En Afrique, entre BD publicitaire et BD de sensibilisation, les dessinateurs naviguent comme ils peuvent

Print Friendly, PDF & Email

Au cours du vingtième siècle, la bande dessinée a connu un développement lent mais continu sur l’ensemble du continent africain. Si les éditeurs et les groupes de presse ont joué un rôle essentiel et positif dans la diffusion de ce média, un autre facteur essentiel, bien que peu étudié par ailleurs, est à prendre en compte : les bandes dessinées de commande. Si le recours régulier de la publicité à des strips ou des pages de bande dessinée pour vanter les mérites de tel ou tel produit remonte à l’époque coloniale, un phénomène remontant aux années 90 est de plus en plus apparent : les bandes dessinées de sensibilisation, devenues la principale source de revenus pour nombre d’auteurs du continent. Etat des lieux sur un pan méconnu du métier de dessinateur de BD Africain.

Aux origines de la BD sur le continent était la publicité

L’Afrique de l’est (en particulier le Kenya et la Tanzanie) a une longue histoire en matière de presse. A l’époque coloniale,  plus de quarante journaux étaient diffusés sur le territoire du Tanganyika (future Tanzanie) et un nombre très probablement plus important encore au Kenya. Parmi ces titres, aucun ne contenait de la bande dessinée quelle que soit la langue du support.

La seule bande dessinée que l’on pouvait y trouver était visible dans la publicité et toutes étaient en swahili. En effet, dès août 1940, le journal swahiliphone de la mission catholique de Mombasa, Rafiki yetu, se servait déjà de la BD dans des réclames publicitaires pour le thé : CHAI inakupa Nguvu (trad. Le thé qui vous donne de la force). Cette série publicitaire sera reprise le mois suivant dans Mambo leo, un mensuel publié par l’administration du territoire. Ce ne sera que le premier d’une longue série. Durant les années qui suivront, énormément de BD publicitaires mettant en scène des Africains seront diffusées dans des journaux swahiliphones, aussi bien au Kenya (le quotidien Tazama – diffusé à 17 000 exemplaires – ou Taifa, l’hebdomadaire Baraza) qu’au Tanganyika (Baragumu). Le nombre de produits concernés étaient aussi importants que variés : médicament contre la malaria, savons, cigarettes, vélos, le chocolat Cadbury, les pneus Michelin…. Il y eut même des séries BD publicitaires comme celles mettant en scène Juma, un garçon qui tue un cobra à mains nues, empêche un train de dérailler ou se bat contre des voleurs de bétail et tout cela grâce à la margarine Blue band[1]! On peut aussi citer les aventures sportives de Tomasi Tembo (Thomas l’éléphant) qui remporte tous les défis sportifs possibles grâce à la marque de cigarettes qu’il fume.

Mais l’Afrique «anglophone » n’était pas la seule concernée. Au Congo Belge par exemple, Juma s’appelait Makasi[2] et vivait les mêmes aventures, également porté par la fameuse margarine[3]. En parallèle, il y eut également un héros de bandes dessinées publicitaires dans les années 50 : Tata Bata. Celui-ci a fait l’objet d’un album de 22 pages édité par Bata-Congo pour le Congo belge : Les aventures de Tata Bata, vendeur d’élite. Par la suite, il apparut également dans le magazine L’antilope qui sera édité de 1957 à 1963.

En Afrique française, les journaux diffusés sur le continent proposaient également beaucoup de BD publicitaires. Ce fut le cas avec les bougies Champion, le dentifrice Gibbs, les lames Gilette bleue, le comprimé Aspro, Néocide qui mettait en scène les malheurs d’Abdoulaye, les aventures de Félix qui valorisait la margarine Astra « qui donne force et santé ». La série Monsieur Moustache valorisait le liniment sloan « qui calme la douleur ». Certaines entreprises locales avaient également recours à la bande dessinée pour faire sa promotion. C’était le cas de Matter bois, installé à Dakar, ou de la marque de bière ivoirienne Bracodi, «une boisson magique qui redonne sa vitalité à un ouvrier» au tout début des années 50.

Au développement de la BD était la publicité

Si la bande dessinée a beaucoup apporté à la publicité, la publicité a également permis le développement du genre sur le continent.

Dans les années 70, la bande dessinée fait son apparition dans les journaux et se popularisent. C’est particulièrement le cas en Côte d’Ivoire où les personnages de Dago et de Monsieur Zézé deviennent très populaires au sein de la population. Cette popularité va fortement intéresser les entreprises locales. C’est ainsi que Dago deviendra le personnage principal de nombreuses campagnes de publicité, dont les piles Eveready et – à nouveau – pour de la bière avec la Solibra (qui fusionnera en 1994 avec Bracodi) qui réalisera en 1978 un petit film publicitaire mettant en scène Steve Tanoh Kouao un comédien à la mode plus connu sous le nom de Dago qui, en buvant une gorgée de bière, trouvait la force de dépasser les bus à vélo.

Dans un autre genre, Lacombe, dessinateur de Monsieur Zézé, dessinait lui-même les encarts publicitaires présents dans les pages de Zazou, la revue BD qu’il avait lancée. Il en était de même pour le Congolais (RDC) Mongo Sise qui avait lancé Bédé Afrique, revue qui ne durera que trois numéros.

Au Cameroun, l’un des pionniers de la bande dessinée locale, Thomas Kiti va, pendant longtemps, vivre de son art en proposant des bandes dessinées publicitaires dans plus de trente journaux et organes de presse du pays, en particulier entre 1976 et 1982. Par la suite, il fera paraître six numéros de la revue Sam Monfong magazine, revue africaine de bande dessinée entre 1981 et 1985 (cinq publications) puis en 1992 (une seule), le principal héros vivant ses exploits au milieu de publicités pour des auto-écoles, des brasseries (UCB – Union Camerounaise des Brasseries) ou des boites de nuit. Le dernier numéro de Sam Monfang, un hors-série de commande paru en 1999 sera complètement financé par la société Camlait.

Durant la décennie suivante, la BD publicitaire devient une véritable source de revenus pour les dessinateurs du continent devenant même parfois un genre à part entière comme en Tanzanie (katuni za kibiashara). Certains personnages sont même créés spécifiquement pour de la publicité. C’est le cas du fameux Tonton Skol, créé en 1989 par le Congolais (RDC) Dénis Boyau, dessinateur vedette de Jeunes pour jeunes. Il crée ce personnage pour la brasserie Unibra (aujourd’hui Bracongo). Tonton Skol apparaît sur les bouteilles de bière ainsi que sur de nombreux dépliants publicitaires. Les aventures de Tonton Skol seront même publiées chaque dimanche dans Salongo et auront un succès énorme dont on parle encore dans le pays. Boyau créera par la suite, Doppel Mimik, pour la marque de bière concurrente Doppel mais le succès sera moindre. Le constat est assez clair : si la bande dessinée a beaucoup apporté à la publicité, la publicité a également permis le développement du genre sur le continent.

La publicité, base de la formation des auteurs de BD

Ce lien étroit n’a d’ailleurs rien d’étonnant et apparait dès la formation des bédéistes. En effet, à deux exceptions près, les écoles des beaux-arts du continent n’ont pas de section bande dessinée en leur sein et le genre n’est, pour ainsi dire, pas abordé au cours de la formation ou si ce n’est de façon détournée. De fait, la plupart des auteurs de BD sorte de la section publicité, quasiment toujours présente au sein des structures. De BD, il en est rarement question. Même Mongo Sise, premier auteur reconnu du Zaïre de l’époque, fut enseignant à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa sous la casquette publicitaire et ne donna pas de cours autour du 9ème art.

Cette situation implique une relation de proximité dès l’origine qui perdure par la suite. Tout cela est logique, la Bande dessinée ne permet toujours pas à l’immense majorité des auteurs de vivre de leur art alors que la publicité reste encore un moyen pour gagner sa vie. De ce fait, énormément d’auteurs travaillent (la journée) dans des boites de communication pour des travaux d’illustration ou de design souvent éloignés du 9ème art.

De ce fait, en RDC, la BD publicitaire reste toujours un moyen de subsistance pour les auteurs. Le dessinateur Kizito Muanda se fait, par exemple, le champion du stylo Bic dans la revue BD pédagogique Bleu Blanc (via les aventures de Vata), avec, malheureusement, des retombées financières peu conséquentes. Pour sa part, Djemba Isumo Djeis vantait la qualité des produits laitiers Kerrygold dans Chaleur Tropicale, la revue BD d’Asimba Bathy. De son côté, Alain Kojele Makani a réalisé une BD publicitaire pour la banque BIAC, suivi par Dick Esale en 2008 pour la nouvelle carte bancaire de la BIAC, Raka raka (ces deux brochures étaient éditées par l’éditeur Elondja, spécialisé dans la BD). En 2019, Yann Kumbozi a publié une Bande dessinée publicitaire intitulée Génération Blue band qui, sur 9 planches, montre les bienfaits de la margarine Blue band au petit déjeuner pour la poursuite des études. Cette nouvelle publication, plusieurs décennies après les précédentes, démontre la belle longévité de cette marque en matière de recours à la BD promotionnelle.

On pourrait citer bien d’autres exemples de ce type dans plusieurs pays, à commencer par le Cameroun où le caricaturiste Dino commença sa carrière dans le domaine avant de migrer au Gabon. En Côte d’Ivoire, on peut trouver des planches publicitaires de BD dans quasiment chaque numéro de Gbich !, dont certaines sont en couleurs. Elles concernent en particulier les téléphone portable et réseaux de communication. Des sociétés étatiques ont aussi recours à la bande dessinée pour expliquer leur rôle à la population. C’est particulièrement le cas de la SNEL (Société d’électricité en RDC)  aussi bien au début des années 80 avec Mongo Sise (album sur le barrage d’INGA) que dans les années 2000 avec Ilunga Mande (La SNEL au service de la nation).

Enfin, en RDC, les mini-albums édités à compte d’auteurs sont tous plus ou moins sponsorisés par des marques publicitaires et truffés de références à celles-ci. On peut même constater que se développe dans le 9ème art local le phénomène de Libanga[4], autrefois propre à la musique. Des personnages bien vivantes se retrouvent représentées (certains diraient même « immortalisées ») dans des histoires où elles apparaissent sous un jour positif.

Les BD de sensibilisation

Cependant, la BD publicitaire est de plus en plus rare à l’échelle du continent. La raréfaction des journaux et revues papiers dans les différents pays y est pour quelque chose ainsi que la difficulté de diffusion d’une région à l’autre car l’absence de support n’aide pas au développement publicitaire sous forme de planches de BD. Bien évidemment, les bédéistes continuent de travailler sur des campagnes publicitaires[5] et bien des publications d’albums ou de revues spécialisées ne peuvent se faire sans un soutien publicitaire fort et apparent. Mais la BD ne sert quasiment plus de support à des campagnes publicitaires. Gibch ! reste donc une heureuse exception sur un continent où la presse écrite progressivement disparait. De fait, les auteurs remplacent cette activité par d’autres travaux de commande. C’est particulièrement le cas des bandes dessinées de sensibilisation, en particulier celles se situant dans le cadre de la lutte contre le SIDA, pour diverses ONG. Il s’agit là d’un grand classique depuis plusieurs décennies et le nombre de brochures BD concernant le SIDA est important. On peut citer le dessinateur Lusavuvu Makaya en RDC, avec Parlons du SIDA diffusé en 1997 (qui traite ce sujet sous un aspect scientifique), de Bolingo ya kapote etali biso banso (qui évoque le besoin de se protéger) ou même de Linga kasi keba ! (trad. Aime mais fais attention !), joli petit album de Barly Baruti de 2005[6].

Cependant, il faut faire attention aux amalgames, produire de la BD de sensibilisation ne signifie pas pour l’artiste abandonner toute prétention à une démarche artistique et scénaristique. Dans bien des cas, la réussite artistique du produit rendu dépend également du bailleur de fonds, de sa capacité de financement, des délais qu’il donne aux artistes, du suivi de la démarche engagé et, évidemment, de l’importance qu’il donne au support – BD[7].

Les BD de sensibilisation peuvent, en effet, être parfois de véritables réussites. Ce fut par exemple le cas avec La MONUC & nous de Barly Baruti et Thembo Kash, toujours en 2005, petite brochure d’une trentaine de planches visant à expliquer le rôle de la Mission de l’ONU en RDC. Un peu plus tôt, les deux réunis, avaient, au cours de l’année 2004, publié un superbe album sur la transmission du SIDA au Niger : Tchounkoussouma sous les eucalyptus, premier album de BD publié dans le pays. De son côté, la Fondation Konrad Adenauer sensibilise beaucoup sur le continent via la bande dessinée. Elle a lancé en RDC au début des années 2000 un programme de sensibilisation des citoyens à la justice via une série d’une quinzaine de de BD de bonne tenue et soutient depuis bien longtemps la revue de BD pédagogique, Afrique citoyenne, qui en est à son 35ème numéro et propose à chaque fois une histoire de bonne tenue de Malang Sene (dit Kabs) sur dix planches mettant en scène les valeurs prônées par le numéro.

Ils ne sont pas les seuls. Au Mali, la revue Super Moundy, un magazine de BD pour les enfants de 7 à 15 ans lancé en novembre 2018 compte à ce jour 24 numéros. Moundy, personnage principal du magazine, est un superhéros doté de supers pouvoirs transmis par la nature. À travers des aventures extraordinaires, avec la belle Zana et le petit perroquet Moki, ils apportent leurs aides aux enfants et aux populations en difficultés. Ils mènent des actions positives, sensibilisent et incitent les jeunes à œuvrer pour le développement de leur communauté. Le projet est financé par la représentation des Nations Unies et a pour objectif de sensibiliser la jeunesse à l’agenda 2030 de l’ONU qui lance une série d’objectifs ambitieux pour le développement durable visant à mettre fin à l’extrême pauvreté, à lutter contre les inégalités et l’injustice et à régler le problème du changement climatique. Bien d’autres exemples peuvent être cités, comme Vie des jeunes de Ntep Kelly et Georges Pondy (Cameroun), véritable réussite artistique diffusée à 150 000 exemplaires il y a une dizaine d’années et financée par une ONG.

La BD électorale et de sensibilisation citoyenne

Le phénomène le plus original reste le recours à la bande dessinée à chaque campagne électorale. C’est particulièrement vrai en RDC où les BD publicitaires peuvent concerner la nécessité de parité comme Mwasi pe maponami d’Albert Luba ou Femmes Congolaises, la parité est un pouvoir ; Elisons et faisons nous élire de Florent Aundu-Kiala.

D’autres sont plus généralistes et s’attachent aux principes généraux et à l’éthique. On peut citer Mungamba, le démocrate de Jacques Tshibungu Mudiayi en 2001, Votons avec Mopila – en 2005 – de Djemba Isumo Djeis ou même Bena ditunga mbadiele ngoma en 1994 (d’Albert Luba[8] également) qui expliquait le fonctionnement du vote à des populations. La fondation Konrad Adenauer a également soutenu des publications de ce type sous forme de BD, comme avec Jeunesse et participation politique, paru en novembre 2016 en RDC.

D’autres prennent carrément parti pour un candidat, comme les studios Kash avec Pierre Pay Pay président en 2006 ou bien sous forme de recueils de caricatures comme à Maurice. Il n’est cependant pas certain que les auteurs de BD en profitent beaucoup car, comme l’indiquait déjà le regretté Alain Brezault dans un article de 2007[9] : Malheureusement pour eux, les encarts publicitaires réalisés par quelques dessinateurs de la place, n’ont toujours pas permis à ceux-ci de décrocher le contrat du siècle auprès d’un annonceur qui leur offrirait un pont d’or pour lancer une campagne d’envergure !

Le recours à la publicité ou aux BD de commande relève donc plus d’une stratégie de survie et assez peu d’un choix de carrière, phénomène assez courant sur le continent où le métier de dessinateur souffre d’un manque de reconnaissance.

 

Christophe Cassiau-Haurie 21 juillet 2021

[1] Celle-ci, toujours vendue sur le continent, continue à diffuser de la BD publicitaire dans les journaux.
[2] En lingala, makasi signifie « Costaud » ou « fort ».
[3] En Indonésie, Juma-Makasi s’appelait « A fuk ».
[4] Le libanga, né en RDC mais qui s’est développé ailleurs, consiste pour un artiste de citer le nom de ses mécènes et soutiens dans ses chansons. Les plus offrants peuvent même avoir une chanson qui leur est entièrement dédiée.
[5] C’est le cas encore très récemment avec Johan Bonheur, membre du collectif Brazzavillois Kukia Groupe et auteur de la nouvelle affiche pour la bière Primus, la plus vendue dans le pays.
[6] Ce phénomène n’est pas propre au continent, on peut aussi citer le tout premier album – en France – de Serge Diantantu (RDC) : Attention SIDA (1994)
[7] En d’autres termes, du respect qu’il accorde aux artistes en général et à leur travail !
[8] Les œuvres d’Albert Luba sont essentiellement composées de BD de commande.
[9] http://africultures.com/publicite-et-bd-au-congo-6909/

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Un commentaire

  1. J’aime beaucoup vos articles monsieur Christophe grâce à vous il restera toujours une empreinte du 9e art en Afrique

Laisser un commentaire