de Khartoum et est titulaire d’une thèse de doctorat en histoire de l’Art. Il s’approprie au fur et à mesure de son parcours les images de l’iconographie judéo-chrétienne et s’affiche comme l’héritier naturel de l’histoire de l’art occidentale. Alors qu’en 1999 il reçoit une invitation de Jean Hubert Martin, commissaire de la 5ème biennale de Lyon, il accepte d’exposer mais en faisant part de son ressenti dans une lettre (5). ouverte aux organisateurs. Selon l’artiste, l’artafricanisme est  » un art pensé en Europe par les Européens pour les africains  » Les européens, issus d’un monde désenchanté, attendent un retour du sacré et de l’éthique manifestement venus d’Afrique. Cet art appelé contemporain africain n’aurait donc de valeur qu’aux yeux d’une Europe sujette à la régénérescence mais qui ne trouverait pas de définition semblable en Afrique.  » L’artafricanisme est avant tout une tribune politique. Je continuerai d’y exposer tant que je n’y substituerai pas une tribune plus intéressante. Tant que celle-ci est rentable sur le plan critique, je ne m’en priverai pas. J’ai été éduqué en Afrique. Et pourtant, l’art africain est un objet qui a été inventé par les gens qui s’en servent et qui le manipulent aujourd’hui. Mon travail est avant tout celui d’un artiste qui est affecté par sa situation d’homme dans le monde. C’est pour cette raison que je pense que la manipulation des images est un geste politique qui a des conséquences politiques. Je dénonce cela. Car certaines machines propagandistes avancent masquées en imposant leur vision des choses de façon totalitaire. Mais le monde n’appartient pas à ces personnes détenant le pouvoir technique et matériel. Le monde est un bien commun de l’humanité. Tout comme les images. À nous de trouver notre place et de la garder.  » (6)
Terrain d’action politique et d’occupation artistique, l’  » artafricanisme  » est le lieu d’une agitation importante dont Hassan Musa a compris le fonctionnement. Ainsi, il fait du dialogue des cultures un binarisme trompeur dont il faut se méfier. Peut-être d’ailleurs est-ce cette méfiance qui lui aura valu que son travail ne soit pas exposé au sein de cette biennale. Mais qu’à cela ne tienne, véritable faiseur d’images, libre d’associer la calligraphie arabe, la peinture européenne ou encore l’aquarelle sur des morceaux de tissus imprimés qu’il dégote dans des drogueries, ses œuvres telle The Great American Nude présentée à Africa Remix, continuent d’être les troubles fêtes d’un art contemporain africain incontestablement polymorphique.
Fortement lié aux institutions publiques, grandes instances de consécration, de légitimation, et de régulation, l’art contemporain s’illustre principalement sous la forme institutionnelle et marchande de l’exposition. L’art contemporain est un des mondes de l’art défini par une doxa particulière, celle qui dicte les conditions de la visibilité de l’artiste. En outre, la non- médiatisation de l’artiste est synonyme d’une mise à l’écart.  » Si on ne parle pas d’un artiste, il n’existe pas  » (7) Plus il y a socialisation d’une œuvre et d’un artiste et plus le public veut entrer en contact avec eux. Le média exposition devient alors un instrument de partage culturel qui se développe au même titre que les grandes machines culturelles : Beaubourg, Orsay, le Louvre ou encore les biennales de la Havane, Sao Paulo, Venise, Bamako, Saint-Étienne, Dakar, Lyon etc. Mais dans un contexte d’économie mondiale du marché de l’art régit par le bloc européano-américain, l’artiste  » d’origine  » pour exister, doit souvent s’exiler de chez lui et de son être afin d’intégrer les fourches caudines que lui réserve le marché de l’art international.
Se rappelleront certainement les personnes qui ont visité cette exposition que le début de la scénographie d’Africa Remix est marquée par l’œuvre Obstacles de Mounir Fatmi constituée de barres de jumping. Selon Marie-Laure Bernadac (8), co-commissaire de l’exposition, l’installation symbolise l’entrée du visiteur sur un nouveau territoire. Ajoutons alors que le touriste-visiteur, après avoir payé son ticket, s’adonnait alors au rite particulier du péage, celui de la levée des barrières et de l’entrée en région inconnue. Mais est ce que l’œuvre de Fatmi avait pour prétention de résoudre dans un pacte tacite et symbolique avec le public et les organisateurs d’Africa Remix, toutes les problématiques catégorielles liées à une telle manifestation ? N’est-ce pas encore répondre à cette logique d’extraversion de l’identité culturelle de l’artiste au profit du discours général sur l’art contemporain africain défendu par les curateurs ? Cela dit, rien n’est plus clair et tout reste à faire. Mais après analyse, ce que démontre l’œuvre entière de cet artiste né à Tanger en 1970, c’est la possibilité d’ouvrir les bannières artistique et territoriale pour exposer librement sous un  » drapeau transparent « .
L’artiste marocain participe depuis 1999 à de nombreux festivals de vidéos, à des biennales telles que Venise, Sharjah, Luanda, Dakar etc. En 2003, le Migros museum de Zürich lui consacre une exposition personnelle sous le titre d’Obstacles. Depuis 1998, environ une douzaine d’expositions individuelles lui a été consacrée, et durant la même période, il a participé à autant d’expositions collectives internationales. Entre 1997 et 2005, la Drac Ile de France, Culturesfrance, la Drac Nord-Pas-de-Calais, l’ont reçu en résidence. Aujourd’hui, il réside entre Paris et Amsterdam à la Rijksakademie, où il réalise un long métrage, Les prophètes. Il est représenté à Paris par la B.A.N.K Galerie et à Los Angeles par la Shoshana Wayne Gallery. Son œuvre Save Manhattan 1 a été achetée à la Fiac par la direction des Arts plastiques du ministère de la Culture.
Son travail avant tout esthétique, est aussi le fruit d’une réflexion sur l’objet de l’Art lui-même, la Politique et la Société. L’histoire de ses œuvres est aussi l’histoire des matériaux qui les constituent. Ainsi, les Ecrans noirs produits avec des K7 VHS deviennent aussi le tombeau d’une œuvre qui, avec la fin du médium, se verra consacrée au rang de fossile artistique. Mounir Fatmi traite le mot et la langue à la manière de Duchamp dont il prend le travail pour exemple. À la fois subversif et poétique son manifeste (9) est à lui tout seul un médicament avec ses prescriptions, ses conseils et ses effets secondaires. Déjà en 1993, après l’obtention du premier prix de la troisième Rencontre de la jeune peinture marocaine, l’artiste exprime publiquement ses opinions politiques et déclare à la presse marocaine qu’il est un artiste symboliquement mort.  » C’était une manière, de part ma liberté, d’en finir avec ce que j’étais pour devenir un autre. Un homme et un artiste différent de ce que l’ordre avait établi. Alors que ma peinture commençait à être acceptée par certaines personnes, elle ne me contentait pas. L’année qui a suivi cette déclaration, j’ai commencé à travailler sur une série d’effacements intitulée  » Sans témoins « . Il s’agissait des sérigraphies que j’effaçais et que personne n’avait vues. Moment auquel créer un autre espace-temps et réfléchir à un autre médium était devenu une sorte de priorité. Peu après, je suis passé à la photographie. J’ai commencé à travailler sur une série de peintures intitulée  » Détachement mémorisation « . Juste avant d’effacer les peintures, quelques personnes pouvaient les voir. Après, je photographiais ces personnes devant les peintures effacées. Et je les signais  » Peint, vu et effacer « . Il n’y avait plus de trace de peinture, seulement le témoin oculaire. Cette rupture avec mon histoire m’a ouvert la voix vers d’autres médiums. C’est ce que je dis dans mon manifeste quand j’écris  » Je veux être le point final de mon histoire « . C’est-à-dire, avoir la capacité de tout arrêter, reprendre et recommencer quand je le veux.  » (10)
Du statut de l’africalisme en France
À la manière d’Edward Saïd, nous admettons que, s’il existe un art africain contemporain, il pourrait être cet « africalisme » construit par l’Occident, principal producteur du discours théorique sur le reste du monde. En ce sens, l’ « africalisme » serait un fait homogène et globalisant construit par et pour l’Occident, une espèce d’assignation à résidence des artistes de la diaspora venue d’Afrique. Est un artiste africain tout artiste qui est né en Afrique quoique préfigure l’esthétique de son travail. Des débats et des colloques sont régulièrement organisés à ce sujet sans jamais parvenir à une conception épistémologique commune. Les avis se partagent entre les tenants d’un essentialisme du regard tel que Jean-Loup Pivin, qui avec l’exemple de la Revue Noire défend l’idée d’une autosuffisance de l’œuvre par rapport au texte. Accordant une importance privilégiée à l’œil, conçu d’ailleurs comme un pur appareil organique dénué de référents culturels. L’écrivain décline la pertinence de la critique théorique en y opposant l’approche immédiate et poétique de l’analyse littéraire. D’autres comme Alexis Nouss défendent l’idée selon laquelle la popularisation du terme de métissage renfermerait sa propre signification en ce que l’homme est métis par nature. À la fois père, mari, grand frère, artiste, son identité ne saurait se suffire à la contingence de l’autodétermination. Au contraire, affirme t-il, « tout homme fait l’objet d’un métissage car l’identité fait l’objet d’une polydétermination latente » En ce sens, l’artiste africain appartient lui aussi à la mondialisation. Son savoir, ses connaissances, ses techniques, ses envies esthétiques, sont les fruits d’une corrélation temporelle, situationnelle, culturelle, politique etc. L’artiste africain se trouve aujourd’hui au même carrefour que les artistes « sans origines » communément appelés internationaux. Il souffre lui aussi du besoin d’ubiquité et commence tant bien que mal à se guérir de sa maladie. Sur 1379 (11) œuvres du Fond National d’Art Contemporain (FNAC) (12) toutes origines confondues, 25 sont d’artistes africains soit 2% des acquisitions totales du FNAC. Sur 57178 œuvres des collections du Centre Pompidou seulement 617 sont les productions de plasticiens africains, soit 1%. Les artistes, au nombre de 93, représentent 2% des artistes présents dans les collections du Centre Pompidou. Cette tendance se confirme dans d’autres collections tels que le Fond régional d’art contemporain (FRAC) de Picardie où sur 195 artistes toutes origines confondues, seulement 3 sont africains. Les propriétés esthétiques d’une œuvre ne sont plus les seules conditions de reconnaissance d’un artiste. L’actuel système de cotation du marché de l’art traduit une domination non plus seulement des tendances artistiques mais bien aussi de l’identité culturelle de l’artiste comme facteur opérant de son éligibilité sur la scène internationale. En outre, si la dimension internationale est effectivement au cœur des mécanismes de consécration, l’origine culturelle d’un artiste peut venir structurer ses conditions d’apparitions et de visibilité. Ainsi, l’art africain contemporain comme nouveau monde de l’art contemporain ou comme nouveau registre classificatoire permet à des artistes africains, une entrée progressive sur le marché de l’art international qui s’avère encore limitée en France. Toutefois, nous ne saurions trop louer les maintes tentatives des curateurs de cette époque qui ont consisté à rendre visible les artistes africains contemporains. Mais si les œuvres sont visibles, elles n’en restent pas moins illisibles du fait du piège régulièrement tendu par l’identité culturelle des artistes. L’artiste africain peut être tour à tour, magicien, exotique, mondialisé, messager de sa culture et ambassadeur de l’Afrique toute entière. En somme, l’artiste africain, dans le cadre des expositions est un produit conceptuel, une articulation entre plusieurs modalités dépassant le plus souvent ses propres préoccupations. Concluons donc, que l’identité de l’artiste africain, dans une logique d’extraversion est le reflet de tendance curatoriale. Le prouve l’importance de la création de la Contemporary African Art Collection (CAAC) de Jean Pigozzi et dirigée par André Magnin dont les nombreuses actions influent sur la cotation des artistes de la collection. Le commissaire d’exposition de l’art contemporain africain, en s’appuyant sur cet invariant générique, tente de créer de nouvelles situations de réception et d’interprétation du travail de l’artiste. Mais si ces expositions propositions sont le plus souvent des succès publics, elles le sont moins d’un point de vue théorique car elles continuent de dissoudre l’identité particulière de l’artiste dans un projet global via l’utilisation de schème structurant. La nature des œuvres acquises par nos institutions révèle le niveau d’acceptation du possible élargissement de ladite notion. En d’autres termes, c’est à travers leurs achats que ces institutions transforment la donne au profit d’un respect de la diversité et matériologique et idéologique des artistes venus d’Afrique. Car en effet, si ce sont les artistes à tendance numérique qui intéressent le Centre Pompidou (13), ce sont les artistes de la récupération qui intéressent le Musée du Quai Branly (14). Ne sont-ce pas là deux extrêmes qui, exposés en tant que tels, révèlent l’évident fossé qui se constitue entre l’art africain présenté au sein de nos musées et l’art africain tel qu’il se crée un peu partout en Afrique et ailleurs mais dont on ignore tout faute de tribune ostensible. Alors à quand un  » art africain contemporain  » pensé comme simple continuum de l’art international ?

1. Voir à ce sujet le Kunst Kompars et les travaux d’Alain Quemin, L’art contemporain international : entre institutions et le marché (le rapport disparu), Nîmes, Editions Jacqueline Chambon, 2002
2. Entretien avec l’artiste le 22 avril 2006
3. Anne Cauquelin, L’art contemporain,p.5
4. Catherine Millet a rédigé un questionnaire qu’elle a envoyé à une centaine de musées d’art moderne et contemporains à travers le monde et leur a demandé  » Considérez vous que tout l’art produit aujourd’hui est contemporain « . Les réponses étaient diverses, certaines associant la contemporanéité à la chronologie, d’autre à l’esthétique…
5.  » Moi, artiste né en Afrique (ça c’est une catégorie !), je pense que ce qu’on appelle l’art africain contemporain n’est qu’une évolution possible de la tradition européenne, et que si, à notre époque, on favorise, la production artistique des Africains au lieu de celle des Esquimaux ou celle des Amérindiens, cela ne tient pas à la qualité artistique de cette production africaine mais plutôt aux circonstances de l’évolution de la pensée esthétique européenne. Le jour viendra où l’esthétique européenne tournera le dos à l’art africain pour d’autres catégories plus aptes à porter ses attentes.  » Lettre à Jean-Hubert Martin, in Catalogue d’exposition Partage d’exotismes, 5ème Biennale de Lyon, 2000.
6. Entretien avec l’artiste du 24 avril 2006.
7. Ibid
8. Catalogue d’exposition Africa Remix, Flammarion, 2005, p.14
9. http://www.mounirfatmi.com/
10. Entretien avec l’artiste du 9 juin 2006
11. Ces données ont été obtenues le 1er septembre 2006 sur www.videomuseum.fr réseau de musées et d’organismes gérant des collections d’art moderne et contemporain comme des FRAC, des musées nationaux, des fondations etc. Videomuseum fédère actuellement 56 collections et recense à ce jour 20 000 artistes et 220 000 œuvres.
12. Le Fonds national d’art contemporain (Fnac) est la plus grande collection internationale d’art vivant rassemblée en France. Constituée depuis deux siècles par les achats et commandes effectués pour le compte de l’Etat auprès des artistes en activité, la collection contient environ 70 000 œuvres relevant aussi bien des arts plastiques et de la photographie, que des arts décoratifs et du design.

13. De nombreuses œuvres numériques ont été exposées lors d’Africa Remix au Centre Pompidou. Cette explication est d’autant plus nécessaire que l’exposition n’était pas toujours la même de Düsseldorf, Londres, Paris ou encore Tokyo.
14. L’exposition  » La Bouche du roi  » de Romuald Hazoumé qui se tenait au Musée du Quai Branly du 12 septembre au 13 novembre était une installation faite à partir de bidons d’essence. L’artiste
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